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3 avril 2010 6 03 /04 /avril /2010 10:08

Frère de Pie I, évêque de Rome, Hermas devait composer vers 140 Le Pasteur, ouvrage d’apparence apocalyptique rédigé en réaction au dualisme théologique et au libertinisme morale prônés par les gnostiques, et en particulier par Valentin ; il ne s’agit donc en aucun cas de l’Hermas que salue saint Paul en [Rm 16, 14] comme l’ont cru certains. Plus qu’un livre unique, il semble que Le Pasteur soit une compilation ou la réunion de plusieurs ouvrages et non pas un ouvrage unique rédigé tel quel.

À noter pour commencer, que comme beaucoup des premiers Pères, Hermas considère que la terre n’est pas la cité du chrétien : Vous habitez sur une terre étrangère (…). Votre cité est loin de celle-ci (…) (Past. 50, 1).

Le chrétien doit donc avoir un certain détachement des choses terrestres, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il doive être triste, bien au contraire, la joie devant guider toute son action terrestre : Revêts-toi donc de la gaieté qui plaît toujours à Dieu et qu’il accueille favorablement (…) Tout homme gai fait le bien, pense le bien et méprise la tristesse. L’homme triste fait toujours le mal (Past. 42, 1-2).

Ensuite, on remarquera qu’Hermas reprend certaines images militaires pour parler du chrétien, imitant en cela saint Paul : Quant à toi, revêts-toi du désir de justice et cuirassé de la crainte du Seigneur, résiste-leur ; car la crainte de Dieu habite dans le bon désir. Le désir mauvais, s’il te voit cuirassé de la crainte de Dieu et offrant de la résistance, fuira loin de toi et tu ne le verras plus : il craindra tes armes. Et toi, vainqueur et couronné pour sa défaite (…) (Past. 46, 4-5).

Le lien avec [Ep 6, 13] est évident, tout comme celui avec [Jc 4, 7]. De plus, le couronnement du chrétien dans sa victoire contre le mal n’est pas sans faire penser au couronnement dont parle Tertullien dans son De corona militis, et cela même si ce dernier fut très critique contre la morale d’Hermas qu’il jugeait trop laxiste et trop optimiste.

Même si, dans sa partie morale, cet ouvrage ne se prononce pas sur la question de la guerre ou sur celle du métier des armes, un certain nombre de ses passages sont intéressants à relever, d’autant plus que des auteurs tels que Clément d’Alexandrie, Origène ou encore Athanase s’en inspirèrent. En fait, Le Pasteur est un bon reflet de la morale telle que vue par l’Église de Rome au IIème siècle.

Toute la morale d’Hermas est une morale d’action, mais non pas de violence. Pour Hermas, la foi ne suffit pas ; elle doit être renforcée, perfectionnée par les œuvres, et l’on est proche ici de l’esprit de l’Épître de Jacques. Les vertus et les vices sont donc à vivre pour les premières, à rejeter pour les seconds, ce qui nous impose d’en faire une liste rapide.

Et tout d’abord, il est étonnant de constater que l’homicide, sous quelle que forme que ce soit, ne figure pas parmi les interdits posés dans le texte du Pasteur : Quels sont (…) les vices dont il nous faut s’abstenir ? (…) l’adultère, la fornication, les excès de boisson, la mollesse coupable, les festins multipliés, le luxe que permet la richesse, l’ostentation, l’orgueil, la jactance, le mensonge, la médisance, l’hypocrisie, la rancune et tout méchant propos. Voilà de loin les plus mauvaises actions dans la vie des hommes (…) Et beaucoup, dit-il, dont le serviteur de Dieu doit s’abstenir : le vol, le mensonge, la spoliation, le faux témoignage, la cupidité, la passion mauvaise, la tromperie, la vaine gloire, la vantardise et tous les vices semblables (Past. 38, 3-5).

Hermas ne classe donc pas l’homicide parmi les mauvaises actions, telles que venant de la bouche du Seigneur. Par contre, on retrouve d’ores et déjà parmi cette liste de mauvaises actions tout ce que Jean le Baptiste demande aux soldats de ne pas faire en [Lc 3, 14]. Il y a donc une première cohérence nette avec les Évangiles.

Mais, il ne faut pas en rester à cette liste de vices et de mauvaises actions ; il faut la confronter à la liste des vertus : Écoute (…) les œuvres du bien qu’il te faut accomplir et non éviter. (…) La foi, la crainte du Seigneur, la charité, la concorde, la parole de justice, la vérité, la résignation (…) Assister les veuves, visiter les orphelins et les indigents, racheter de l’esclavage les serviteurs de Dieu, être hospitalier (…), ne s’opposer à personne, être calme, se faire l’inférieur de tout le monde, honorer les vieillards, pratiquer la justice, garder la fraternité, supporter la violence, être patient, n’avoir pas de rancune, consoler les âmes affligées, ne pas rejeter ceux qui sont inquiets dans leur foi (…) et autres actions semblables (Past. 38, 8-10).

Et là, on trouve toute une série d’éléments qui font qu’il y a rejet implicite de la guerre, voire même du métier des armes, du moins dans sa conception au temps d’Hermas : pratiquer la justice, supporter la violence, être patient, autant d’actes qui, avec d’autres aussi cités, s’opposent à l’usage de la force – du moins de la force matérielle -, car le mal est destructeur de la vie des hommes (Past. 27, 1), ce mal étant rejeté avec absolu par Hermas : ⒜ Si tu veux faire le mal, crains le Seigneur, et tu ne le feras pas (Past. 37, 4) ; ⒝ Abstiens-toi du mal et ne le fais pas, mais ne t’abstiens pas du bien (Past. 38, 2) ; ⒞ Celui qui détient l’Esprit venant d’en haut, est doux, calme, modeste ; il s’abstient de tout mal (Past. 43, 8) …

Enfin, il y a obligation pour le chrétien de respecter tous les commandements de Dieu, donc y compris celui de ne pas être homicide : Crains, dit-il, le Seigneur, et garde ses commandements. En gardant les commandements de Dieu, tu seras fort en toute action… (Past. 37, 1). Comment ne pas penser au livre de l’Ecclésiaste : Crains Dieu et observe ses commandements, car c'est là tout l'homme (Qo 12, 13) ?

Hermas insiste aussi sur la force du chrétien, et sur le lien qu’elle a avec la paix : Vous, vous avez rejeté votre mollesse et la force vous est revenue et vous vous êtes affermis dans la foi. Et voyant votre force, le Seigneur s’est réjoui ; c’est pourquoi il vous a montré la construction de la tour et il vous fera d’autres révélations, si du fond du cœur vous faites la paix entre vous (Past. 20, 3). Mais cette force n’est pas violence, du moins pas au sens courant ; elle n’a rien à voir avec la violence aveugle ou avec la violence des armes. Cette violence n’est dirigée que vers la seule justice, vers le seul bien. Cette force est au service de la paix, la paix étant une idée au cœur du message que nous transmet Hermas,  soit en tant que signe du chrétien comme dans le passage précédent qui rappelle [1Th 5, 13] (Ayez pour eux la plus haute estime, avec amour, en raison de leur travail. Vivez en paix entre vous), que comme marque du démon lorsqu’elle est absente ; ainsi, la médisance est mauvaise, c’est un démon agité, jamais en paix, il ne se plaît que dans les discordes (Past. 27, 3).

Enfin, comme cela a été déjà vu plus haut, Hermas insiste sur l’idée de justice : Soit patient, dit-il, et prudent, et tu triompheras de toutes les turpitudes et tu réaliseras toute justice (Past. 33, 1) ; Écoute, dit-il, quels sont les effets de la colère, comment elle est mauvaise, comment par sa puissance elle pervertit les serviteurs de Dieu, comment elle les détourne de la justice (Past. 34, 1) ; Il y a deux anges avec l’homme : l’un de justice, l’autre du mal. (…) L’ange de justice est délicat, modeste, doux, calme (Past. 36, 1 & 3).

En fait, on retrouve chez Hermas tous les éléments dont saint Augustin se servira pour élaborer sa théologie de la paix, … ainsi qu’un certain nombre de ceux fondant sa théorie des deux cités, toute la Similitude I (Past. 50) étant consacrée à cette théorie pour la première fois exposée – et ce même si saint Augustin ne cite jamais cet auteur - ! Et, si Hermas ne dit rien sur le soldat, toujours est-il que tout ce qu’il demande au chrétien s’impose au soldat chrétien, soldat qui aura des difficultés à le mettre en application. Hermas est véritablement très proche de saint Luc dans son approche…

 

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