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3 avril 2010 6 03 /04 /avril /2010 09:57

Suite de : Fichte (3)

 

Des relations internationales de crise - Tout comme l'homme, l'État est méchant. Il est identique à l'homme, seule la dimension variant, lui étant supérieur l'État étant conçu comme le lieu où doivent s'unifier les citoyens, d'où l'identité de l'attitude de l'État fichtéen face aux autres États. Fichte part ainsi du postulat de base que tout État cherchera à profiter de toute occasion pour porter préjudice aux autres États, dès lors qu'il croira y trouver un bénéfice. Les relations internationales fichtéennes sont donc des relations de guerre, puisque qu'entre les États à la différence des citoyens qui peuvent être unis dans un État fondé et ordonné, il n'est pas de droit certain et précis qui puisse s'établir. Les relations interétatiques seraient donc des relations uniquement de guerre, tout droit international public était impossible par nature et par raison., la seule raison guidant les nations - on remarquera au passage la confusion naissante entre l'État et la nation qui sera à l'origine de toutes les confusions, et surtout de toutes les guerres majeures depuis le milieu du XIXème siècle - tant une volonté d'hégémonie mondiale l'entraînant à des actes d'agression ou de défense, et ce par delà même la question des frontières.  On en arrive ainsi à la définition de deux principes uniques des relations internationales, chacun de ces principes pouvant lui-même se décomposer en trois éléments :

tout État est prêt à la première occasion à s'agrandir aux dépens de ses voisins, pour peu qu'il ait la certitude de pouvoir le faire en toute sécurité. La seule exception à ce principe tiendrait au fait qu'il soit forcé de considérer son voisin, cible potentielle permanente et éternelle, comme un allié naturel, mais temporaire par nature, contre une menace commune plus importante. Fichte affirme même que négliger toute occasion pour un État d'agresser son voisin est irrationnel car basé sur le refus de la prudence, ce qu'il ne peut faire par nature. Toute alliance est donc par nature et par raison temporaire ;

la mission de l'État n'est donc pas seulement de veiller à la défense de son territoire, qui est toujours menacé, mais aussi de veiller à ce que rien ne soit changé en sa défaveur dans les relations internationales, tout en cherchant à profiter de toute occasion susceptible de renforcer sa puissance. L'État fichtéen est donc un État vivant en permanence dans la hantise et dans la préparation de la guerre, la paix n'étant qu'une hypothèse irrationnelle ! Bref, l'État guerrier, menacé par l'étranger en permanence par l'autre que l'on retrouve dans la doctrine nazie !

Guerre civile permanente… guerre internationale permanente… quelle ambiance !

Assurer non pas la paix, mais l'apparence de la paix comme finalité de l'État... On n'est plus très loin de la sacralisation de la guerre, sacralisation qui, en dehors même de toute idée de guerre de Dieu n’est pas née ex nihilo, mais est fille de la pensée de Nicolas Machiavel, la vraie clé de la théorie actuelle des conflits, écrivant que la fin justifie les moyens. S’il ne créa pas la formule, il aura été le premier à la professer. On en arrive ainsi à Hegel pour lequel par la guerre se conserve la santé éthique des peuples.

On rappellera que pour Hegel, la guerre est avant tout une garantie de la paix intérieure, d’où sa nécessité, vision outrée mais bien réelle qui fait de la guerre la grande purificatrice, et le fondement des relations internationales, les États usant entre eux, par essence, de la guerre comme moyen de lutte entre eux. La guerre est donc avant tout éthique plus qu’existentielle. En fait, la pensée hégélienne est souvent confuse et contradictoire, Hegel se posant lui-même la question de savoir si son système n’est pas équivoque. Hegel aura ici été influencé par Rousseau et par Fichte, et il conçoit la guerre comme une fonction permettant à l’homme de se nier comme individu. En fait, l’éloge de la guerre signifie t-elle son usage obligatoire ? L’histoire est-elle le tribunal du monde ? La guerre est-elle le lieu de l’authentique moralité, la seule valeur existante face à l’individu et à la totalité ? Certes, comme l’a écrit Alexandre Philonenko, Hegel a raison de dénoncer certaines formes d’individualisme moral, voire même de critiquer Kant, mais faut-il pour autant faire de la guerre un mythe ?

On en arrive à Carl von Clausewitz, grand admirateur tant de Fichte que de Machiavel, et à sa vision de la guerre totale : « La guerre est un acte de violence que rien ne doit limiter. » Le grand théoricien moderne de la guerre qu’aura été Clausewitz n’aura pas été l’esprit précis, froid et calculateur, ignorant les grandes idées philosophiques que présente Alexandre Philonenko. C’est bien au contraire sa connaissance et l’influence de la philosophie qui lui ont permis d’avoir une approche aussi juste de la guerre. Cette influence sera notamment celle de Frédéric II - donc des Lumières - et celle de Machiavel qu’il admire comme en témoigne sa lettre à Fichte en 1809. Ainsi, sa vision de la guerre comme prolongement de la politique sous une autre forme est tirée de Machiavel, alors que son approche de la guerre comme art découle directement de la pensée kantienne selon laquelle l’art a pour objet une cause et l’usage des moyens disponibles en vue d’une fin que l’on pense ; c’est aussi à Kant qu’il reprend l’idée du génie créatif, et ce d’autant plus qu’il aura été l’élève de Kieswitter, disciple de Kant. L’influence de Fichte n’est donc pas à négliger, alors que Montesquieu est incontournable, vue la volonté même de Clausewitz.

Et on aboutit enfin à Nietzsche pour lequel la paix n’est que le moyen d’une nouvelle guerre, et selon lequel la guerre et le courage ont plus de grandeur que l’amour du prochain.

Pourtant, Fichte dénonce la guerre, mais elle est aussi pour lui celle qui porte à l'héroïsme les âmes qui ont des sentiments, mais comme les héros sont rares, elle doit se fonder sur une discipline rigoureuse et des lois draconiennes, et Clausewitz s'inspirera ouvertement de Fichte dans sa pensée….

Pourtant elle est inévitable dans les rapports de force entre les nations, les guerres d'agression étant même justifiées lorsqu'elles sont préventives ou liées à la politique de puissance… Si Fichte critique la guerre, c'est surtout du fait du militarisme induit, non pas la nation en armes, car une armée ne peut être fondue que dans le corps de la nation qui s'identifie à cet effet à l'État. Et Fichte dénie aux armées révolutionnaires françaises ce caractère de nationales…

 

Les Staatslehre de 1813 comme synthèse d’une pensée - Les Staatslehre de 1813 (De l’idée d’une guerre légitime. Trois leçons faites à Berlin, en mai 1813) sont la synthèse de la pensée politique de Fichte. Reprenant sa théorie dialectique et des étapes vers l'idéal, il y énonce que le droit n'est qu'une étape vers la morale car posant les conditions de la vie et de l'intégrité de chacun contre chacun dans la vie commune. Il y affirme aussi que la liberté morale est la seule réalité dans le monde sensible, et qu'il faut donc poser a priori les conditions intrinsèques de cette réalité. De ce fait, la loi est nécessaire en tant que la liberté de chacun interfère tant avec celle de chacun, mais aussi avec celle de la société; de là découle la nécessité du droit pénal qui est le seul moyen de contraindre par la sanction l'homme au respect réciproque. Il peut ici y avoir une contradiction apparente entre la coaction et le but de la liberté, la coaction devant se transformer ou plutôt se comprendre comme un appel à la raison, l'ordre social devant se faire sans recours à la force; mais elle n'est qu'apparente puisque la contrainte n'est que temporaire et qu'il devrait y avoir, sous l'influence de la dictature éducative, d'un État policier à un État éducateur permettant de dépasser, sans le supprimer, le simple coercitif. Il y a donc chez Fichte, après l'identification de la philosophie et du politique, du politique et de l'éducation, identification du problème du pouvoir politique à celui de la culture. Le moule unique nazi !

Du fait de cette triple identification, le prince souverain peut dominer et se servir de la coercition pour imposer progressivement la raison, à la condition d'avoir lui-même les conditions à cette fin - l'intelligence du savant -, conditions lui permettant d'interpréter les exigences et les destinées de la communauté des esprits libres dont il a la charge.

Ainsi, toute l'histoire humaine ne serait qu'une ascension progressive vers un seul but idéal : l'État de pleine justice où la coaction n'a plus de raison d'être puisque que ce serait le règne de la raison. Mais la pleine justice est-elle liberté ? On peut en douter. Néanmoins, ceci permet à Fichte de poser la nécessité d'une éducation initiale et d'une culture contrôlée, les deux devant être identifiées avec un peuple et avec une race dont le devoir serait d'éduquer les autres peuples, créant une dynamique perpétuelle peuple éducateur/peuple éduqué. La théorie nazie du racisme est ici émergeante !

Fichte distingue dans ce cadre trois époques historiques, que nous « découperons » ici plutôt en quatre pour des raisons logiques :

le temps des monarchies aristocratiques religieuses de la Grèce archaïque où l'État est divin avec une soumission absolue au pouvoir qui est Dieu ;

le temps de l'abandon de la stricte inégalité et de la naissance de la démocratie, la liberté individuelle se substituant à la foi, comme chez Socrate. C'est le temps du triomphe de la Cité contre l'égoïsme, l'individu étant utile comme principe fondamental de la société ;

le temps de l'indifférence envers le lien de la collectivité et du désir de gloire individuelle, personnifié par Thémistocle ;

enfin le temps du règne de Dieu qui est celui de la liberté morale avec le Christianisme. Ici, la loi est dépassée, l'antithèse autorité/volonté résolue, et l'État coactif est dépassé.

Néanmoins, cette vision est très simpliste, d'autant plus que dans tous les cas, Fichte résorbe le droit dans la morale, même si la sphère du droit reste très inférieure à celle de la morale, car elle reste extérieure et coactive. Néanmoins, le droit se substitue de fait à la morale dans son système politique.

 

Qu’en conclure ? - En synthétisant tout ce qui précède, il est possible d'affirmer que Fichte - sans peut-être le vouloir - est à l'origine de la Realpolitik, cette politique unifiant la politique de puissance internationale et la dictature interne. En abandonnant Rousseau et l'idéal de la Révolution française, Fichte a abouti à la conception d'un prince-guide - Führer - concentrant en lui-même la toute-puissance, car s'auto-justifiant d'une attribution divine dont il est la propre source : le Got mit uns d'Adolf Hitler. Certes comme l'a écrit Philonenko, Fichte ne sera pas le père du national-socialisme, car on ne retrouve pas chez lui les théories du racisme biologique - même si celle de la race s'identifiant au peuple est bien présente dans les Staatslehre de 1813 -, celui-ci n'étant d'ailleurs qu'une des facettes du nazisme. Mais en influençant Hæckel, véritable fondateur de la théorie de la race, en développant la théorie des conflits qui conduit indéniablement à l'exclusion de l'étranger, facteur supplémentaire dans cette vision de tensions, il en est bien le grand-père. Même si des théoriciens du nazisme tels que Faust ou Steinbeck aient affirmé avoir dépassé Fichte en ce sens qu'ils veulent une fondation raciale de la communauté politique du peuple allemand, la simple recherche de cette justification permet d'affirmer que Fichte aura été un philosophe angoissé et pessimiste, véritable apprenti sorcier dont les idées seront une base de la pire des abjections, sa théorie du prince-guide, sa vision de l'État-contrainte, sa perception de la nation, sa définition de l'éducation nouvelle en sont autant de preuves.... Père du nazisme ? non, ou plutôt co-géniteur pour la période précédent la « décision finale ». Grand-père du nazisme ? très certainement.

Si l'on devait maintenant faire une synthèse de l'idéal de Fichte, on pourrait le décomposer en quatre points essentiels :

sur le plan politique : une vision de la liberté non plus pratique mais de l'action en marche, une affirmation de la mission éducative universelle de la nation allemande, la conception et la définition d'un État autoritaire à vocation universaliste, et ce même si l'État n'est pas une fin, seule la nation étant primordiale ;

sur le plan philosophique : la définition d'un État autoritaire où les savants - c'est-à-dire ceux qui connaissent la nécessité historique - doivent de gré ou de force contraindre le peuple à se conformer au droit qui se substitue de fait à la morale, et ce même si la fin est la liberté de l'homme éduqué ;

sur le plan psychologique : une relativisation du temps avec une séparation du monde sensible et du monde intelligible, conduisant à l'abandon du temps pratique, c'est-à-dire de la temporalisation du présent à partir de l'avenir ;

un mot clé : l'absolu, celui-ci se déclinant entre l'absolue liberté authentique et la transcendance absolue du politique.

Fichte n'aura pas été fidèle aux principes de 1789 ! Par contre, et c'est là la démonstration de la seule apparence de ses contradictions, il aura toujours été fidèle aux principes révolutionnaires de 1793 qu'il n'aura fait que sublimer ! Il aura ainsi paradoxalement par l'utilisation de la fibre antijacobine et anti-française d'un peuple allemand occupé cherché à modeler l'âme et la réalité politique de la nation allemande afin de les fondre en une communauté humaine spirituellement unie dans une vision autarcique et civilisatrice - au sens d'élitisme dominateur, flambeau de l'humanité - de la liberté et de l'amour. Il aura ainsi achevé son cycle, sa logique, son itinéraire allant du démocratisme au despotisme machiavélien, du cosmopolitisme fédéraliste au cosmopolitisme national, et de la société ouverte à la société fermée.

 

A suivre : Fichte : éléments de bibliographie

 

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