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14 octobre 2013 1 14 /10 /octobre /2013 06:09

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Les difficultés de l’approche selon l’origine de l’idée

 

Onzième difficulté : sensation v. raison

 

Reste la question de l’origine, de la manière dont nous vient ou nous est venue l’idée de nation… Et, là encore difficulté ! En effet, l’origine d’une idée peut être expérimentale (de l’externe), psychologique (de l’interne), bref liée à l’idée de sensation, l’intuition pouvant être considérée comme une sensation ; mais elle peut aussi être d’origine rationnelle, produit non plus de la sensation mais de la raison. Or, la nation est tout cela à la fois : le fruit d’une expérience sociale commune, le fruit d’une intuition de communauté, mais aussi le fruit de la raison elle-même, ce qui fut le cas dans l’esprit de la plupart des Constituants…

 

La nation est un phénomène tant psychologique que moral, mais surtout un phénomène social, supposant donc une nature ayant une certaine fixité, indifférente à l’action qu’elle subit, ce qui est distincte de l’identité. Or, un phénomène social est modifié en permanence par la conscience même que l’on en prend, ce qui permet de lui proposer d’autres fins. Cela le distingue d’une technique politique qui consiste à utiliser, pour une fin clairement définie, des déterminismes naturels ; on pensera ici à la pensée de Dominique Parodi.

 

Douzième difficulté : vérité v. erreur

 

Maintenant, on considère, du moins en Occident, qu’une idée est soit juste, soit fausse, ce qui a été au cœur du débat politique sur ce sujet quant à la nation. Mais comment se fait-il que l’idée maîtresse d’une Constitution puisse tantôt être jugée vraie, tantôt jugée fausse, parfois même par les mêmes personnes, non pas forcément simultanément dans le temps, mais dans l’espace ? Tout est ici affaire de jugement. Néanmoins, un concept aussi fort que celui de nation ne devrait pas être jugé faux par des républicains, tout comme des anti-démocrates ne devraient pas forcément le juger comme vraie ! Paradoxe ! Si l’idée de nation est à la fois juste ou fausse selon l’instant ou le lieu, c’est donc qu’elle est mal définie ou indéfinissable, car un jugement ne peut pas être double sur le même objet ! De plus, si une idée est jugée de cette manière, elle ne peut en aucun cas être cause première, alors même qu’elle est centrale dans notre histoire constitutionnelle ! Enorme difficulté !!!

 

Treizième difficulté : un, deux, trois, quatre….

 

Ne faudrait-il donc pas raisonner autrement la nation, selon une autre logique, par exemple en s’inspirant d’autres cultures, non forcément contradictoire ? Par exemple, la logique japonaise n’admet pas deux possibilités de jugement, mais quatre : certes le « oui » et le « non », mais aussi le « oui-et-non » et le « ni-oui-ni-non » (cf. Marc Luyckx, Les religions face à la science et la technologie, Commission des Communautés européennes, Bruxelles, novembre 1991, page 181). On notera que, dans son Ethique à Nicomaque, Aristote dit clairement que le juste est quelque chose de proportionnel (…) et que la proportion discrète est formée de quatre termes (…) le juste se [composant] également de quatre termes au moins, (…)(Aristote, Ethique à Nicomaque, V, III, 8-9) ; notons aussi que, dans son Ethique à Eudème, il insiste sur la médiété et sur les intermédiaires qu’elle porte (Aristote, Ethique à Eudème, II, 3). Il n’y a donc aucune incompatibilité avec la pensée européenne classique !

 

Dès lorsque l’on modifierait les possibilités de jugement logique, certaines difficultés s’estomperaient, …même si d’autres émergeraient… Ou encore admettre que la nation, idée métaphysique par nature, tout en n’échappant pas aux obstacles et aux difficultés de la métaphysique et de la théodicée, peut être pluriel tant verticalement qu’horizontalement en un même espace, ce qui condamne d’une manière ou d’une autre la conception fixiste de l’Etat-nation ? Ou encore penser la nation non plus dans les approches monistes, duales ou ternaires traditionnelles aux sociétés indo-européennes et méditerranéennes pour la penser dans la vision quaternaire proposée par les civilisations noires africaines, par l’hindouisme tardif ou encore par … le Catholicisme marial ! … Treizième difficulté, d’autant plus que chacune de ces quatre approches cosmologiques du monde a sa propre approche de la nation, le problème définiteur se posant en fait dès que la vision dépasse le binaire car on n’est plus dans le duel mais en présence d’une altérité qui complexifie les rapports qui, dès lors, ne sont plus simplistes !

 

On pourrait réfléchir à partir de la vision quaternaire, qui permettrait d’intégrer le « soi », l’ « autre », le « tierce » et … le monde lui-même ! Et nous n’avons pas forcément à inventer ! L’organisation des sociétés et des pouvoirs africains n’est pas trinitaire mais quaternaire (cf., y compris pour  les trois éléments suivants, Dika-Awa nya Bonambela, « La sacralité du pouvoir et le droit africain de la succession », in : Sacralité, pouvoir et droit en Afrique, Éd. du CNRS, 1979, et notamment de la page 39 à la page 45) :

il y a ainsi quatre fondements du pouvoir : l’homme, l’ancêtre, la divinité et enfin Dieu en tant que tel ;

chaque point cardinal est associé à une saison ou à un moment de la journée, les règles organisant l’espace de la cité reflétant celles de l’organisation sociale, mais aussi et surtout la cosmologie. En effet, la cité est organisée sur un plan quaternaire, y compris en Égypte pharaonique ;

tout comme il y a quatre formes d’énergie substance de tout pouvoir politique : la capitalisation des biens, la capitalisation des parentés, la capitalisation de prestige et la capitalisation des connaissances.

 

Donc, alors que la conception de la société en Europe et en Asie occidentale et centrale est avant tout géo-cosmique, elle est avant tout cosmo-biologique en Afrique. En Afrique noire, le pouvoir et le droit partent de l’ethnie pour aboutir au cosmos en passant par l’organisation sociale, alors qu’en Europe et dans le monde indo-européen, le pouvoir et le droit partent du cosmos, de la terre et de l’individu pour aboutir, là encore par l’organisation sociale, à la société ; et, dans la pensée des Lumières qui nous baigne et qui inspire notre vision politique, la nation est substitut au cosmos... Et pas de rupture néanmoins dans la pensée quaternaire puisqu’un point commun existe cependant : la nécessité d’une organisation sociale, ce qui explique pourquoi il y a conjonction entre les modes de royauté et les modes de sacralisation entre ces deux cultures…

 

Un autre point de conjonction est que, chez les noirs africains le trait d’union entre la divinité et l’humanité est symbolisé par trois pierres, trois autels, comme si la vision trinitaire restait la pierre de base de toute l’humanité dès que l’on veut institutionnaliser une autorité ou potentialiser une institution… On peut penser ici au Masoso, c’est-à-dire aux trois pierres reliant les divinités aux humains que l’on retrouve dans le foyer de chaque Père-maître et seigneur du lignage Djolof au Sénégal. À noter aussi une très fréquente division binaire entre le dos et le ventre…, ainsi qu’une vision unitaire dans l’approche solidaire de la famille, du groupe, de la tribu ou de l’ethnie…

 

Déconstruire ?

 

Il serait aussi intéressant de faire application à la nation des processus de déconstruction posés par Derrida, qui propose par ce procédé d’en revenir aux briques originelles, permettent de revenir à une structure initiale de pensée de cette idée, et ce quel que soit le penseur politique analysé. Le socle pourrait être, malgré les paradoxes, solide… Et si, en fait, ce n’était pas le schème fondateur qui variait, l’idée de nation qui variait dans ses imprécisions, mais seulement les schèmes interprétatifs ? Or, rien de cela n’a été fait !

 

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Et encore, je n’aborde pas encore ici la question de la définition de l’identité, mais, là encore, une bonne dizaine de difficultés surgirait, ne serait-ce qu’en confrontant l’approche de l’Aristote de Métaphysique ∆ de celle de ne serait-ce que du Lévi-Strauss de Race et civilisation ou du séminaire L’identité tenu au Collège de France en 1974/1975, en passant par l’identité en physique quantique !

 

Et encore je n’aborde pas encore ici la question des similitudes et des synonymies éventuelles entre les mots nation, Etat, ethnie, citoyenneté, cité, patrie, civilisation, communauté, société, peuple, race, famille, etc… Comme l’écrivait Blanqui à Maillard le 6 juin 1852, Gare les mots sans définition, c’est l’instrument favori des intrigants (Mss. Blanqui, NAF 9590, liasse VII, chemise 3, sous-chemise 5°, feuillet 379 sq., cité in : Louis Auguste Blanqui, Ecrits sur la Révolution, Œuvres complètes 1, Galilée, Pris, 1977, prés. A. Münster, page 355) ; or beaucoup de ces mots, si ce n’est tous, sont imprécis, en rien clairs et nets.

 

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Il fallait donc mener une démarche en cinq étapes :

Approcher ;

Déconstruire

Structurer ;

Décloisonner ;

Définir.

Sans cela, toute tentative de réflexion sur l’idée de nation et le concept d’identité nationale était inévitablement vouée à l’échec !

 

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Reste enfin une question indépassable : qui doit être le définiteur de la nation, de la morale et des valeurs qui en découlent ???

 

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Il y a en fait deux manières, non exclusives, d’appréhender le monde, ces deux manières faisant partiellement l’homme : l’usage et le sacré, l’homme étant à la fois celui qui use et celui qui respecte (et nous ne sommes pas racistes en évoquant cela puisque Malek Bennabi nous disait en 1957 dans son Vocation de l’Islam : « Une civilisation trouve son équilibre entre le spirituel et le quantitatif, entre la finalité et la causalité. » Comment dès lors, à moins de refuser le dialogue et de vouloir imposer sa pensée à l’autre, un musulman peut-il refuser une réflexion sur l’identité nationale, sur la nation ?) ! Mais le problème de l’humain est encore plus vaste, puisque ce problème est celui du questionnement de l’homme sur lui-même, et ceci est exclusif de l’idéologie puisque l’idéologie serait justement de dire que l’homme n’est que… On peut certes dire que l’homme n’est que raisonnable ; il est possible de construire bien des hypothèses sur l’affirmation de l’homme raisonnable ; on peut dire que l’homme n’est qu’homo faber, que prométhéen ; on peut bâtir des idéologies plus ou moins séduisantes mais toujours séductrices, tentatrices… Mais l’homme est aussi, ce que l’on oublie parfois consciemment, l’être du sacré, même s’il n’est pas que l’être du sacré. En effet, à partir du sacré oubliant la matière, on ne peut tomber que dans des dégradations, dans des succédanés du sacré en refusant de voir le monde où l’on vit, en refusant de voir ce qu’il y a de critique dans la vocation prométhéenne de l’homme ! Et, dès lors on retombe dans l’idéologie (c’est afin d’éviter cela que le Chrétien distingue bien les deux mondes, les deux royaumes, tout en maintenant une passerelle entre eux !) ! L’idéologie n’est en fait qu’une substitution/compensation à et d’un manque ! Et c’est là que se situe la question de la nation, passerelle ou plus exactement conjonction entre deux visions a priori opposées, mais pourtant complémentaires dès lors que le divin est exclu du champ politique !

 

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En ultime conclusion apparemment décalée… La solution ne réside pas dans la sortie des Europes ; cette sortie serait même une grave erreur, ne serait-ce que parce qu’elle serait trop tardive ! Il est tout à fait possible de sortir de la logique posée par François-Xavier Ortoli en septembre 1974, logique prétendant que l’Europe ne se fera pas ; ni sous une forme, si sous une autre, sauf en démolissant la puissance des Etats, et ce sans briser les Europes… Et la nation peut y trouver toute sa place !

 

Et l’exclusion de l’autre n’est pas non plus une réponse à la question de l’identité nationale ! Outre le fait que cette attitude ne serait en rien chrétienne (pensons ne serait-ce qu’au point LIII, 1 de la Règle de Saint Benoît : « Tous les hôtes survenant au monastère doivent être reçus comme le Christ, car lui-même dira un jour : « J’étais sans toit et vous m’avez reçu. » »…, qui ne signifie cependant pas que ces hôtes doivent pouvoir tout faire sous le toit du monastère, la règle, tout en respectant leur identité s’imposant à eux comme aux moines, mais avec une forme plus douce…), et ce même si la partie en face ne joue pas toujours le jeu, gardons à l’esprit, comme nous y appelait Claude Lévi-Strauss que les différences culturelles entre nationaux et migrants [créent] un nouvel espace politique, notamment par les revendications de formes culturelles de patrimoine et d’identité  ( Claude Lévi-Strauss, première page de son introduction au Rapport mondial de la culture Diversité culturelle, pluralisme et conflits, UNESCO, Paris, 2000) ; de formes culturelles, pas de substitution à la culture nationale existante ! C’était là encore un enjeu du débat qui fut bien oublié…

 

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Pour finir, ce que j’appelle le paradoxe du Légionnaire. Le légionnaire, quelle que soit son origine, sa langue, son ethnie, sa communauté ou sa race, tout en ayant la Légion pour patrie, reste très souvent attaché à son pays d’origine dont il est parfois toujours le national, tout en servant, bien qu’étranger, la France, le plus souvent sans avoir ni la culture, ni la nationalité, ni la citoyenneté de cet Etat, ce service en faisant pourtant par son choix un membre à part entière de la Nation française ! Mais tous ces mots ont-ils été définis ?

 

Et puis, faut-il condamner le Fier d’être Marseillais ! des tribunes du Vélodrome ?

 

Et si, tout simplement, nous lisions la nation non pas en termes de vouloir-vivre collectif, mais en termes de vouloir-aimer collectif ? Une fois pour toutes, on t’impose un précepte facile : Aime, et fais ce que tu voudras nous apprend Saint Augustin (Saint Augustin d’Hippone, Septième traité sur l’Épître de saint Jean aux Parthes, 8). Et si c’était cela la nation ?

 

« Aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. À ceci tous vous reconnaîtront  pour mes disciples : à l'amour que vous aurez les uns pour les autres. » (Jn 13, 34b-35)

 

Mais… Et si c’était cela qui gênait tant les penseurs du marxisme ? … tout comme l’on efface aujourd’hui l’idée principielle de fraternité au profit de celle, réductrice mais néanmoins fondamentale, de solidarité, la fraternité étant jugée par certains comme trop proxime avec le concept chrétien de charité.

 

 

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