Début du XIIIème siècle av. J.-C. : bataille d'Arad (Nb 14, 44-45 ; 21, 1-3 ; 33, 40 ; Dt 1, 41-44) - milieu du XIIIème siècle av. J.-C. : conquête au delà de Canaan (Nb 20, 14-21, 30 ; 33, 37-49) ; conquête de Canaan (Jos 3-8, 29) ; bataille de Gabaôn (Jos 10, 1-15) - fin du XIIIème siècle av. J.-C. : conquête des villes du bas-pays (Jos 10, 28-35) - fin du XIIIème siècle/début du XIIème siècle av. J.-C. : guerre de Débora (Jos 12, 19-23 ; Jg 4-5) ; bataille des eaux de Mérom (Jos 11, 1-15) - XIIème-XIème siècles av. J.-C. : guerre d'Éhud (Jos 3, 12-30) - XIIème siècle av. J.-C. : campagne de Gédéon et poursuite des madianites (Jg 6-8) - fin du XIIème siècle av. J.-C. : guerre de Jephté (Jg 11-12, 7) - v. 1050 av. J.-C. : bataille d'Ében-Ha-Ézèr (1S 4) - v. 1025 av. J.-C. : bataille de Mikmas (1S 13, 1-18) - etc… etc… etc… La quasi-totalité des livres historiques de l'Ancien Testament ne sont pas, du moins en apparence, des livres de paix ; ils ne semblent souvent que rapporter des récits de guerres et de batailles, de pillages et de massacres, de trahisons et de ruses... Les Hébreux ont été indubitablement, et quelles qu'en furent les raisons, un peuple belliqueux, ou pour le moins guerrier. Il faut dire que les perspectives ouvertes par l'alliance sinaïque ne sont point de paix mais de combat : Dieu donne une patrie à son peuple, mais celui-ci doit la conquérir (Ex 23, 27-33) (Léon-Dufour (X.) dir., Vocabulaire de théologie biblique, Paris, Cerf, 1981, 5ème éd., page 519, col. 1, II, 1) …
Pourtant, malgré ce que nous qualifierions aujourd'hui de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre, d'exactions, leurs guerriers ne furent ni des héros fabuleux, ni des conquérants dont l'emploi était de ravager les villes et les provinces et de réduire les peuples sous leur domination par orgueil, envie de se faire un nom ou de dominer. Ce furent à quelques exceptions près de sages et vaillants chefs de guerre - Josué, Caleb, Gédéon, Jephté, Samson, David, Josias, Maccabée, … - suscités par Dieu pour livrer les guerres du Seigneur (1S 18, 17) - qui ne sont pas des guerres de religion -, voire exterminer ses ennemis :
" David massacrait la population, ne laissant en vie ni homme ni femme, enlevant petit et gros bétail, ânes, chameaux et vêtements (…). David ne laissait ramener vivant à Gath ni homme ni femme… " (1S 27, 9 & 11).
Mais même les guerres du Seigneur ne sont pas des guerres de religion :
" Chez tous les peuples anciens, la guerre a été liée à des actes religieux (…) Toute guerre antique est donc sainte, au sens large. (…) Toutes les institutions d'Israël ont revêtu un caractère sacral (…) Ceci ne signifie pas que la guerre soit une guerre de religion. Cet aspect n'apparaîtra que très tard, sous les Maccabées. " (de Vaux (R.), Les Institutions de l'Ancien Testament, Paris, Cerf, 1960, tome II, page 72).
Il faut néanmoins ne pas se tromper et bien se replacer dans le contexte de l'Antiquité où le génocide était la norme. Il suffit pour s'en convaincre de relire Homère, Thucydide ou Jules César. Les concepts contemporains ne sont donc pas transposables tels quels à l'Antiquité ; faire cette transposition sans réfléchir, sans esprit critique, sans mise en perspective serait une très grave erreur. Les Hébreux ne furent ni pires, et peut-être même furent-ils parfois meilleurs que la plupart de leurs contemporains, Dieu leur ayant imposé des limites lorsqu'il le jugeât nécessaire, leur ayant envoyé des Prophètes pour les avertir, même si ces derniers ne furent pas toujours écoutés.
Les Hébreux ne (se) firent donc pas la guerre pour des motifs insignifiants ; ils ne la faisaient pas non plus avec de petits effectifs, sauf exception, tous les Hébreux, tous hommes de Juda ou d'Israël étant concernés. Ceci ne fut pas sans conséquences sur la forme et la conduite des guerres des Hébreux, puisque, en l'absence d'armée professionnelle ou presque, les guerriers devaient se munir de leurs provisions ou les prendre sur le pays ennemi, le butin étant autorisé ; ceci explique peut être pourquoi les guerres de cette époque étaient le plus souvent de très courte durée. Un seul exemple : David, le plus jeune des fils de Jessé, étant demeuré auprès des troupeaux de son père pendant que ses frères étaient à l'armée de Saül, Jessé envoya David porter des vivres à ses frères (1S 17, 14-18). Il semble que cette pratique se maintint sous Josué, sous les juges, sous Saül, sous David au commencement de son règne, sous les rois de Juda et d'Israël successeurs de Roboam et Jéroboam, et sous les Maccabées, jusqu'au temps de Simon Maccabée qui eut des troupes entretenues et soldées (1M 14, 32). De plus, dans les premiers temps, chacun devait aussi fournir ses armes pour la guerre, puisque ce n'est qu'à partir de David que les rois des Hébreux commencèrent à avoir des arsenaux. Les soucis de logistique et d'intendance n'étaient visiblement pas une priorité pour les Hébreux…
Quand les Hébreux faisaient la guerre, il en allait de la survie du peuple ; il en était de la volonté de Dieu… Et lorsqu'une guerre n'était pas livrée pour cela, il arrivait fréquemment que Dieu lui-même s'opposât à la victoire de son peuple.
Dans tous les cas, les motifs des guerres ont été variés. Par exemple, sous Josué, il était question de se rendre maître d'un vaste pays que Dieu aurait donné aux Hébreux, d'exterminer plusieurs peuples plus puissants que Dieu aurait dévoués à l'anathème, de venger une offense faite à Dieu ou encore la nature outragée par un peuple impie et corrompu. Sous les Juges, il s'agissait de se libérer du joug des rois puissants qui tenaient les Hébreux assujettis. Sous Saül et sous David, on vit les mêmes motifs pour entreprendre les guerres, et on y joignit celui de faire la conquête des provinces dont Dieu avait promis la jouissance à son peuple. Il ne s'agissait de rien moins que d'abattre la puissance des Philistins, des Ammonites, des Moabites, des Iduméens, des Arabes, des Syriens, et des différents princes qui possédaient une parcelle quelconque de la Terre promise.
Dans les derniers temps des royaumes d'Israël et de Juda, on a vu ces rois soutenir le poids, tenter de résister aux plus grandes puissances de l'Asie, aux rois d'Assyrie et de Chaldée, Salmanasar V (2R 17, 3-5 ; 18, 9-10), Sennachérib (2R 18, 7-19; 19, 9b-36 ; 2Ch 32, 17.20-22), Asarhaddon (2R 19, 37; 2Ch 33, 11; Tb 2, 1) et Nabuchodonosor (2R 24; Jr; ….), qui faisaient trembler tout l'Orient. Sous les Maccabées, il fallait avec une poignée de gens résister à la toute puissance des rois de Syrie, et soutenir contre eux la religion de leurs pères, secouer le joug d'une domination qui en voulait tant à leur religion qu'à leur liberté. Dans les derniers temps de leur nation, avec quel courage, quelle intrépidité, quelle constance n'ont-ils pas soutenu la guerre contre les Romains, qui étaient alors les maîtres du monde ?
On distingue en fait deux sortes de guerres chez les Hébreux. Les unes sont des obligations, commandées par le Seigneur, étant celles que Dieu ordonnait de faire, par exemple celles contre les Amalécites (par exemple : Ex 17, 8-16 ; Dt 25, 17-18 ; 1S 14, 48 ; 15, 1-7 ; 1Ch 4, 43 ; Ps 83, 8 ; …), peuple nomade du Négeb et de la montagne de Séïr dévoué à l'anathème :
" C'est la guerre entre le Seigneur et Amaleq d'âge en âge ! " (Ex 17, 16).
Les autres sont des guerres libres et volontaires, entreprises par les chefs du peuple de Dieu pour venger les injures à la nation, pour punir le crime ou l'insulte ; en effet, toutes les lois mosaïques supposent partout que les Israélites feraient dans ces cas la guerre et la soutiendraient contre leurs ennemis. On prendra comme exemple, la guerre que les Hébreux firent contre la ville de Géba et contre la tribu de Benjamin, son alliée, ainsi que celle de David contre les Ammonites, dont le roi avait insulté ses ambassadeurs. Cette forme de guerre pouvait aussi avoir lieu pour défendre ses alliés, comme celle de Josué contre les rois cananéens qui attaquèrent les Gabaonites. Enfin, toutes les raisons qui peuvent autoriser une nation ou un prince à faire la guerre à une autre nation ou à un autre prince subsistaient à l'égard des Hébreux.
Chez les Hébreux, la guerre menée par orgueil ou par soif du pouvoir est injuste, car elle n'a pas une juste cause. De plus, dans l'Ancien Testament les guerres justes sont toujours gagnées, alors que les guerres injustes sont toujours perdues… Deux exemples :
- la guerre de Ben-Hadad II, roi d'Aram, venu avec son armée devant Samarie, et envoyant déclarer la guerre à Achab, septième roi d'Israël (1R 20, 3-21). Fondée sur des demandes injustes et exorbitantes, cette guerre fut perdue, et Ben-Hadad fut obligé d'abandonner après de nombreuses pertes. La guerre menée par Ben-Hadad était injuste car il était l'envahisseur tout en agissant par orgueil ;
- de même, lorsque Amasias, roi de Juda, orgueilleux de quelques avantages qu'il avait remportés contre les Iduméens envoya défier Joas, roi d'Israël (2R 14, 8-13 ; 2Ch 25, 20-23). Les deux rois se virent avec leurs armées à Bet-Shémesh, à la frontière de Juda et de Dan (Jos 15, 10), mais celle de Juda fut battue. Le roi de Juda cherchait à mener une guerre par orgueil ; il fut défait car sa guerre était injuste.
On trouve par ailleurs dans le Deutéronome les premiers éléments d’un droit de la guerre, ce qui est extraordinaire pour l’époque, En effet, outre la soumission aux commandements de Dieu, les Hébreux sont soumis aux bribes d’une éthique de et à la guerre, puisque la première des lois de la guerre posée par l'Ancien Testament est qu'on la déclare à son ennemi, et qu'on lui demande premièrement réparation du tort qu'on prétend qu'il a fait, avant de l'attaquer :
" Lorsque tu t'approcheras d'une ville pour la combattre, tu lui proposeras la paix " (Dt 20, 10).
Mais la condition de cette paix est ambiguë, car elle est sans aucune alternative réelle : soit la soumission, soit la mort.
" Si elle l'accepte et t'ouvre ses portes, tout le peuple qui s'y trouve te devra la corvée et le travail. Mais si elle refuse la paix et te livre combat, tu l'assiègeras. Yahvé ton Dieu la livrera en ton pouvoir, et tu en passeras tous les mâles au fil de l'épée. Toutefois, les femmes, les enfants, le bétail, tout ce qui se trouve dans la ville, toutes ses dépouilles, tu les prendras comme butin. Tu mangeras les dépouilles de tes ennemis que Yahvé Dieu t'aura livrés. C'est ainsi que tu traiteras les villes très éloignées de toi, qui n'appartiennent pas à ces nations-ci. Quant aux villes de ces peuples que Yahvé ton Dieu te donne en héritage, tu n'en laisseras rien subsister de vivant. Oui, tu les dévoueras à l'anathème, ces Hittites, ces Amorites, ces Cananéens, ces Perizzites, ces Jébuséens, ainsi que te l'a commandé Yahvé ton Dieu, afin qu'ils ne vous apprennent pas à pratiquer toutes ces abominations qu'ils pratiquent envers leurs dieux : vous pécheriez contre Yahvé votre Dieu ! Si, en attaquant une ville, tu dois l'assiéger longtemps pour la prendre, tu ne mutileras pas ses arbres en y portant la hache ; tu t'en nourriras sans les abattre. Est-il l'homme, l'arbre des champs, pour que tu le traites en assiégé ? Cependant, les arbres que tu sais n'être pas des arbres fruitiers, tu pourras les mutiler, les abattre, et en faire des ouvrages de siège contre cette ville en guerre contre toi jusqu'à ce qu'elle succombe " (Dt 20, 11-20).
Néanmoins, une telle attitude n'est pas spécifique aux Hébreux. Elle est courante dans le monde antique comme le démontre entre autres Thucydide lorsqu’il évoque l'expédition d'Athènes, pourtant décrite comme un modèle de démocratie dans le monde antique, contre l'île de Mélos pendant la guerre du Péloponnèse (Histoire de la guerre du Péloponnèse, V, 84-116) ; après avoir refusé la soumission, les Méliens durent subir un long siège :
" Le siège fut mené avec vigueur ; la trahison s'en mêlant, les Méliens se rendirent à discrétion aux Athéniens. Ceux-ci massacrèrent tous les adultes et réduisirent en esclavages les femmes et les enfants. Dès lors, ils occupèrent l'île où ils envoyèrent ensuite cinq cents colons. " (V, 116).
Il ne faut donc pas réfléchir à propos du monde antique selon les conceptions modernes de crime contre l’humanité, de crime de guerre et de crime de génocide (cf. Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948), de telles notions n’ayant aucune signification pour une époque où ils étaient la norme. Il ne faut donc en aucun cas transposer ce texte à notre époque contemporaine et vouloir en faire une norme actuelle, et surtout ne pas chercher comme le font certains à justifier certaines actions passées ou actuelles contre les Juifs par l’existence de ce passage qui relève d’un passé révolu, et d’ailleurs non spécifique aux Hébreux ! Ceci est d’autant plus important que, tranchant avec leurs contemporains, les Hébreux posaient déjà des règles qui sont devenues des fondements du droit actuel de et à la guerre, notamment en ce qui concerne la protection de l’environnement naturel ; de même, il ne faut oublier que le Décalogue interdisait le rapt et les rapines (Ex 20, 15.17 ; Dt 5, 19.21). Ainsi, malgré des excès et des atrocités perceptibles et condamnables à nos yeux actuels, les Hébreux étaient réellement très en avance sur leurs contemporains en matière de jus in bello et de jus ad bellum.