Justin de Naplouse est né à Sichem[1] vers 100 ; il est mort vers 165.
Philosophe, puis professeur de philosophie, il connaîtra une évolution spirituelle qui devrait frapper de nos jours tant elle décrit un parcours de son temps : né païen, il sera successivement stoïcien, puis péripatéticien, puis pythagoricien, puis platonicien, et enfin chrétien. Comme quoi, rien n’est jamais perdu…
On notera qu’il a été fortement marqué par les écrits des Pères apostoliques, et tout particulièrement par l’Épître à Barnabé qui semble avoir inspiré la quasi-totalité de son Dialogue avec le Juif Tryphon, tant certaines ressemblances sont troublantes, y compris dans les exemples choisis ; on citera notamment les thèmes de la circoncision, du serpent d’airain, de Jésus fils de Navé, celui selon lequel seuls les Chrétiens savent lire l’Ancien Testament, etc… C’est pourquoi ses textes seront aussi très fortement et en premier lieu théologiques, alors même qu’il est surtout connu comme apologiste. Cette superposition de " compétences " vient du fait que le but premier de Justin est de présenter l'ensemble des chrétiens comme les acteurs de la prophétie d'Isaïe sur un monde échappant à la violence. De toute manière, un Père de l'Église est un théologien au sens plein du terme : il est à la fois pasteur, homme de pensée, homme de prière ! À méditer aujourd'hui où l'on tend à distinguer les théologiens de métier, les contemplatifs d'état et les hommes de terrain; les Pères sont tout cela à la fois, à la fois spirituels et pasteurs ! Ce sont, comme le disait Clément d'Alexandrie à propos de son maître Pantène, des abeilles diligentes !
Comme d’habitude, je n’aborderai ici que certains aspects reliés à la vie sociale de son temps, à la paix et à la guerre…
C’est vers 148-154, Justin de Naplouse devait écrire son Apologie. Ici apologiste, Justin se retrouve dans ce texte en toute harmonie avec l'attitude des premières générations chrétiennes ; il reste un sujet soumis à Rome, et il souffre, non pas tant des persécutions, que du refus de Rome d'admettre la loyauté civique du chrétien, loyauté qui était contestée, les Romains ne distinguant pas le culte de la Cité, alors que certains chrétiens convertis refusaient le service des armes[2].
S'adressant principalement à l'empereur Antonin le Pieux - qui régna de 138 à 161 -, il cherche à lui démontrer que les chrétiens sont de loyaux sujets, et qu'il n'est pas de séditieux parmi eux :
Vous trouverez en nous les amis et les alliés les plus zélés de la paix[3].
Nous sommes les premiers à payer les tributs et les impôts à ceux que vous préposez à cet office[4].
Nous n'adorons donc que Dieu seul, mais pour le reste, nous vous obéissons volontiers, vous reconnaissant pour les rois et les chefs des peuples, et nous demandons à Dieu qu'avec la puissance souveraine, on voie en vous la sagesse et la raison[5].
Les chrétiens ne demandent rien sinon que de vivre paisiblement et de pratiquer leur religion. Si on les persécute, ils ne se révoltent pas, si on les martyrise, ils ne se dérobent pas ; ils sont un peuple pacifique ; ils reconnaissent et respectent l'autorité impériale et ses représentants.
Justin, comme tous les chrétiens qui vivent dans l'empire et expriment leur opinions, parle du service des armes avec estime. Il lui semble reconnaître la Croix du Christ dans les vexilla et les trophées des légions, dans les enseignes ou signa :
Vous avez aussi des signes qui disent la puissance de la croix, je veux dire les étendards et les trophées qui précèdent partout vos armées. Sans que vous vous en doutiez, vous montrez que la croix est ainsi le signe de votre puissance et de votre force[6],
car :
il serait étrange que les soldats que vous enrôlez et qui s'engagent par serment sacrifient à la fidélité qu'ils vous doivent, à vous qui ne pouvez leur donner qu'une récompense corruptible, leur vie, leurs parents, leur patrie, tous leurs intérêts[7].
Justin va donc bien plus loin dans sa reconnaissance des armées que Clément de Rome et Ignace d'Antioche, car il ne remet jamais en cause ni l'enrôlement, ni le serment de fidélité du soldat à l'empereur. Écrivons le franchement, Justin admire l'armée en transposant de manière parfois osée les étendards et la Croix du Christ ; il préfigure ainsi l'armée post-constantinienne. N'oublions cependant pas que la volonté première de Justin est de chercher à faire cesser les persécutions, dans une démarche apologétique, donc de défense de la religion chrétienne avant tout. Il faut donc peut-être plus y voir une concession au temps qu'une apologie de l'armée.