Le Parti socialiste a créé à l’usage de ses militants une collection intituléeL’esprit du socialisme. Et que lit-on à son propos sous la plume de Gérard Delfau, à l’époque délégué général du PS à la formation ?
« Au lendemain du congrès de Pau, nous lancions le thème de l’identité du P.S. comme base de la formation de ses militants. Pendant deux ans cette formule, si vite devenue familière, fut appliquée surtout aux trois axes fondamentaux que sont l’Union de la gauche, le Front de classe, l’autogestion. (…) Il faut à présent faire un pas de plus et enraciner notre identité dans le patrimoine du mouvement socialiste depuis un siècle. »
[Gérard Delfau, in : Léon Blum, Discours de Tours, Parti Socialiste formation, 1977, page 2 de couverture]
Ainsi, à son propre propos, à propos de sa propre pensée, le Parti socialiste n’hésite pas à évoquer les notions d’identité, de patrimoine, … Il en fait même une base, une formule familière ! Et ce qu’il admet à son propos, ce qu’il admet pour la Nation socialiste, autre terme historique, il le dénie à la France elle-même ! Ceci est quant même surprenant ! Ce paradoxe a d’ailleurs été soulevé par Jean-Pierre Chevènement, mais aussi par des penseurs socialistes tels que Roger Sue et Alain Caillé… Il est vrai aussi que beaucoup ont surtout, outre les traditionnelles querelles partisanes que la France ne sait surmonter, voulu défendre une conception autre de la France et de la nation ! Peur des socialistes que ce débat ouvre les yeux des électeurs du Front National, les débarrasse de leurs peurs et les ouvrent à la fraternité, vidant ainsi ce parti de ses électeurs, le privant ainsi de son rôle d’épouvantail inventé parFrançois Mitterrand ? Peur des socialistes de voir enfin la France réunifiée autour des valeurs de la République, qui ne sont pas celles dusocialisme, la simple relecture de Léon Blum, voire même du programme de Suresnes le démontrant ?
« (…) Je n’y reviendrai pas. Il n’y a pas unseul socialiste qui consente à se laisser enfermer dans la légalité. (…) Je dis qu’il n’y a pas le moindre rapport entre l’action illégale sur laquelle nous sommes, je le répète, tous d’accord,et l’action clandestine, sur laquelle nous sommes loin d’être d’accord. La preuve que les deux notions ne coïncident pas, c’est qu’à l’heure présente le Parti français reconnaît la légitimité de l’action illégale et qu’il ne connaît pas encore d’organisation clandestine. (…) Un système socialiste se juge avant tout à sa conception révolutionnaire parce que la conception révolutionnaire est l’essence de toute doctrine socialiste. (…)La doctrine du Parti est une doctrine révolutionnaire. Si quelqu’un y manque, si quelqu’un y a manqué, c’est aux militants, aux Fédérations, aux Congrès, à appliquer les sanctions que le règlement prévoit. (…) Je ne connais qu’un socialisme, le socialisme révolutionnaire, puisque le socialisme est un mouvement d’idée et d’action qui mène une transformation totale de régime de la propriété, et que la révolution c’est, par définition, cette transformation même. (…) Révolution, cela signifie, pour le socialisme traditionnel français : transformation d’un régime économique fondé sur la propriété privée en un régime fondé sur la propriété collective ou commune, voilà ce que cela veut dire. C’est cette transformation qui est par elle-même la révolution, et c’est elle seule, indépendamment de tous les moyens quelconques qui seront appliqués pour arriver à ce résultat. Révolution, cela veut dire quelque chose de plus. Cela veut dire que ce passage d’un ordre de propriété à un régime économique essentiellement différent ne sera pas le résultat d’une série de réformes additionnées, de modifications insensibles de la société capitaliste. »
[Léon Blum, Discours de Tours, 29 décembre 1920]
On a dans ce discours deTours beaucoup d’éléments qui sont contraires aux valeurs de la République, ne serait-ce que l’illégalisme et la remise en cause de la propriété ! Pourtant les socialistes continuent, par exemple dans la motion Harlem Désir au congrès de Toulouse en 2012, de se référer aux valeurs de la République…, et c’est heureux !
Souvenons-nous de Mitterrand parlant en 1972 de ceux qui prennent conscience de l’identité profonde de leur condition [cité in :L’OURS, Janvier-juin 2011, page 182] ? Mitterrand peut parler de l’identité de classe pour lutter contre ce qu’il appelle la droite, mais pas l’UMP ? Sans même parler du Président François Hollande parlant d’intérêt national, d’élan patriotique devant les caméras de TF1 le 9 septembre 2012, sans que personne ne s’indigne à gauche ? Deux poids, deux mesures ?
François Hollande lui-même, et tout le Parti Socialiste avec lui, avait d’ailleurs reconnu la nécessité de l’identité républicaine française, y associant d’ailleurs la … nation, en proclamant :
« C'est la France - depuis la Révolution - qui a défini avec le plus de forceune conception de la nation qui en fait avant tout une " communauté de citoyens ". L'identité républicaine française s'est fondée sur une aspiration universaliste qui lui a fait repousser toute définition de la nation par la race, la religion, la géographie, la langue même. La formule de Renan, " un vouloir vivre ensemble ", a été et demeure celle de tous les républicains. Les droits sociaux, qui complètent et accomplissent la citoyenneté politique, ont été acquis dans ce cadre national. L'État nation n'a pas effacé les diverses appartenances locales, professionnelles, communautaires parfois, mais il a su les dépasser, les faire coexister par le respect de la laïcité. Les autres nations européennes ne s'appuient pas sur la même logique : la tradition anglaise fonde son État avant tout sur la défense des libertés individuelles, la tradition allemande sur l'existence d'un peuple fondé sur la culture et la langue ; elles n'ont pas construit souvent la même relation étroite que la France avec leurs États, mais elles ont rempli des fonctions semblables. »
[Vouloir une Europe de gauche, texte présenté par François Hollande, la directionnationale du PS, et adopté par le Conseil national du PS le 1er mars1999]
Quel démocrate a dit autre chose ?
On notera d’ailleurs d’ores et déjà que le socialisme a depuis longtemps donné une définition au mot nation, puisqu’il y a une entrée à cette occurrence dans le toujours utilisé Grand Dictionnaire du Socialisme :
« Nation. Ensemble des hommes ayant des origines communes, des mœurs semblables et habitant le même territoire. »
[ Compère-Morel (Ad.), Grand dictionnaire socialiste du mouvement politique et économique national et international, Publications sociales,Paris, 1924, p. 561, col. 2]
Nous lisons bien dans cette définition les expressions mœurs semblableset origines communes. Cette définition dépasse donc même la simple identité ! Et, telle quelle, elle est pour le moins insuffisante, pour le plus source d’exclusion ! Certes le Parti Socialiste a bien changé depuis cette époque, mais qu’il change alors ses références ! Il n’y a par contre aucune entrée identité à ce dictionnaire, même si le mot s’y retrouve à plusieurs reprises… Il est vrai aussi que le même dictionnaire réserve l’humanité aux seuls êtres de sexe masculin :
« Homme. Etre du sexe masculin au langage articulé, susceptible de perfectionnement moral et de progrès social et qui constitue, avec ses semblables, la société humaine. »
[Compère-Morel (Ad.), Grand dictionnaire socialiste…, op.cit., p. 374, col. 2]
Sidérant ! Seules les personnes de sexe masculin formeraient-ils la société humaine ? Il est vrai que la simple lecture de la définition de la femme est elle aussi surprenante :
« Femme. Épouse, amie ou compagne de l’homme, à qui la nature a dévolu la tâche de procréer. »
[Compère-Morel (Ad.), Grand dictionnaire socialiste…, op.cit., p. 298, col. 1]
La femme réduite au seul rôle de procréation, d’éleveuse d’hommes, car ce même Grand dictionnaire socialiste, toujours page 298, fait suivre sa définition de la femme de cet extrait du Manifeste de Gracchus Babeuf :
« Laissez vos femmes prendre part à l’intérêt de la patrie ; elles peuvent plus que l’on ne pense pour sa prospérité. Comment voulez-vous qu’elles élèvent des hommes pour en faire des héros, si vous les anéantissez. »,
cette citation étant précédée de l’invite suivante :
« Il ne faut pas négliger la femme. »
Sidérant, je me répète ! Ne pas la négliger car elle est mère et éducatrice, mais bien distincte de l’homme… ! Que diraient les socialistes actuels si quelqu’un sur leur droite usait de ces définitions qui sont pourtant les leurs ? Que disent les théoriciens du genre de cette définition socialiste ? Les socilaistes ont évolué sur ces points, et c’est heureux. Alors, pourquoi ne veulent-ils pas admettre que la Droite ait pu évoluer sur les mêmes points, alors même que cette dernière était moins réductrice ?
Un autre exemple de la large utilisation par le Parti Socialiste de la notion d’identité ?
« Les effets de la révolution technologique, de la mondialisation économique et financière ainsi que la disparition des blocs antagoniques, sont très importants dans le cadre où se réalise la démocratie et la souveraineté : l'état nation. (…) Dans les processus de décentralisation vers le haut et vers le bas, l'Etat Nation est le véritable garant de la cohésion de ces ensembles. (…) [Décentralisation] vers le bas, dans des processus der épartition territoriale interne du pouvoir, à la recherche d'une plus grande souplesse, d'une plus grande proximité de l'électorat et, parfois d'une plus grande adéquation aux identités diverses. Le critère de subsidiarité commence ainsi à servir de guide à la répartition du pouvoir, mais on sous estime encore les critères d'identité et de cohésion des ensembles qui en résultent, et le fait que les risques de désintégration sociale et territoriale peuvent augmenter. (…) La Solidarité, en tant que valeur qui définit notre identité. (…) Rien de plus naturel dans un courant historique pluriel et démocratique, respectueux des identités de chaque pays, et des priorités immédiates de chaque moment historique dans les sociétés nationales. (…) Sur ces bases, nous développerons des programmes nationaux, adaptés à nos identités propres, … (…) La révolution technologique, dans sa neutralité intrinsèque, offre des possibilités inédites au bénéfice du genre humain, en même temps qu'elle engendre des menaces pour son intimité, sa dignité et son intégrité, et pour son identité culturelle, valeurs que nous avons l'obligation de sauvegarder. (…) Diverse et ouverte dans les instruments pour arriver à ces objectifs, d'accord avec les priorités immédiates et les identités des sociétés auxquelles nous nous adressons. (…) avec des intérêts et des identités de civilisations communs, compte tenu de la diversité culturelle. (…) C'est la responsabilité de la politique d'avancer vers un nouvel ordre international qui garantisse la paix et la sécurité, en respectant la diversité des identités, en apprenant à partager des valeurs différentes mais dans le respect des droits humains universels. (…) Les droits de l'Homme et l'expansion de la démocratie, dans toutes les parties de la planète ettoutes les identités culturelles, sont les aspirations fondamentales de la gauche que nous représentons. »
[Parti Socialiste, Déclaration de Paris,Pour une société plus humaine, pour un monde plus juste, document disponible sur le site Internet du Parti Socialiste]
Là, nous avons droit à l’identité à toutes les sauces, dans toutes ses dimensions : nationale, culturelle, socialiste, régionale, valeur, etc., et même insistance sur le concept d’Etat-nation ! Et que penser de ce journaliste de Gauche demandant le 18 septembre 2012 sur France-Infoque l’on rende son identité à la gauche ?
Le 8 avril 2014, Manuel Valls parlait à la tribune de l’Assemblée Nationale de Nation, d’essence de la Nation, d’idée d’appartenir à une même Nation, de crise de … l’identité…, jusqu’alors des « gros mots » pour lui lorsque nous débattions… Fabius parle aussi, au sujet de l’Ukraine d’unité nationale, d’identité nationale… Alors, pourquoi ne pas les prendre au mot et relancer le débat ?