A propos de l’arrêt du 26 juin 2013 de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation (aff. 12-88265)
L’arrêt du 26 juin 2013 de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation (aff. 12-88265) n’est pas anodin ! En posant que les règles de droit afférentes à l'interruption de la prescription de la peine sont en relation avec la détermination de la peine applicable au crime et qu'en tant que telles elles sont du ressort de la loi, il rappelle finalement l’énoncé de l’article 34 de la Constitution qui dispose que la loi fixe les règles concernant : (…) la procédure pénale. Par ailleurs, la compétence exclusive du législateur en la matière avait déjà été rappelée par le Conseil constitutionnel dans des décisions de 1975, 1993, 1998, 2000, etc… L’article D. 48-5 du Code de procédure pénale doit donc être écarté car contraire à la Constitution, ce que dit la Cour de Cassation, confirmant ainsi la décision de la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Lyon du 26 juin 2013. Il n’y a donc pas matière à s’insurger devant cet arrêt !
Reste qu’il pose de graves problèmes… En effet, en suivant cette logique et cette jurisprudence, ce sont en fait tous les articles des parties Décrets simples, Décrets en Conseil d’Etat et Arrêtés du Code de procédure pénale qui sont remis en cause, car ils auraient dû être adoptés par le législateur, et ce d’autant plus que le Conseil constitutionnel avait dit pour droit en la matière que le législateur avait méconnu sa compétence en déléguant au pouvoir réglementaire le soin de fixer par arrêté, etc… etc… etc… (Déc. 93-923 DC, 5 août 1993). Et là, pas de question politique : tous les partis sont concernés, toutes les majorités ayant utilisé la voie réglementaire en matière de procédure pénale ! C’est la conséquence de la personnalisation du pouvoir née de l’élection au suffrage universel du Président de la République qui a permis à tous les Présidents de sortir de leur domaine réel de compétence, en se posant dans l’esprit de la population comme le « maître » de la politique et du gouvernement, ce qu’il n’est pas dans la lettre et dans l’esprit de la Constitution ! Le véritable décideur est le Parlement, pas le Président… J’ai d’ailleurs toujours bondi lorsque j’entends un Président dire « J’ai décidé que » dans une matière législative, et j’ai toujours dit que les programmes présidentiels des candidats, quels qu’ils soient, sont inapplicables en tant que tels, car ce sont des programmes de législatives ! Va t-on enfin en revenir au sens profond même de la Constitution qui donne le pouvoir législatif au Parlement, le gouvernement et le Président n’étant qu’un pouvoir exécutif, rien d’autre ? Va t-on enfin en finir avec cette dérive monarchisant la République, pour en revenir au Parlement ?
Par cet arrêt, la Cour de Cassation a été courageuse… Mais a-t-elle mesuré la portée de sa décision, car désormais, tous les décrets ou arrêtés intervenant dans le domaine de l’article 34, donc du législateur, sont potentiellement constestables ? Quel dommage que la très heureuse initiative d’ouvrir la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) aux dispositions législatives, n’ait pas aussi ouvert la QPC aux dispositions réglementaires à caractère non personnel… Néanmoins, ne va t-on pas voir émerger des QPC contre ces dispositions réglementaires, mais de manière négative, par contestation de la non application de l’exclusivité posée par l’article 34 ?
Un véritable champ de mines a été ouvert… Et il va falloir régler cela très vite, au risque de nous retrouver devant un vide juridique colossale, en demandant au législateur de revoter en bloc ces dispositions pour les inclure dans le champ de la loi et non plus du réglementaire ! Une révision de la Constitution ne serait pas suffisante, notamment du fait de la non-rétroactivité de la loi ! Et, attention, ce n’est pas que le champ de la procédure pénale qui est touché. C’est par exemple aussi le domaine du droit fiscal, lui aussi réservé au seul Parlement, alors même que, à titre d’exemple, le Livre des procédures fiscales a lui aussi des parties Décrets en Conseil d’Etat et Arrêtés, donc … règlementaires…
Je me répète, tant la droite que la gauche ont leur responsabilité en la matière, et même le FN, quoi qu’il prétende !
A trop rechercher le confort, à trop personnaliser le pouvoir, à trop vouloir dégager sa responsabilité sur l’exécutif, à trop brider les pouvoirs du Parlement, on en est là… Et c’est grave… Un chantier immense est désormais ouvert, un chantier de construction dans un champ de mines… La France est la nation la plus en pointe en matière de déminage militaire… Qu’elle nous montre qu’elle l’est aussi en matière de déminage juridique… Il en va de l’avenir de la République et de la Démocratie !