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2 avril 2010 5 02 /04 /avril /2010 16:14

Pour Eusèbe de Césarée (mort en 339), la guerre est une calamité, évoquant les victoires guerrières, les trophées conquis sur les ennemis, la vaillance des généraux, le courage des soldats, qui se sont souillés de sang et de mille meurtres, à cause de leurs enfants, de leur patrie, de leurs autres intérêts (HE, V, praef., 3). Néanmoins, il vante le fait que l'empereur Constantin prie avant chaque bataille et qu'il porte l'emblème de la Croix (Vita Const. II, 4 ; IV, 56).

Pourtant, lorsque ce Père de l’Église parle de guerre, il parle avant tout de la guerre intérieure, de celle pour la paix de l'âme : Nous exposons dans ce livre la manière de se conduire selon Dieu : les guerres très pacifiques pour la seule paix de l'âme et le nom des hommes qui ont le courage d'y combattre pour la vérité plutôt que pour la patrie, pour la religion plutôt que pour ceux qu'ils aimaient le mieux, y seront inscrits sur des tables éternelles (HE, V, praef., 4)

Il oppose clairement, préfigurant les deux cités de saint Augustin, la manière de vivre ou politeouma profane avec ses guerres matérielles et la manière de vivre chrétienne avec ses guerres spirituelles et ses martyrs (voir la note 5 sous HE, V, praef. 4, in : Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, tome 2, coll. Sources chrétiennes n° 41, pp. 4-5).

Il oppose les soldats du royaume du Christ à ceux de l'empire, les premiers étant souvent désireux d'embrasser la vie civile ou de quitter l'état militaire pour ne pas devenir des renégats à leur religion. Il insiste sur la forme de la persécution de Dèce et de Valérien qui visait avant tout les militaires, afin d'épurer l'armée, et ainsi à la fois marquer l'esprit des civils et éviter certains risques de sédition interne : Il ne commença pas tout d'un coup la guerre contre nous, mais il dirigea ses efforts seulement contre ceux qui étaient dans les camps (il pensait en effet prendre facilement les autres aussi de cette manière, si auparavant il l'emportait dans le combat contre ceux-là). On put voir un très grand nombre de ceux qui étaient aux armées embrasser très volontiers la vie civile pour ne pas devenir des renégats de la religion du créateur de l'univers. Car lorsque le chef de l'armée, quel que fût celui qui l'était alors, entreprit la persécution contre les troupes, en répartissant et en épurant ceux qui servaient dans les camps, il leur donné le choix ou bien, s'ils obéissaient, de jouir du grade qui leur appartenait, ou bien, au contraire, d'être privés de ce grade, s'ils s'opposaient à cet ordre. Un très grand nombre de soldats du royaume du Christ préférèrent, sans hésitation ni discussion, la confession du Christ à la gloire apparente et à la situation honorable qu'ils possédaient (HE, VIII, IV, 2-3)

On remarquera que dans ce texte Eusèbe reconnaît la présence significative de chrétiens dans les armées de Rome, tout comme il semble laisser entendre que les persécutions ne portaient véritablement que sur les officiers, non pas sur les simples soldats.

Cependant, Eusèbe semble admettre la présence de chrétiens sous les armes, les glorifiant même dans certains cas, à la condition expresse qu'ils ne renient pas leur foi, voire même qu'ils s'en glorifient : Une escouade complète de soldats, Ammon, Zénon, Ptolémée, Ingénès et avec eux le vieillard Théophile, se tenaient devant le tribunal. Alors qu'on jugeait comme chrétien quelqu'un qui inclinait déjà vers l'apostasie, ceux-ci qui étaient près de lui grinçaient des dents, faisaient des signes de tête, tendaient les mains, gesticulaient de leur corps. Tout le monde se tourna de leur côté, mais avant qu'aucun d'entre eux n'eût été pris autrement, ils se hâtèrent de monter sur le degré, disant qu'ils étaient chrétiens, de sorte que le gouverneur et ses assesseurs furent remplis de crainte et que ceux qui étaient jugés furent remplis de courage pour ce dont ils devaient être convaincus et que les juges eurent peur. Et ces hommes sortirent solennellement du tribunal, se réjouissant de leur témoignage : Dieu les faisait triompher glorieusement (HE, VII, XLI, 22-23)

À noter que, a contrario de ce qu'écrit H. Leclercq (cf. son article « Militarisme », in : Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie, tome XI, c. 1126 ; cet article, à lire absolument, a fourni à l’auteur du présent document de très précieuses informations lui ayant permis d’orienter et d’organiser son travail), rien ne laisse supposer dans le texte d'Eusèbe que ces soldats chrétiens furent mis à mort, et ce bien que cet épisode se fut produit au moment de la persécution de Dèce …

En fait, Eusèbe de Césarée ne veut pas se prononcer sur la question militaire en elle-même, hormis certains aspects liés à la structure de péché qu’est la guerre, en ce sens qu’il donne une énorme valeur providentielle à la connexion entre le pouvoir temporel et l’Église, l’empereur étant pour lui l’envoyé de Dieu, seul en charge, en tant qu’héraut de Dieu, des questions temporelles. On ne doit donc pas se prononcer sur une question relevant de la seule compétence divine par la lieutenance de l’empereur. L’empereur, c’est l’ordre divin sur la terre : Dieu lui-même, le grand Roi, lui a du haut des Cieux tendu sa droite, et lui a donné la victoire sur tous ses adversaires et ennemis jusqu’à ce jour (Laus Const. 8)

On ne doit donc pas remettre en cause ce que décide l’empereur qui, bien évidemment, est favorable à l’armée, celle-ci étant de plus considérée comme un instrument de Dieu puisque instrument du prince.

 

 

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