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11 janvier 2010 1 11 /01 /janvier /2010 15:48

Aujourd'hui - et comme cela a déjà été vu dans le cas de la globalisation économique - les schémas classiques sont comme inversés. Hier, la primauté revenait au couple défense/institutions, d'où découlaient la société, puis l'argent. Aujourd'hui, c'est l'inverse, ce qui fait que le pouvoir régalien est dépassé.

On peut penser au temple de Janus à Rome, mais à un temple où il n'y a plus de murs et plus de toit : ⑴ plus de murs : celui du communisme s'est brisé avec en 1970 l'érosion de la muraille de Chine et en 1989 la chute du mur de Berlin, alors que l'on prévoit pour 2008 le franchissement du mur de la complexité (informatique, économies d’échelle, etc…), entraînant une mutation du capitalisme avec à la fois mondialisation et maîtrise du complexe ; ⑵ plus de toit, avec aujourd'hui des échanges ouverts et un surdéveloppement de l'économie, de l'écologie et de l'information.

Une autre inversion de schéma : hier, 1 commandait et 150 faisaient, alors qu’aujourd'hui 150 commandent et 1 seul fait ! On est passé d'un système pyramidal militaire fondé sur les notions de courage et de caractère à un système fondé sur la coresponsabilité et les échanges. Un exemple : hier, l'élu avait un réel pouvoir directeur incontesté, alors qu'aujourd'hui il n'est que le responsable auquel tous ont recours, dont tous exigent, sans même savoir s'il a le pouvoir, les compétences et les moyens ! On doit donc pour y faire face en revenir à l'idée nouvelle de gouvernance, qui était déjà chère à Rabelais qui écrivait en 1534 dans la bouche de l'envoyé de Pichrochole : Par bien gouvernée l'eut augmentée, par me piller sera détruite ! Or, la « bonne gouvernance » est la seule solution et il faut bien voir les réalités en face. Mais « on » ne veut plus prendre de risques alors que le risque est partie inhérente de la nature humaine.

Évoquer le risque est doublement nécessaire, car le risque est aussi élément matériel et élément de l'âme, puisque, s'il peut traduire une situation strictement perceptible, il est aussi, comme l'affirmait Simone Weil  l'un des quatorze  besoins essentiels de l'âme, au même titre que l'ordre, la liberté, la responsabilité et la sécurité (S. Weil, L'enracinement, Gallimard, Paris, 1995, coll. Folio Essais [1ère éd. : 1949]), autant de principes clés de la prise en compte de l'environnement. D'ailleurs Simone Weil donne une définition générale du risque qui peut être considérée comme l'une des plus précises, car recouvrant l'ensemble des natures du risque (accident/erreur ; matériel/âme) : Le risque est un danger qui provoque une réaction réfléchie ; c’est-à-dire qu’il ne dépasse pas les ressources de l’âme au point de l’écraser sous la peur (L'enracinement, op. cit. p. 49).

Ainsi, avoir conscience de l'existence ou de l'imminence d'un risque ne signifie pas renoncement, abattement, abandon devant la peur, mais bien au contraire engagement, responsabilité et courage, c'est-à-dire abandon de la fatalité et recherche de réponses à des situations plus ou moins menaçantes pour l'avenir.

Prenons le cas des risques environnementaux. Avoir conscience des risques qui pèsent sur l'environnement ne signifie pas - et ne doit pas signifier - repli sur soi et irréversibilité de situations matérielles et/ou éthiques, mais bien au contraire mise en œuvre d'actions individuelles et/ou collectives, conscientes et/ou inconscientes, visant à préserver l'environnement. La perception même du risque par les individus est aujourd'hui faussée par les imprécisions; ainsi, à titre d'exemple, l'opinion publique a été le plus souvent sensibilisée aux problèmes spécifiques des atteintes à l'environnement suite à l'épidémie de Minamata en 1959, aux marées de noires du Torrey-Canyon en 1967, de l'Amoco-Cadiz en 1978 et de l'Exxon Valdez en 1985, par les catastrophe de Mexico-City et de Bhopal en 1984, aux accidents de Seveso en 1976, de Love-Canal en 1980 et de Bâle en 1986 -tous liés au risque chimique-, conduisant les populations à accuser systématiquement l'industrie chimique, alors même que le risque chimique - pourtant bien réel, l’explosion de l’usine AZF à Toulouse étant là pour nous le rappeler - n'est qu'en position moyenne quand aux risques réels qu'il est susceptible de présenter pour l'anthroposphère, ce qui démontre les dimensions du problème comme le démontre le tableau suivant (sur la base de données récoltées dans divers ouvrages, dont : Fr. Ramade, Les catastrophes écologiques, Mc Graw-Hill, Paris, 1987) :

 

 

Classement

 Type de catastrophe

Indicateur d'impact

 

        1

Hiver nucléaire

            590

 

        2

Changement climatique

            296

 

        3

Surpopulation

            216

 

        4

Pollution biologique

            210

 

        5

Déforestation

            157,5

 

        6

Sécheresse

            107,5

 

        7

Pollution nucléaire

            103

 

        8

Érosion des sols

              97

 

        9

Froid exceptionnel

              70,5

 

      10

Accident chimique

              67

 

      11

Inondation

              51

 

      12

Raz-de-marée

              33,5

 

      13

Volcanisme

              27,5

 

      14

Cyclone

              27

 

      15

Tremblement de terre

              22,5

 

On ne saurait donc s'étonner que le législateur français ait pris en compte prioritairement cette perception des atteintes potentielles à l'environnement dans sa mission d'organisateur du système légal français. On remarquera cependant que les très nombreux textes qui ont été promulgués depuis les années soixante-dix en matière d'environnement, notamment les grandes lois fondatrices du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature, du 15 juillet du 15 juillet 1975 sur l'élimination des déchets, du 19 juillet 1976 sur les installations classées pour la protection de l'environnement, ainsi que les textes organisation la lutte contre les pollutions - comme la loi n. 92-3 du 3 janvier 1992 - ou encore la loi du 12 juillet 1977 sur le contrôle des substances chimiques sont essentiellement tournées vers la prévention des dommages et la police de l'environnement -surtout dans ses relations avec la chimie-, les dispositions particulières à la responsabilité civile étant quasiment inexistantes, alors que celles relatives à la responsabilité pénale sont d'apparition tardive. Pourtant, à y regarder de plus près, on s'aperçoit facilement que l'impact de ces lois sur la situation des entreprises dont l'activité crée des risques pour l'environnement et qui, de ce fait, sont exposées - toutes ces entreprises et non les seules relevant du secteur de la chimie - à voir leur responsabilité engagée par les victimes éventuelles, n'est nullement négligeable, bien que le plus souvent indirect (Viney, « Les principaux aspects de la responsabilité civile des entreprises pour atteinte à l’environnement », in : La Semaine Juridique [J.C.P. Éd. G], 1996, n°3, I, Doctrine, 3900, page 39).

C'est sur la seule notion de risque qu'a insisté le Sommet de Rio, un accord ayant été réalisé sur la base des deux principes, intuitivement raisonnables, de précaution et d'efficacité économique, qui sont confondus même si l'on en perçoit de façon évidente le caractère potentiellement contradictoire (- Ch. Stoffaës dir., L'économie face à l'écologie, La Découverte/La Documentation française, Paris, 1993; - Nature-Sciences-Sociétés, n° 2(3), 1994, pp. 202-211). La coexistence délicate de ces deux principes leur interdit ainsi de fournir des garde-fous minimaux contre des décisions ou des non-décisions non maîtrisées, ce qui rend le principe inefficace, sélectif et politique, donc aboutit à une application trop sélective et surtout trop soumise aux négociations, aux tractations, aux « ayatollahs » de l'écologie.... On en arrive, par opposition à un mode de décision séquentiel se réservant des marges de manœuvre à chaque étape pour les suivantes et réévaluant les options d'étape en étape, à une technique d'actualisation gelant et enfermant le futur; on en arrive à une opposition très nette avec le principe, pourtant fondamental, de l'analyse cycle de vie, par négation des principes fondamentaux et premiers de la vie qui sont l'évolution et l'adaptation permanente.... Cela ne signifie cependant pas qu'il faille faire n'importe quoi ou qu'il faille faire trop vite, dépassant ainsi les facultés d'adaptation de l'homme et de la nature, donc conduisant tant l'homme que la nature à leur perte... Cela signifie qu'il faut oser, mais avec conscience, oser en gardant à l'esprit le « mode d'emploi » de la Terre et de l'homme, ce « mode d'emploi » nous ayant d'ailleurs été donné par Dieu lui-même avec le Décalogue.... Ne soyons pas des grenouilles à l'œil sélectif ne retenant que les aspects négatifs ou risqués du progrès; soyons simplement des hommes conscients de leurs responsabilités et de leur mission terrestre, même si cela est difficile, même si cela impose en permanence de s'opposer aux contradictions de la nature humaine, qui est tout sauf rationnelle, et de surmonter les difficultés scientifiques, technologiques, idéologiques se présentant, tout en distinguant les pollutions réelles des pollutions imaginaires, voire quasi mythologiques...

Il faut donc, pour bien appliquer le principe de précaution, qui est fondamental en matière d'environnement, rechercher les garde-fous nécessaires, en revenant sur la nature logique du problème décisionnel posé, tout en recherchant, à partir d'un modèle à visée purement heuristique - la précaution échappant à la certitude scientifique, tant est-il que cette dernière existe -, à démontrer que seule une approche séquentielle de la décision peut lui donner un contenu opératoire tout en se prémunissant contre des décisions économiquement ou politiquement arbitraires. Il faut donc avant toute application - hormis certains cas d'urgence - chercher à savoir sur quels éléments théoriques et pratiques il est possible de le faire reposer pour en déduire des modes opératoires d'application, tels des niveaux incitatifs de taxes, des provisions pour risque environnemental, l'édiction de textes... Si dans une simple logique économique la solution réside dans un accroissement du prix du bien à un taux supérieur au taux d'actualisation, cette simple méthode est en fait insuffisante car pouvant être détournée au profit de certains sous des pressions mercantiles ou plus prosaïquement politiques.

Dans tous les cas, aujourd’hui, l’homme ne veut plus prendre de risques dans sa vie - y compris la plus intime -, et il attend tout de l’autre à qui il reproche toujours de ne rien faire, que cet autre soit l’élu « toujours corrompu », le fonctionnaire « toujours fainéant », l’enseignant « toujours en vacances », le policier « toujours méchant », … On veut une petite vie « pépère », bien repliée sur son seul ego, sans risques surtout, bien aseptisé ; la meilleure démonstration n’en est-elle pas cette religiosité du « libre-service » qui semble émerger : on prend ce qui plaît, on jette le reste, et surtout pas d’efforts, et vive la religion « Kleenex »… Or, le risque est un besoin existentiel de l’âme comme le disait Simone Weil…

 

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