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31 mars 2010 3 31 /03 /mars /2010 15:43

Clément d'Alexandrie (vers 150/vers 215) est assez souvent présenté comme ayant été avec Lactance et Cyprien de Carthage l'un des seuls Pères de l’Église à s'être véritablement élevé contre la guerre dans ses Stromates, y voyant une manifestation démoniaque : C'est lui qui pour les mortels du bien fait sortir le mal, et la guerre qui glace d'effroi, et les souffrances avec les larmes (Stromates V, 126, 5)

La seule réserve que l'on puisse faire ici est qu'il ne cite pas comme référence un passage quelconque de la Bible, mais … Orphée, du moins, le poème orphique grec, très vraisemblablement celui d'Hésiode ; la question était ici traitée dans le cadre d'un chapitre relatif à ce qu'il appelle les emprunts des Grecs aux Écritures saintes, ce qui est pour le moins une conjecture assez osée, tant dans son approche que dans l'interprétation qu'on lui donne. Néanmoins, il semble faire chrétienne cette assertion. On notera qu’il ne sera pas le seul à développer cette théorie “des larcins”, loin de là. On peut penser par exemple à Théophile d’Antioche…

A contrario de cette opinion assez commune, on peut citer un passage du Protreptique où il laisse entendre que le chrétien peut être soldat, ou plus exactement où il affirme que le soldat saisi par la Foi chrétienne pendant son service n'a pas à abandonner le métier des armes : La foi chrétienne t'a saisi sous les armes guerrières, écoute le capitaine dont le mot de ralliement est la justice. (Protrepticus, X, 100)

Ce passage faisant suite à des propos équivalents relatifs au paysan et au navigateur semble indiquer clairement que le soldat converti peut rester soldat, mais à la condition de suivre un chef juste. L'état militaire n'est donc pas mauvais par nature, la manière de l'exercer étant par contre elle soumise à la condition de justice.

 

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31 mars 2010 3 31 /03 /mars /2010 15:40

L’auteur l’Epître de Barnabé, qui n’est d’ailleurs en rien une lettre mais bien plus un court traité de théologie, ne nous est pas connu. Tout ce que l’on peut dire sur lui, c’est qu’il n’est en aucun cas le Barnabé compagnon de saint Paul ; c’est pourquoi on parle aujourd’hui plus fréquemment du pseudo-Barnabé. Pas plus que son auteur, la date et le lieu de rédaction de ce texte ne sont connus ; tout au plus semble t’on s’accorder aujourd’hui pour une datation au cours du premier quart du IIème siècle, vraisemblablement en Palestine, lieu où les diverses traditions du judaïsme restaient très vivantes. Ce point est important en ce sens que ce texte est avant tout une tentative de réponse à la position que doivent adopter les chrétiens face à l’Ancien Testament. Ce texte n’est donc en aucun cas anti-juif comme on l’a trop souvent écrit, mais bien plus un texte cherchant à combattre certaines tendances judaïsantes au sein même du Christianisme, tendances se fondant sur une lecture littérale des écrits vétéro-testamentaires. Dans tous les cas, le pseudo-Barnabé rejette cette forme de lecture. Et pour ce faire il s’appuie sur le texte de la Septante… Notons enfin que ce texte semble s’inspirer pour partie de la Didachè à laquelle il reprend d’une manière assez proche l’idée des deux voies, alors qu’il pourrait bien avoir inspiré Justin dans la rédaction de son Dialogue avec le Juif Tryphon, tant certaines ressemblances sont troublantes, y compris dans les exemples choisis ; on citera notamment les thèmes de la circoncision, du serpent d’airain, de Jésus fils de Navé, celui selon lequel seuls les Chrétiens savent lire l’Ancien Testament, etc…

Ce texte n’a pas d’autre vocation que théologique. C’est pourquoi il apporte peu d’informations directes sur ce qui est l’objet de la présente étude. De plus, il reste emprunt de millénarisme, chose fort courante à cette époque. De ce fait, la question de la guerre n’est pas d’importance, et ce pour deux raisons : - le monde romain ne la connaît pas véritablement à cette époque ; - c’est sans importance car les temps sont proches. Le pseudo-Barnabé le montre bien en écrivant, s’inspirant du livre d’Hénoch alors même qu’il n’est pas gnostique : Le scandale de la fin s’est approché (…). Le Seigneur a réduit les temps et les jours afin que se hâtât son bien-aimé (Épître de Barnabé, IV, 3 [trad. Sœur Suzanne-Dominique op])

Il est temps de s’occuper non des choses de se monde mais de la préparation de son salut à un événement que l’on croit proche… Et lorsqu’il parle de guerre, d’ennemis, le pseudo-Barnabé pense avant tout et uniquement guerre spirituelle, œuvre du ténébreux : l’ennemi est le mal, celui qui cherche à s’infiltrer parmi les hommes et dont il faut haïr les œuvres mauvaises (Épître de Barnabé, IV, 10 [trad. Sœur Suzanne-Dominique op]). La grandeur de saint Augustin sera de savoir traiter de ces deux guerres : la guerre terrestre et la guerre spirituelle, la plus dure car menée contre un ennemi que l’on ne voit pas !

Néanmoins, un certain nombre de passage permettent de se faire une idée de ce que pourrait être la pensée du pseudo-Barnabé quant à la guerre. Et tout d’abord, l’auteur nous dit que chacun obtiendra le prix de ses œuvres (Épître de Barnabé, IV, 12 [trad. Sœur Suzanne-Dominique op]). C’est donc l’action individuelle de chaque homme qui va guider son salut et le guider vers ce même salut. Il faut donc s’attacher aux quelques préceptes des deux voies pouvant concerner la guerre.

Pour ce qui est du chemin de la lumière, que la Didachè désigne sous le nom de voie de la vie, on peut retenir : N’abandonne pas les commandements du Seigneur (Épître de Barnabé, XIX, 2 (cf. Didachè, IV, 13) [trad. Sœur Suzanne-Dominique op]) ; Ne t’attribue pas la gloire ; ne forme pas de mauvais desseins contre ton prochain (Épître de Barnabé, XIX, 3 (cf. Didachè, II, 6) [trad. Sœur Suzanne-Dominique op] ; Tu aimeras ton prochain plus que ton âme (Épître de Barnabé, XIX, 5 (cf. Didachè, II, 7) [trad. Sœur Suzanne-Dominique op]) ; Persévère dans la haine du mal (Épître de Barnabé, XIX, 11 [trad. Sœur Suzanne-Dominique op]) ; Ne fait pas schismes, mais fait la paix en réconciliant les adversaires (Épître de Barnabé, XIX, 12 (cf. Didachè, IV, 3 et 14) [trad. Sœur Suzanne-Dominique op]

Adapté à notre sujet d’étude, on pourrait dire que par ces mots le pseudo-Barnabé interdit de tuer en toutes circonstances, interdit les guerres d’agression, interdit la guerre civile, incite le chrétien à être un acteur actif de la paix, bref autant de choses qui rendent la guerre horrible au chrétien. Par ailleurs, évoquant la voie du ténébreux, l’auteur signale que l’on y rencontre le meurtre, la rapine…, ce qui confirme par opposition les passages précités. Le chrétien ne peut donc faire la guerre, mais doit par contre se dépenser sans compter pour faire œuvre de paix, y compris sur terre, cette paix dont il salue, à l’imitation de saint Paul, ses lecteurs (Épître de Barnabé, I, 1 [trad. Sœur Suzanne-Dominique op]) ! Le chrétien doit réserver sa haine au seul mal ! Par ailleurs, sa reprise de [Ps 21, 21] (« Délivre de l’épée mon âme. » [trad. Sœur Suzanne-Dominique op]), même si elle peut recouvrir de nombreuses interprétations, peut aussi être lue au sens littéral, au vu de ce qui précède…

Par ailleurs, on notera que le pseudo-Barnabé recommande l’obéissance aux “chefs” : Obéis à tes maîtres comme à l’image de Dieu (Épître de Barnabé, XIX, 7 (cf. Didachè, IV, 11) [trad. Sœur Suzanne-Dominique op]). Il ne s’agit pas là des seuls chefs des églises, mais des maîtres en général comme le démontre la suite du texte. Un précepte souvent repris après, mais ô combien mal appliqué, en particulier par certains qui cherchèrent ainsi à tout se permettre au nom de Dieu !

Pour finir, on remarquera que le pseudo-Barnabé a soif de justice, justice qui est voulue par Dieu : Le Seigneur s’est fait mon compagnon dans le chemin de la justice (Épître de Barnabé, I, 4. [trad. Sœur Suzanne-Dominique op]), la posant même comme l’une des trois maximes du Seigneur : La justice, commencement et fin du jugement (Épître de Barnabé, I, 6 [trad. Sœur Suzanne-Dominique op]).

Mais cette justice est celle de Dieu, pas celle des hommes, même si les hommes se doivent d’être justes pour atteindre Dieu. Donc, en aucun cas on ne peut trouver ici un lien quelconque avec une quelconque idée de guerre juste… Il semblerait cependant que ce dernier passage soit une reprise tardive d’une glose marginale dans les manuscrits, et ne serait donc pas de la main du pseudo-Barnabé (cf. Les écrits des Pères apostoliques, Paris, Cerf, 2001, coll. Sagesses chrétiennes, page 268, note 2).

 

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31 mars 2010 3 31 /03 /mars /2010 15:39

Athénagore se qualifie lui-même dans l’envoi de ses ouvrages de philosophe chrétien d’Athènes. Mis à part cela, nous ne savons rien de sa vie ! Il ne nous reste d’ailleurs de lui que deux ouvrages : ⑴ une apologie intitulée Supplique au sujet des chrétiens - Legatio pro christianis -, ouvrage adressé à Marc-Aurèle et à Commode entre 176 et 180, vraisemblablement en 177 ; ⑵ un traité intitulé Sur la résurrection des morts.

Ce philosophe athénien converti au christianisme devait présenter vers l’an 177 à l’empereur Marc-Aurèle Antonin et à son fils Lucius Aurèle Commode, qu’il salue d’ailleurs du titre de vainqueurs des Arméniens et des Sarmates (Supplique au sujet des chrétiens, envoi), une apologie visant à répondre aux accusations faites aux chrétiens, en particulier celles d’athéisme, d’anthropophagie et d’inceste…

Bien que sa Supplique au sujet des chrétiens soit avant tout une apologie, cet ouvrage est aussi un précis doctrinal. En effet, après avoir demandé dans un exorde le bénéfice du droit commun pour les chrétiens, il annonce un certain nombre de propositions permettant  d’expliquer la position des chrétiens : On nous reproche trois choses : l’athéisme, les repas de Thyeste, et des alliances d’Œdipe. – Tous ces reproches se réduisent à de pures calomnies.

Et c’est principalement dans sa réponse à l’accusation d’athéisme qu’Athénagore allait faire une ébauche de théologie chrétienne, y énonçant assez clairement l’existence de Dieu, sa nature et ses attributs, son unité dans la Trinité des personnes, ainsi que sa Providence. Et d’insister sur le Dieu existe ! Il en trouve la preuve dans l’ordre admirable qui éclate dans l’univers, et dans sa distinction de la matière : Sans doute nous le distinguons de la matière, la matière est créée et sujette à corruption ; Dieu est, au contraire, unique, incréé, éternel, invisible, impassible, infini, incompréhensible (Supplique au sujet des chrétiens, IV).

De même, selon lui, la preuve de l’unité et de l’unicité de Dieu, tirée de l’immensité divine, n’est qu’un dilemme en forme : S’il y avait eu dès le principe deux ou plusieurs dieux, de deux choses l’une : ou ils occuperaient le même espace, ou ils occuperaient chacun un lieu distinct. Or, ils ne sauraient occuper le même espace, car étant inengendrés, ils ne devraient pas être semblables. D’autre part, comme le Créateur pénètre en tout sens l’œuvre qu’il a faite, il ne saurait y avoir de place pour un deuxième Dieu. Donc… (Supplique au sujet des chrétiens, VIII).

Dans son Traité sur la résurrection des morts, Athénagore allait dans un premier temps réfuter les objections contre la résurrection avant de donner des preuves directes de la résurrection. Sa réfutation est là encore fondée sur un dilemme : ou Dieu ne peut pas ressusciter les morts ou il ne le veut pas. S’il ne le peut pas, c’est par défaut de science, de force ou de possibilité intrinsèque, ce qui ne peut être soutenu pour un dieu. S’il ne le veut pas, c’est par justice ou par dignité, ce qui ne peut être là encore soutenu, Dieu n’étant pas morgue et distance mais amour.

Dans un second temps, il va chercher à démontrer le dogme de la résurrection, et ce à partir de quatre preuves (De Resurrectione mortuorum XII-XXV) : ⑴ la destinée de l’homme qui ne peut avoir été créé pour aboutir à la mort, ce qui serait absurde ; ⑵ la nature de l’homme conçu comme association naturelle d’un corps et d’une âme ; ⑶ la nécessité d’un jugement, tant pour le corps que pour l’âme ; ⑷ la fin dernière qui est la béatitude dans la vision de Dieu.

Nous nous intéresserons ici surtout à la deuxième preuve, tirée de la nature humaine. En effet, cette preuve est en elle même un résumé très précis de la théorie chrétienne du composé humain : La nature humaine est l’assortiment admirable d’une âme immortelle et d’un corps. Ce n’est pas à l’âme seule et selon sa nature particulière, ni au corps seul et sans aucun rapport avec l’âme, que Dieu a prétendu donner l’être et la vie, mais bien à l’homme qui réunit ensemble l’âme et le corps. Dieu veut qu’il y ait entre les deux communauté de vie, de fin, de destinée, et que cette communauté aille en un certain sens jusqu’à l’identité. En effet, l’âme et le corps ne font qu’un même être, auquel on attribue également les affections de l’âme et les mouvements du corps, les raisonnements et les sensations, l’inertie et l’activité.

Athénagore est en fait intéressant tant par sa forme que par sa doctrine. Pour ce qui est de la forme, il faut en retenir l’ordre rigoureux et la clarté dans les idées. Ainsi, l’Intercession pour les chrétiens est rédigée selon tous les principes de l’art rhétorique grec, avec exorde, divisions et preuves de chaque partie. Il en est de même dans le Traité dont Athénagore justifie ainsi la division : “ L’apologie et la démonstration de la vérité aboutissent toutes deux à une même fin : mais s’agit-il des incrédules et des sceptiques, il faut commencer par l’apologie de la vérité. ” Athénagore fait donc montre d’un très grand soin de la méthode, méthode fondée sur la précision. En ce sens, on peut dire qu’Athénagore est un précurseur de la scolastique.

Pour ce qui est du fond, on retrouve chez Athénagore une grande pureté de doctrine et une réelle connaissance de la philosophie ; de même, il ne cherche pas à s’opposer à la philosophie antique, se distinguant ainsi d’un Tatien ou d’un Hermias si railleur, conservant au contraire à leur égard une attitude bienveillante et constructive, préfigurant ainsi Justin. On peut ainsi dire que son Apologie est l’un des premiers traités de théologie rationnelle, de recherche d’union entre la Foi et la raison. Et il se distingue ici des premiers apologistes qui faisaient appel à la tradition ou au consentement des peuples et non pas à la raison. Cette démarche se retrouve aussi dans le Traité où, plus encore que dans l’Apologie, il va chercher à appliquer le principe de raison à la défense d’un dogme précis

Athénagore n’est donc pas un polémiste, mais réellement un philosophe.

Pour ce qui est de la morale, et du rapport des chrétiens au monde et au métier des armes, qui ne sont finalement que secondes dans sa pensée, malgré la forme apologétique de sa Supplique, on remarquera que dans sa Supplique au sujet des chrétiens, Athénagore apparaît comme favorable aux conquêtes militaires de Rome et à la soumission à l'empereur : Qui mériterait mieux d'obtenir la satisfaction de leur requête que des hommes comme nous, qui prient pour le salut de votre Empire, afin que la succession impériale se fasse du père au fils en toute justice, et que votre pouvoir s'accroisse et s'étende jusqu'à tout lui soumettre ? (Supplique au sujet des chrétiens, XXXVII, 2). On retrouve une telle allégeance chez Justin (1 Apol. XVII, 3), Tatien (Ad Graec. IV), Théophile d’Antioche (Ad Aut. I, 11), Origène (Contra Cels. VIII, 73) et Tertullien (Apol. XXVIII, 3 ; XXXVI, 2) ; mais la question légitime est celle de savoir si il s'agit d'une réelle mise en œuvre de la vision paulinienne du tout pouvoir vient de Dieu, ou d'une volonté, dans une approche apologétique et de recherche de suppression de la persécution, d'éviter toute accusation de crime de lèse-majesté.

Le [XIX, 6] de son Sur la résurrection des morts, sans contredire cette approche, permet de préciser la pensée d’Athénagore, posant de facto certaines limites à la guerre, donc à l’action du prince : Le brigand, le despote ou le tyran qui a fait périr contre le droit des milliers et des milliers de gens, ne saurait se libérer par une seule mort du châtiment que méritent ses crimes ; de même pour celui (…) qui fait outrage aux enfants tout autant qu'aux femmes, qui détruit les cités contre le droit, qui brûle les maisons avec leurs habitants, ravage le pays et anéantit du même coup peuples, nations ou même race entière. Il n'y a donc pas comme l'affirment certains évolution de la pensée d'Athénagore : il semble ici non pas tant critiquer l'usage des armes - ou condamner la conquête - mais bien plus le mésusage de ces mêmes armes, posant en fait un certain nombre de lois de la guerre, lois que l'on retrouvait partiellement dans le Deutéronome (Dt 20, 10-20, …), et qui se retrouvent dans l'actuel droit de la guerre… Il ne se distingue en fait pas vraiment de Marc-Aurèle (121-180), notamment de ses Pensées pour moi-même, [IV, 48], ou encore de Platon, même si sa vision est plus complète de par la référence au Christ.

Néanmoins, il n’apparaît pas qu’Athénagore soit favorable à l’entrée des chrétiens dans les armées, même s’il ne se prononce pas directement sur ce point, et ce pour au moins deux raisons. Tout d’abord, répondant à l’accusation d’anthropophagie faite aux chrétiens, il insiste sur l’horreur qu’on ces derniers de voir se répandre le sang humain : Car ceux qu’on sait même incapables de supporter le spectacle d’une exécution, fut-elle juste, qui pourrait les accuser de meurtre ou d‘anthropophagie. (…) Mais nous, nous estimons que la vue d’un meurtre se rapproche de l’homicide, et nous avons interdit de pareils spectacles : comment donc, si nous en refusons même la vue pour ne contracter ni tâche, ni souillure, pouvons-nous commettre des meurtres ? (Supplique au sujet des chrétiens XXXV, 4-5). Athénagore va donc très loin, refusant non seulement l’homicide, mais même la vue de l’homicide. Or, comme le métier de soldat expose à l’un ou l’autre de ces actes, le chrétien ne peut donc pour cette simple raison être soldat. Il n’évoque cependant ici que la question des spectacles de gladiateurs, et plus généralement du cirque, rejoignant ici la plupart des Pères, de Théophile à Lactance, de Tertullien à Irénée…, mais le contenu de sa citation est aisément transposable.

Ensuite, on se souviendra, et pour revenir sur le sujet, que, répondant à l’accusation d’athéisme, il insiste sur le refus du chrétien d’accepter de participer à des sacrifices sanglants ou à des actes relevant de l’idolâtrie, ainsi que sur la vanité des sacrifices. Or, le métier des armes impliquant la participation à certains rites et sacrifices, et cette participation étant interdite au chrétien, il y a là une seconde impossibilité pour le chrétien d’adopter le métier des armes.

On peut même en déduire qu’Athénagore exige du soldat se convertissant d’abandonner le métier des armes… Par contre, il ne se prononce pas sur le cas du soldat païen.

 

 

 

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31 mars 2010 3 31 /03 /mars /2010 15:36

 

Aristide est un philosophe athénien qui devait adresser une Apologie à l’empereur Hadrien, vers l’année 124/125. Cette date fait de ce texte le plus ancien du genre apologétique à nous être parvenu. Ce texte nous est parvenu sous diverses formes, au principal une version syriaque et une version grecque, des fragments en arménien et en géorgien nous en étant également parvenu. Seules les deux premières versions, très proches en fait, seront rappelées ci-après.

 

Lorsque Aristide dénonce les erreurs des grecs quant à leurs dieux, il insiste à plusieurs reprises sur le fait que certains de ces derniers sont des meurtriers, ce fait étant alors suffisant pour l’auteur pour démontrer le caractère non divin de ces dieux :

 

« Il s’en trouve parmi eux qui sont adultères et meurtriers, jaloux et envieux, se mettent en colère et en furie, tuent leurs parents, volent et pillent. » (Apol. VIII, 1 Sy)

 

De même, Aristide dénonce le caractère belliqueux ou guerrier de ces dieux, là encore comme illustration de leur caractère non divin. Il dit ainsi, à propos d’Arès :

 

« Arès, ils le présentent comme un dieu belliqueux (…). Comment donc était-il un dieu, le cupide,, le guerrier, le captif, l’adultère ? » (Apol.  X, 4 Ba),

 

ou encore :

 

« Puis ils introduisent un autre dieu, que l’on appelle Arès. On dit que c’est un guerrier. (…) alors qu’il n’est pas possible qu’un dieu soit guerrier. » (Apol. X, 4 Sy ).

 

Il dit encore à propos d’Héraclès :

 

« Héraclès dont ils disent qu’il est un dieu (…), un guerrier et un tueur de méchants (…). (…) alors qu’il est impossible que soit dieu un fou, un ivrogne ou le meurtrier de ses propres enfants (…) ? » (Apol.  X, 6 Sy ).

 

Le meurtre, la guerre sont donc pour Aristide des éléments qui excluent de la divinité. Or, l’homme ayant été créé à l’image de Dieu, il est impossible qu’un homme fidèle à Dieu commette de tels crimes. Par contre, rien n’interdit d’écrire que pour Aristide le meurtre et la guerre ne sont pas des éléments de la nature de l’homme, éléments que le Chrétien doit chercher, dans son imitation de Jésus-Christ, à faire disparaître.

 

Un autre passage vient à l’appui du rejet de la guerre par les Chrétiens selon Aristide : 

 

« Les autres peuples se laissent fourvoyer et se fourvoient eux-mêmes : marchant dans les ténèbres, ils se heurtent les uns aux autres comme des hommes ivres. »

 

Celui qui marche dans la lumière de Dieu ne peut donc pas être ami de la guerre, voire même la faire, car elle va à l’encontre des commandements divins.

 

Pourtant, une chose surprend à la lecture d’Aristide…Alors que pour présenter la morale des chrétiens il reprend en les adaptant les commandements du Décalogue, ainsi que certaines des paroles de Jésus, il oublie dans son énoncé le cinquième commandement, c’est-à-dire le tu ne tueras point ! Il écrit ainsi :

 

« Ils reconnaissent en effet le Dieu créateur et artisan de toutes choses en son Fils unique et en l’Esprit Saint, et ils ne vénèrent pas d’autre Dieu que lui. (…) Ils ne commettent pas d’adultère, ils ne se prostituent pas, ils ne portent pas de faux témoignages, ils ne convoitent pas les biens d’autrui, ils honorent leur père et leur mère, ils aiment leur prochain, ils jugent avec droiture, ils ne font pas à autrui ce qu’ils ne veulent pas qu’on leur fasse, ils réconfortent ceux qui leur nuisent et s’en font des amis, ils s’efforcent de rendre service à leurs ennemis, ils sont doux et indulgents, ils s’abstiennent de toute fréquentation illégitime et de toute impureté, ils ne méprisent pas la veuve, n’accablent pas l’orphelin ; celui qui possède donne sans parcimonie à celui qui ne possède pas ; s’ils voient un étranger, ils l’introduisent sous leur toit et ils se réjouissent de sa (présence) comme (de celle) d’un véritable frère. » (Apol.  XV, 3-6 Ba ).

 

Cette omission du cinquième commandement dans le texte grec de l’Apologie (Roman de Barlaam) se retrouve également dans le texte syriaque de l’apologie (Apol. XV, 2-4, Sy ). Il ne semble donc pas qu’il s’agisse d’un oubli ou d’une erreur d’un traducteur ou d’un copiste. Est-ce à dire qu’Aristide ne considère pas le fait de tuer autrui comme contraire à la morale chrétienne ? Non, son discours sur les erreurs des grecs en étant une première démonstration. Une seconde démonstration se trouve dans le fait que les Chrétiens ne font pas à autrui ce qu’ils ne veulent pas qu’on leur fasse ; or, quel homme sensé accepterait d’être tué, d’être assassiné ? Il est néanmoins regrettable qu’Aristide n’ait pas clairement repris le cinquième commandement, car une lecture uniquement littéraliste pourrait laisser croire que tuer est licite pour le Chrétien, alors que c’est à l’opposé même de la pensée d’Aristide.

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31 mars 2010 3 31 /03 /mars /2010 09:24

Pour commencer, une simple anecdote. Une double image militaire fut utilisée pour caractériser le courage et la fermeté théologique d'Ambroise de Milan : En Occident, Damase, évêque de Rome, et Ambroise, qui dirigeait l'Église de Milan, frappaient ceux qui lançaient de loin leurs javelots (Théodoret de Cyr, Histoire ecclésiastique, IV, 30).

Ambroise de Milan est né à Trèves entre 337 et 340. Il est mort en 397. Gouverneur provincial, puis Évêque, il avait une solide formation littéraire et juridique. On notera qu’il aura été acclamé Évêque alors qu’il était simple catéchumène. Ses parents étaient chrétiens, et son père Préfet du prétoire pour les Gaules

Influencé par Clément d'Alexandrie, Origène, Didyme et Basile de Césarée, mais aussi par Cicéron, Ambroise de Milan (337 ou 339 - 397) aura été un Évêque rayonnant sur toute la chrétienté occidentale, d'autant plus que son siège épiscopal de Milan était aussi le siège de la cour impériale, et ce même si l’empereur lui-même passe plus de temps à Trêves pour guerroyer sur les frontières….

Réaliste et conscient certes de la fin dernière mais aussi des vicissitudes terrestres, ce Docteur de l’Église s'attachât notamment à traiter des questions morales, les nécessités nouvelles de l'empire le lui imposant. Et il chercha ainsi toujours à donner aux fidèles, y compris au plus grand l'empereur lui-même, des préceptes moraux leur permettant de vivre en chrétiens, à la fois dans le monde et dans l'espérance de la résurrection. Il y avait donc dans sa pensée une réelle espérance en l'homme qu'il connaît et dont il ressent les limites.

Dans cette perspective, Ambroise, avant tout homme de paix, pose une grande question : comment concilier l'impératif de paix, voire de non-violence absolue, des Béatitudes avec le devoir de charité du chrétien lorsqu'un péril grave se présente ? Et de là son acceptation de la guerre juste : Est pleine de justice la force qui, à la guerre, protège la patrie contre les barbares ou, à la maison, défend les faibles ou les commensaux contre les brigands (De officiis ministrorum, 1, 27, 129, Migne, P. L., t. XVI, coll. 61). Et de préciser, pour bien marquer l'impératif de charité, qui s'il répond de manière absolue à une intention droite et une certitude de l'injustice, peut autoriser la guerre : Celui qui, s'il le peut, n'écarte pas une injustice de son prochain, est aussi coupable que celui qui commet l'injustice (De officiis ministrorum, 1, 36, 178, Migne, P. L., t. XVI, col. 75). Cette dernière phrase porte en elle deux grands problèmes actuels : celui de la guerre préventive et celui du devoir d'ingérence. Si le second ne semble pas contestable, la guerre préventive pose problème. Et c'est là qu'interviendra son disciple saint Augustin en posant ses conditions à la guerre juste.

Dans tous les cas, Ambroise semble condamner le fait pour un chrétien de verser le sang, ayant par exemple approuvé, sans pour autant en faire une obligation, le magistrat qui s'abstint spontanément des sacrements après avoir prononcé une sentence capitale (Epist. XLIV, Migne, P. L., t. XVI, col. 1135-1141). Ceci est confirmé par la très courageuse lettre qu'il devait adresser à l'empereur Théodose pour lui reprocher le massacre de Thessalonique, lui enjoignant pour obtenir le pardon une pénitence publique et lui refusant l'eucharistie : Il a été commis dans la ville de Thessalonique un attentat sans exemple dans l'histoire : je n'ai pu le détourner ; mais j'ai dit d'avance combien il était horrible. (…) Je n'ai contre toi aucune haine ; mais tu me fais éprouver une sorte de terreur. Je n'oserais, en ta présence, offrir le divin sacrifice ; le sang d'un seul homme injustement versé me le défendrait ; le sang de tant de victimes innocentes me le permet-il ? (Epist. LVI ). Ce fait est aussi rapporté par Paulin de Milan dans sa Vie de saint Ambroise (24, 1) : Vers le même temps la ville de Thessalonique fut la cause d'une grande tribulation pour l'évêque, quand il eut appris la destruction presque totale de cette ville. L'empereur, en effet, lui avait promis de pardonner aux citoyens de cette ville, mais les comtes agirent secrètement avec l'empereur, à l'insu de l'évêque, et la ville fut livrée au glaive pendant trois heures et beaucoup d'innocents furent massacrés. (...) Quand l'évêque connut ce fait il refusa à l'empereur l'accès de l'église et ne le jugea pas digne de se joindre aux fidèles ni de participer aux sacrements, avant d'avoir fait pénitence publique (...) l'empereur eut à cœur de ne pas repousser la pénitence publique.

Dans cette même lettre LVI, Ambroise ne parle pas des soldats ayant réalisé le massacre ; il condamne leur chef, l'empereur qui en a donné l'ordre, faisant de lui le seul responsable auquel il refuse un sacrement, chose très grave socialement pour l'époque ! Il préfigure ici cette norme du droit contemporain de la guerre qui rend le chef donnant l'ordre de commettre un crime de guerre bien plus responsable que les soldats qui réalisent physiquement ce crime. On remarquera par ailleurs qu'Ambroise parle de sang versé injustement, ce qui peut laisser supposer qu'il admet que le sang puisse être versé sans homicide dans le cas du service de la justice, donc dans le cadre d'une guerre juste.

En fait, l'enseignement de saint Ambroise est très clair : il montre que face à la violence la conscience se trouve prise entre plusieurs devoirs, ceux de non violence et de solidarité avec les plus faibles (extrait d'une conférence prononcée par le Père Joblis au Centre Saint-Louis-des-Français à Rome en avril 1999, in : La Documentation Catholique, n° 2206, 20 juin 1999).

Une dernière précision fondamentale, qui elle aussi influencera saint Augustin, et qui sera trop souvent oubliée par certains chrétiens : Ambroise de Milan rejette avec force toute idée de guerre pour l'expansion de la foi, tranchant ainsi avec certains théologiens du moyen âge, et en particulier Henri de Suse ; pour lui, l’Église ne conquiert pas avec des armes temporelles les forces qui lui sont opposées, mais avec les armes de l’esprit. La religion ne doit pas être imposée par des armes terrestres, mais elle doit être choisie librement. Les seules armes admises ici sont celles de la foi !

Une réflexion pour conclure sur Ambroise de Milan... Au IVème siècle, l’Église commence à se trouver confrontée à des problèmes nouveaux car elle passe d’une position de minorité plus ou moins poursuivie, persécutée, rejetée, à une position majoritaire, puis de religion officielle, dans l’Empire romain ; et surtout, elle atteint cette position dominante au moment où la Pax romana s’effondre définitivement. Son message de paix se trouve dès lors confronté à la gestion de l’exercice de la violence légitime, qui est l’une des fonctions régaliennes de l’État, et elle ne peut plus faire l’impasse d’une question pragmatique : comment mettre fin à la violence, d’autant plus lorsque cette violence attaque les plus faibles ? Si le chrétien doit s’efforcer de s’abstenir de poser des actes violents qui ouvriraient le cycle infernal de la violence, il se trouve confronté à un vrai dilemme lorsque son frère, son prochain, est victime de la violence d’autrui. Face à cette violence, le chrétien a le choix entre s’abstenir au nom de l’impératif de paix ou recourir à la violence au nom du principe de charité (saint Ambroise de Milan) (M. Vaysse, « La notion de guerre juste est-elle aujourd’hui acceptable pour les chrétiens ? », in : Église de Corse, Diocèse d’Ajaccio, n° 5/2003, 1er mars 2003, page 119).

 

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31 mars 2010 3 31 /03 /mars /2010 09:07

Surnommé Chrysostome, c'est-à-dire bouche d'or, en raison de son talent oratoire, ce Père grec fut prêtre à Antioche, sa ville natale, et ce après une brève expérience monastique. L'évêque Flavien lui confie la charge de prédicateur. Sa prédication est imprégnée de méditations bibliques et Jean s'adresse au peuple par des exhortations pressantes à la vie chrétienne. Parlant sans concessions, il va par exemple y défendre avec force les habitants de cette ville contre les menaces de représailles de l’empereur, après que des statues impériales aient été brisées par la foule, e qui ne manquait pas de courage à cette époque… Sa renommée est tellement grande qu'il est intronisé à Constantinople sur le siège épiscopal qui avait été celui de Grégoire de Nazianze. En conflit avec une partie du clergé et de la cour du fait de ses discours refusant toute compromission, Jean doit affronter des crises violentes qui se terminent par son exil en Arménie. C'est là qu'il mourut en 407 des suites des très grandes épreuves qu'il avait connues, ainsi que des mauvais traitements subis.

Apôtre et moraliste (au sens chrétien et non pas actuel du terme) bien plus que théologien, Jean Chrysostome (Antioche, 344 ou 350/407) avait une affection toute particulière pour saint Paul qu’il allait longuement commenter. Il laisse une oeuvre exceptionnelle avec notamment un traité sur le Sacerdoce, de très nombreuses homélies (en fait plusieurs centaines) - sur la première et la seconde lettres aux Corinthiens, sur les Actes des Apôtres, sur l'Évangile de Jean, sur l'Évangile de Matthieu, etc…- ainsi que des Catéchèses baptismales d'une très grande importance, pour ne citer que quelques-unes parmi ses oeuvres majeures. On citera encore ses Lettres d’exil, et plus particulièrement ses lettres admirables à la veuve Olympias. Très humain, spontané, proche de son peuple, Newman l’a par exemple qualifié d’âme ensoleillée.

Jean Chrysostome aimait saint Paul… Et il voulait faire partager cet amour pour l’Apôtre des Gentils, incitant les chrétiens à lire les Épîtres pauliniennes, à écouter les paroles de cet Apôtre qui restait encore peu écouté... : Quand j’écoute avec attention la lecture des épîtres du bienheureux Paul, (…) je saute de joie, tout au plaisir d’entendre cette trompette spirituelle ; je suis plein d’enthousiasme, je brûle de tendresse pour lui je reconnais la voix de mon ami (…) Pour moi, ce que je sais, si tant est que je sache quelque chose, ce n’est pas parce que j’aurais une intelligence hors pair je le sais parce que j’ai pour Paul une immense affection du fait que je ne cesse jamais de lire ses écrits (Préface aux Épîtres de Saint Paul). Si saint Paul est aujourd’hui si important dans l’Église, Jean Chrysostome y est pour beaucoup…

D’une manière générale, Jean Chrysostome est pour que les laïcs accèdent aux Écritures, pour qu’ils se forment : est votre erreur de croire que la lecture des Écritures ne concerne que les moines, alors que cela vous est beaucoup plus nécessaire encore à vous qui êtes au milieu du monde. Il y a pire que de ne pas lire l’Écriture, c’est de croire cette lecture inutile ou pratique satanique (Homélie in Matt., 2-5) !

Il insiste aussi beaucoup sur la prière, en particulier sur la prière personnelle, voulant faire de chaque maison chrétienne un lieu de prière, une ecclesia domestica. Et d’insister sur l’importance de la prière, en particulier la nuit : Que ta maison soit une église ; lève-toi au milieu de la nuit, l’âme est plus pure, plus légère. Admire ton maître. Si tu as des enfants éveille-les, et qu’ils s’unissent à toi, dans une prière commune (Homélie sur les Actes 26, 3-41). À ce propos, citons la pensée du Père Voillaume qui faisait très justement remarquer que l’in accepte facilement une nuit blanche pour voyager, pour faire la fête, alors que passer quelques heures de la nuit en Adoration apparaît comme une montagne (cité in : Père J. Arnaud, Textes choisis des Pères de l’Église, Diocèse de Marseille, 1985, page 63).

Enfin, il ne pouvait admettre la tristesse ! Il nous dit ainsi : Si celui qui se souvient de son ami relève son courage et se réjouit à son souvenir, comment celui qui se rappellera le Dieu qui a daigné nous aimer vraiment pourra t-il être triste, ou effrayer, ou craindre le danger ? (26° homélie sur l’Épître aux Hébreux, 3). La tristesse n’est pas une vertu chrétienne ; la tristesse est une offense à Dieu !

Pour finir cette introduction, cet extrait de Sur l’Épître à Tite (1, 12-14) : Dieu ne considère jamais sa dignité, mais partout notre utilité. Car si un père ne tient pas compte de sa dignité, mais balbutie avec ses petits enfants et n’appelle pas la nourriture, le couvert et les gobelets de leurs noms grecs mais de quelque langage puéril et barbare, Dieu fait beaucoup plus : parole et faits. 

Arrivons-en à l’objet de la présenté étude… Répondant aux soldats l’interrogeant, Jean le Baptiste condamnait la vaine gloire. De même, nombreux ont été les premiers auteurs chrétiens à condamner cette vaine gloire, notamment dans sa relation au métier des armes ; on peut penser ici à Tatien dans son Discours aux Grecs, à Tertullien dans son De Corona militis, à Basile de Césarée dans sa Deuxième homélie sur l’homme, et ainsi de suite… On pouvait donc présupposer que Jean Chrysostome allait condamner la vaine gloire issue du métier des armes dans son ouvrage Sur la vaine gloire et l’éducation des enfants. Or, force est faite de constater qu’il n’en est rien ! S’il parle de la vaine gloire des jeux, de celle des plaisirs offerts aux cités, de elle des acteurs, des mimes, des danseurs, de celle des hommes se parant de beaux vêtements, de celle des femmes se parfumant, et ainsi de suite, Jean Chrysostome ne dit rien sur la vaine gloire du soldat. Pourtant, il écrit bien que la gloire et les acclamations (De inani gloria, 11) sont éphémères, mais il ne parle ici que de ceux qui dépensent dans un juste mesure pour les plaisirs offerts aux cités (De inani gloria, 11). Mieux, conseillant les pères sur l’éducation de leurs fils, il écrit : À cela, ajoute la considération qu’il acquiert à l’armée dans les affaires publiques (De inani gloria, 84).

On notera que, d’une manière générale, comme la plupart des Pères, Jean Chrysostome n’aime pas le théâtre et encore moins les acteurs, comme il l’écrit par exemple dans diverses homélies dont des extraits sont repris in : J. Laporte, Les Pères de l’Église, tome II, Paris, Cerf, 2001, pp. 221-222. Néanmoins, ceci est surtout lié au fait qu'ils se travestissent, qu'ils portent des masques, jouent des dieux, participent obligatoirement à ces cultes païens, etc...

Ceci ne va cependant pas à l’encontre de l’idéal de vie monastique que défend Jean Chrysostome, en particulier dans son Contre les adversaires de la vie monastique. Dans le deuxième des discours composant cet ouvrage, le jeune Jean cherche à défendre un jeune homme souhaitant adopter l’état monastique alors même que son père le destinait au métier des armes (Adv. oppug. vit. mon. III, 12 (PG 47, 369)). Mais, malgré son apologie de la vie monastique, qu’il juge supérieure, le Chrysostome ne remet pas en cause le métier des armes. Certes, il vaut mieux vivre totalement au service de Dieu, mais le service de la cité n’est pas rejeté par Jean Chrysostome, comme l’a démontré l’extrait précité.

En fait, Jean Chrysostome ne rejette pas le service de la cité : Les uns combattent contre ceux qui commettent l’injustice, comme les soldats dans une cité ; les autres veillent à l’ensemble, à ce qui concerne le corps et la maison, comme les gens chargés de l’administration civile ; les autres donnent des ordres, comme les magistrats… (De inani gloria, 23). Le service de Dieu et celui de la cité ne s’opposent donc pas chez Jean Chrysostome. La seule exigence est que celui-ci soit exercé d’une manière honnête, juste et au service des membres de la cité, et non pas à des fins personnelles, qu’il s’agisse de gloire ou d’argent. Il écrit ainsi à propos des soldats : S’il sert dans l’armée, qu’il apprenne à ne pas faire de profits illicites (De inani gloria, 89). En effet, lorsqu’il n’était pas en campagne, le militaire était en charge d’opérations de police, opérations à l’occasion desquelles il s’exposait à des tentatives de corruption, alors qu’en campagne, il pouvait être tenté par le pillage ou par la spoliation de certaines personnes ne disposant pas de l’usage de la force. Sa vision est donc très proche de [Lc 3, 14]. Le métier des armes est donc admis ; il est même utile à la cité : Si vous privez l’armée de son général, vous la livrez sans défense aux ennemis (Sur les statues (Hom. 6, Les Œuvres complètes de saint Jean Chrysostome, trad. J. Bareille, 19 vol., Paris, 1865-1873, vol. II, p. 65), … et un père chrétien peut très bien y destiner son fils, la phrase suivante renforçant à ce sujet ce qui a été précédemment repris : Si tu le destines à la vie du monde, amène-lui de bonne heure une fiancée et n’attends pas qu’il soit à l’armée ou qu’il ait abordé les affaires publiques. (De inani gloria, 81).

Tout comme le religieux se doit d’être célibataire pour mieux servir Dieu, le civil se doit d’être marié pour mieux servir la cité, et par là même, par une juste administration Dieu lui-même. Et le caractère non honteux du métier des armes d’être renforcé par cette comparaison avec le service de Dieu : Si, en effet, ceux qui enseignent le métier des armes en ce monde apprennent de bonne heure à leurs enfants à faire campagne et à manier les armes, à revêtir le manteau militaire, à monter à cheval (…), combien plus faut-il que ceux qui servent dans l’armée du ciel revêtent toute cette parure royale (Histoire ecclésiastique, IV, 30).

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31 mars 2010 3 31 /03 /mars /2010 09:05

Père de l’Église, véritable fondateur de la théologie latine malgré des errements liés à son intransigeance après 207, Quintus Septimius Florens Tertullien est né à Carthage vers 155 ; il est mort après 220. Tertullien aura été un auteur très prolixe, avec plus d’une trentaine d'œuvres connues, dont certaines disparues. Ces œuvres sont très variées, puisque se décomposant en écrits apologétiques, en œuvres dogmatiques et/ou polémiques et en ouvrages de morale et/ou d’ascétisme. Quelques-unes de ces œuvres, tirées de ces trois catégories, sont particulièrement  intéressantes au regard du sujet de la présente étude : ⑴ pour la période catholique : ­- Ad Nationes (197), notamment [I] ; - Apologétique (fin 197) ; - Ad martyras (197 ou 202-203) ; - Contre les spectacles (vers 200) ; - De la prescription contre les hérétiques (vers 200) ; - Contre Marcion (entre 200 et 211) ; ⑵ pour la période montaniste : - De corona militis (211) ; - De idolatria (vers 211-212) ; - Ad Scapulam (212), notamment [III]…

Il faut remarquer que, né de parents païens, Tertullien se convertit assez tardivement en 193, vraisemblablement à Rome où il exerçait son métier d’avocat, soit à l'approche de la quarantaine, après y avoir vidé jusqu’à la lie la coupe des plaisirs (Res. Cam., 59). Ses études auront été très variées, principalement axées sur la philosophie, le droit et la médecine, apprenant le métier de rhéteur (Eusèbe de Césarée, HE, II, 2, 4). Il aura été successivement jurisconsulte, puis avocat, et enfin, du moins selon certains prêtre (Jérôme, Vir. III, 53), même si ce dernier point semble assez peu vraisemblable. Il reviendra vivre à Carthage à partir de 195, ville où il mourra.

De plus, il faut remarquer que son père était centurion dans la Légion proconsulaire, ce qui ne fut peut-être pas sans influence sur sa vision de l'armée, et ce pour au moins deux raisons. Aujourd'hui encore, on constate qu'un nombre significatif d'enfants de militaires sont antimilitaristes, soit par opposition au père, soit par rejet des contraintes de la vie militaire (vie en caserne, absence du père, déménagements fréquents entraînant des ruptures, etc…). De plus, dès la fin du IIème siècle, la loi imposait aux fils des vétérans, en compensation des privilèges accordés à ceux-ci, l'obligation de servir dans l'armée romaine. Tertullien fut-il confronté à ce cas ? Nul ne le sait, mais cela permettrait de comprendre certains des aspects de sa psychologie. Dans tous les cas, de par sa filiation, Tertullien a une connaissance vécue du métier de soldat, une connaissance très précise des rites et des contraintes de la vie militaire, de ses excès, …… tout comme en son temps saint Augustin, autre fils de militaire.

Au IIème siècle, les chrétiens étaient déjà, selon Tertullien, Père latin de l'Église - du moins pour ses écrits antérieurs à 207, date de son passage à l’hérésie montaniste -, nombreux dans l'armée, même si ce ne sera qu'après la réforme constantinienne  que les chrétiens seront  officiellement réintégrés dans les armées impériales.  Même s'il a parfois tendance à outrer, Tertullien l'écrit au moins par deux fois : Nous sommes d'hier, et déjà nous avons rempli la terre et tout ce qui est à vous : les villes, les îles, les postes fortifiés, les municipes, les bourgades, les camps eux-mêmes, les tribus, les décuries (…) ; nous ne vous avons laissé que les temples !  (Apol. XXXVII, 2) ; Malgré notre immense multitude, qui forme presque la majorité dans chaque ville, (…) ne nous distinguant jamais des autres citoyens que par la réforme de nos vices (Ad Scapulam, III ).

Même si l'on réduit les éventuelles exagérations à leur juste valeur, il n'en reste pas moins vrai que des chrétiens servaient dans les légions à la fin du IIème siècle. Ces exagérations ne sont d'ailleurs pas spécifiques à Tertullien, Pline le Jeune, opposant ouvert au christianisme, tombant lui aussi dans ce travers : L'affaire m'a en effet paru demander cela, en particulier en raison du nombre des accusés ; c'est qu'un très grand nombre de gens de tout âge, de toute condition et aussi des deux sexes, sont en péril ou vont s'y trouver sous peu. Et ce n'est pas seulement dans les villes que s'est répandue cette contagion de superstition, mais encore dans les villages et jusque dans les campagnes (Lettres, X, 95, trad. Hucher ; on retrouve cependant plus souvent cette lettre sous la référence X, 97). Ceci permet d'affirmer que les chrétiens étaient déjà réellement nombreux dans tous les milieux à cette époque - du moins en Bithynie, région de l’Asie mineure qui correspondrait très schématiquement à la façade nord de la péninsule anatolienne -, la source étant ici croisée, et le parallèle en Pline et Tertullien frappant, et ce d’autant plus que Pline a écrit plus d’un siècle avant Cicéron, ce qui pourrait modérer l’accusation d’exagération souvent faite à Tertullien. Mais il est aussi possible que Tertullien, fort érudit, se soit inspiré de cette lettre de Pline à Trajan, correspondance dont il semble avoir eu connaissance…

Dans tous les cas, Tertullien d'affirmer plus loin : Avec vous (…) nous naviguons, avec vous nous servons comme soldats, nous travaillons la terre, nous faisons le commerce (Apol. LII, 3).

Mais s'agissait-il de chrétiens entrés au service après avoir reçu le baptême ou de soldats convertis et baptisés après leur incorporation ? Cette question est importante, car depuis Auguste l'armée romaine n'était plus une armée des citoyens mais une armée professionnelle. Elle n'est plus, comme au temps de la République, la nation armée, mais une armée permanente et de métier. Il faut donc faire un acte positif de volonté pour entrer dans l'armée, à l'exception du cas déjà évoqué de certains fils de vétérans. Tertullien cherche à apporter une réponse à cette question.

Pour ce qui est des chrétiens souhaitant entrer dans les armées, la réponse de Tertullien dans son De idolatria est clairement négative, car en désarmant Pierre, le Seigneur a désarmé tous les soldats. Personne ne peut regarder comme licite un uniforme qui représente des actes illicites. Tertullien a ici une lecture pour le moins littérale de [Lc 26, 52], tranchant nettement avec l'interprétation qu'auront de cet épisode de l'arrestation de Jésus d'autres Pères, et en particulier saint Augustin. Une question reste posée : s'agit-il de tous les uniformes, ou uniquement de celui de l'armée de Rome ? On peut se poser objectivement la question à la lecture de son De idolatria qui est assez spécifique quant à ses visées, puisqu’il s’agit là de l’un des écrits de la période montaniste (vers 211-212) dans lequel Tertullien exige la plus stricte abstention du culte des idoles, cette dernière incluant l’interdiction d’exercer les professions jugées en rapport avec ce culte ; ainsi, pour Tertullien, le chrétien ne peut être ni soldat, ni instituteur, ni fonctionnaire, ni artiste, et ainsi de suite..., car toutes ces professions exposent au risque de l’idolâtrie ou du sacrifice à l’empereur. Néanmoins, cette attitude très rigide vis-à-vis de certaines professions n’était pas nouvelle puisque se retrouvant déjà dans le De spectaculis daté des environs de 200, où Tertullien interdisait l’assistance ou la fréquentation de tout spectacle du fait du caractère païen de ces derniers, ainsi que de leurs relations avec le culte des idoles, mais là encore dans un cadre strictement romain.

Pour ce qui est des chrétiens déjà engagés dans les armées, la réponse est plus nuancée, même si Tertullien semble pencher assez nettement vers l'abandon des armes, car jamais le chrétien n'est autre que chrétien, en quelque part qu'il soit (De corona, XI) : Autre chose est de ceux qui étaient soldats avant d'être chrétiens, comme ceux que saint Jean baptisait, et le très-fidèle centurion que Jésus-Christ approuve, et que Pierre catéchise, pourvu qu' après avoir reçu la foi et s'être souscrit à celle-ci, on s'en départe, comme plusieurs ont fait, ou bien qu'on prenne bien garde de ne commettre contre Dieu des choses qui ne sont pas même permises par les lois militaires, voire même de souffrir à l'extrémité pour l'amour de Dieu ce que la foi païenne commande, car l'état militaire ne permet ni impunité de forfaits ni impunité de martyre (De corona, XI ). L'important n'est donc pas de porter ou de ne pas porter les armes, mais bien plus de ne pas offenser Dieu. On notera que Tertullien ne se fait directement opposant à la présence de chrétiens dans les armées, la jugeant comme forfaiture, qu'après son passage à l'hérésie montaniste.

On rappellera ici qu’à la fois erreur et hérésie, le montanisme professait que les visions et les révélations eschatologiques, en particulier des femmes, sont les seuls moteurs de la vie chrétienne. Les temps du Paraclet auraient commencé avec la venue de Montan, et la Jérusalem nouvelle est déjà inaugurée pour un règne de mille ans. Il faut donc vivre dans la continence absolue pour préserver le prophétisme et préserver ce règne. Enfin, le martyre doit être recherché, étant la manifestation absolue de la soif de Dieu. Le montanisme, considéré à son départ comme une erreur, a été considéré par la suite comme hérétique, notamment par le Synode d'Iconium  vers 220, par le Pape Innocent Ier en 404 (Lettre Etsi tibi, c. 8, § 11), ou encore par le Pape Grégoire 1er vers 601 (Lettre Quia caritati nihil ).

En fait, Tertullien ne pose jamais véritablement la question de savoir si la guerre est licite ou non (De corona militis, XI, 6), ne se positionnant que sur l'attitude des chrétiens qui ne peuvent verser le sang, qui ne peuvent pas tuer. C'est là le point central de sa réflexion pour ce qui est de l'objet de la présente étude, et, dès son Apologétique, il rappelle clairement la répugnance qu'a le chrétien à verser le sang : Pour quelle guerre nous aurait manqué ou la force ou le courage (…) si  notre loi ne nous  permettait pas plutôt  d'être tués que de tuer ? (Apol. XXXVII, 5). Néanmoins, il ne tira pas son argumentation de la doctrine évangélique de l'amour des ennemis ou de celle du pardon, mais des coutumes de l'armée romaine qu'il jugeait, d'ailleurs parfois faussement, entachées d'idolâtrie, notamment l'idée d'attachement et de dévouement au chef ou à Rome (De idolatria, XIX ). Pourtant, Tertullien n’interdit pas le respect de l’empereur puisqu’il écrit qu’avec les autres chrétiens nous sacrifions donc pour le salut de l’empereur, mais en nous adressant à Dieu, notre maître et le sien, mais conformément à sa loi, par de chastes et pacifiques prières (Ad Scapulam, II).

On peut cependant s’interroger à la lecture du passage déjà cité - De corona militis, XI, 6 - de son Traité de la Couronne militaire : De prima specie quaestionis, etiam militiae ipsius inlicitae, plura non faciam, ut secunda reddatur, ne, si omni ope expulero militiam, frustra iam de corona militari prouocarim. Puta denique licere militiam usque ad causam coronae. En effet, la traduction classique de ce texte, dont celle de Charpentier (Paris, 1844) reprise ici, est la suivante : Il n'est jamais besoin de discourir plus avant de la première partie de la question, savoir si la guerre est du tout illicite afin que nous venions à la seconde ; car si je n'ai rejeté entièrement et de tout mon effort la guerre, en vain je parle contre la couronne militaire. Soit donc posé le cas que la guerre est licite, afin que cela même puisse servir de cause et raison pour la couronne. Or, on peut s’interroger sur cette traduction. En effet, on est en droit de se poser trois questions.

En premier lieu, Tertullien parle t-il de la guerre ou du métier des armes, car militia peut aussi bien se traduire par “service des armes” que par “milice” ou encore “guerre” ? À la lecture du De Corona militis, on peut pencher pour la première solution.

Ensuite, Tertullien parle t-il finalement de la licéité ou de la légitimité de la guerre ? En effet, inlicitus peut aussi bien dire “illicite” qu’“illégitime”… À la lecture de son œuvre, on peut en effet pencher pour la seconde interprétation.

Enfin,  corona signifie certes “couronne”, mais aussi “celui qui est assiégé par une autre troupe”. Difficile de conjecturer sur le sens que donne Tertullien dans le bas latin, quasiment de cuisine qui est le sien… N’y aurait-il pas eu chez Tertullien volonté de faire cohabiter les deux sens, à la fois pour prolonger et justifier son discours sur la couronne, et pour expliciter sa position vis-à-vis de la guerre ? Bref, ne serait-on pas en présence d’un jeu de mot intraduisible en français… Le sens de juste défense semble pouvoir être retenu à la lecture du reste de l’œuvre de Tertullien, car il n’y est pas toujours opposé, y compris dans son Apologétique… Il y aurait donc peut-être aujourd’hui erreur à vouloir traduire corona par le seul mot de “couronne”. C’est la corona (défense) qui permet d’obtenir la corona (récompense)… Et cela correspond à l’idéal tertullianiste de faire un parallèle entre le couple combat pour la foi/récompense céleste et le couple combat terrestre/récompense terrestre… La traduction pourrait donc être en fait la suivante : Il ne me servirait à rien de continuer d’évoquer la couronne militaire si, pour ce qui est du premier aspect de la question, à savoir si le service des armes est illégitime en lui-même, je rejetais toute idée d’armée afin de répondre à la seconde. Je suppose donc pour la suite que le service des armes est légitime tant qu’il concerne la défense de ceux qui sont assiégés. Une telle traduction a, outre l’avantage de rendre intelligible le présent passage, de le mettre en cohérence avec ceux qui le précèdent et ceux qui le suivent, ainsi qu’avec le texte de son Apologétique… Tertullien admettrait-il donc la juste défense ?

Dans tous les cas, et ceci renforce d’une certaine manière ce qui précède, Tertullien ne réfute pas l'existence de l'armée, donc de son usage puisqu'il écrit : Et, par nos prières incessantes, nous demandons pour les empereurs (…) des troupes valeureuses (Apol. XXX, 4).

Mais il ne réfute pas l’existence de l’armée sous la réserve que celle-ci ne doit pas être recommandée aux chrétiens, car elle expose trop au risque d'offenser Dieu. Bref, le païen peut être soldat, mais non le chrétien ; position un peu étonnante de prime abord, mais finalement proche de celle quasi-contemporaine d'Origène ! Cette proximité d’avec Origène est d’autant plus visible qu’il semble réclamer comme celui-ci (Contra Cels., VIII, 73, 14-21 ; VIII, 74, 1-4) pour les chrétiens le statut des Prêtres païens qui participent aux combats par leurs seules prières, sans porter les armes.

Par ailleurs, comme avant lui saint Paul entre autres, Tertullien reprend l’image du soldat et la transpose au chrétien qui est un soldat du Christ : Nous sommes appelés sous les drapeaux du Dieu vivant, dès lors que nous répondons par les mots du serment. Aucun soldat ne part au combat sans renoncer aux agréments de la vie et ce n'est pas d'une chambre à coucher qu'il sort pour se rendre en première ligne mais de tentes de campagne exiguës où l'on éprouve vie à la dure, incommodités et importunités. Déjà en temps de paix, les troupes, à travers pénibilités et désagréments, apprennent à supporter par avance la guerre : elles partent en manœuvres avec leur barda, parcourent le champ de manœuvre, creusent la tranchée, et apprennent à compacter la torture. Le tout dans la sueur, pour que corps et esprit, le moment venu, ne s'effraient pas du passage de l'ombre au soleil, du temps ensoleillé au grand froid, de la tunique à la cuirasse, du silence aux cris, et du repos au brouhaha (Ad martyras, III ). Mais il va très loin, peut-être même trop loin dans sa comparaison ! Le chrétien doit modeler sa vie sur elle du soldat, et ce en toutes choses, tant en temps de paix qu’en temps de guerre ! Il évoque même ici le serment qu’il condamnera notamment dans son De Corona militis une décennie plus tard. Il inverse chaque élément ou plutôt en fait des opposées, le soldat du Christ agissant comme le soldat de l’empereur, à l’identique, si ce n’est que les deux soldats ne peuvent se retrouver en une même personne, car le soldat ne peut servir qu’un seul maître.

Tertullien va trop loin, en particulier parce qu’il semble oublier le Rendez à César… de Jésus-Christ qui demandait de ne pas confondre les deux mondes, celui du spirituel et le terrestre. Et surtout, de par son vocabulaire, il ouvre la porte à la guerre sainte, dès lors que le pouvoir temporel est représenté par une personne se réclamant de droit divin ou comme représentant le Christ ! Bien plus qu’un saint Augustin par trop accusé à tort et qui mettait des limites à la guerre, la rendant même quasiment impossible au chrétien tant les conditions de la guerre juste sont exceptionnelles à réunir, par cette identification du chrétien au soldat, sans aucune limite posée, Tertullien ouvre la voie au soldat se battant pour imposer la foi, non pas au soldat protégeant les pèlerins mais au croisé de Jérusalem massacrant sans vergogne malgré les pleurs de Godefroy de Bouillon, au persécuteur ! Dès lors que l’empereur est le “lieutenant de Dieu”, toute action, tout combat, tout massacre qu’il commande devient ordre de Dieu et le refuser est dès lors désobéir à Dieu ! Sans peut-être le vouloir, Tertullien ouvre à la guerre sainte, à la persécution sous l’uniforme de Dieu, car rien n’est plus facile que d’isoler un passage de son contexte ! À être trop moralisateur, à être trop rigide, on ouvre bien des boîtes de Pandore ! Or, Tertullien avait un esprit bien sévère et dur, faisant de lui l’ennemi de tout compromis (B. Altaner, Précis de Patrologie, Salvator, 1941, pp. 126-127), ce qui devait le conduire à une sur-morale et plus encore à l’hérésie non seulement montaniste, mais encore tertullianiste !

 

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29 mars 2010 1 29 /03 /mars /2010 11:18

On se souviendra tout au long de ce qui suit de l'Ancien Testament, car on y trouve des exemples de guerres justes et de guerres injustes, et leurs caractéristiques sont finalement assez proches des problématiques qu'évoqua bien plus tard saint Augustin lorsqu'il posa les conditions de la guerre juste. On notera juste que dans l'Ancien Testament les guerres justes sont toujours gagnées, alors que les guerres injustes sont perdues, saint Augustin ne faisant pas de cette proposition la sienne ; de même, lorsque l'offenseur reconnaît ses torts, il y a la paix, car la recherche de la paix est juste, car prioritaire sur la guerre.

Le parallèle avec saint Augustin est vraiment flagrant, mais finalement fort peu surprenant, en ce sens que saint Augustin s'inspira assez largement de l'Ancien Testament pour élaborer sa doctrine.

On remarquera que ces conditions se retrouvent dans l'actuelle doctrine de l'Église catholique, qui s'inscrit donc bien dans la Tradition, comme le démontrent les articles 2302 à 2317 du Catéchisme de l'Église Catholique. On les retrouve aussi comme cela a été vu aux articles 33 à 51 de la Charte des Nations unies…

Augustin d’Hippone a bien théorisé la guerre juste, mais tout en faisant de la paix l’objectif majeur, la seule fin. La recherche de la paix est le vrai moteur de la pensée augustinienne, seule l’injustice de l’ennemi imposant au sage de faire une juste guerre, la guerre, même juste, causant  de la douleur au sage, et il est inhumain de ne pas frémir devant la guerre, car la guerre, même juste, est toujours une misère : Mais, dira t-on,  le sage  n'entreprendra que des guerres justes. Eh ! n'est-ce pas cette nécessité même de prendre les armes pour la justice qui doit combler le sage d'affliction, si du moins il se souvient qu'il est homme ? Car enfin, il ne peut faire une guerre juste que pour punir l'injustice de ses adversaires, et cette injustice des hommes, même sans le cortège de la guerre, voilà ce qu'un homme ne peut pas ne pas déplorer. Certes, quiconque considérera des maux si grands et si cruels tombera d'accord qu'il y a là une étrange misère. Et s'il se rencontre un homme pour subir ces calamités ou seulement pour les envisager sans douleur, il est d'autant plus misérable de se croire heureux, qu'il ne se croit tel que pour avoir perdu tout sentiment humain (De Civ. Dei, XIX, 7). La guerre, même juste, frappe donc le sage d'affliction, restant dans tous les cas une misère. De ce fait, seule la défense de la justice peut apparaître comme motivation de la guerre juste.

La pensée augustinienne est en fait un mélange de droit naturel et de philosophie rationnelle, comme on le retrouve par exemple chez Cicéron, mais révisé au travers de la vision des Béatitudes, donc de la vision divine. C'est ainsi que le Père Marcel Chossat a pu montré qu'il y avait une grande continuité de la doctrine chrétienne en la matière jusqu'à nos jours, avec comme clé de voûte Saint Augustin, et même depuis la doctrine de l'antiquité : Au troisième livre De la République, Cicéron s'applique à réfuter cette opinion que l'injustice est nécessaire au gouvernement de l'État. Bien au contraire, conclut-il, la République ne fleurit et ne prospère que par la justice. Les actes de l'État n'échappent pas à la loi morale, ils doivent respecter toujours la loi naturelle. Pour être permise, la guerre doit être juste. Et c'est de ce troisième livre De la République que saint Augustin et Isidore de Séville ont tiré leurs célèbres définitions de la "juste guerre", que recueillit le Décret de Gratien et que s'approprièrent tous les théologiens, de saint Thomas d'Aquin à Suarez, et, à leur suite, Grotius (M. Chossat, La paix et la guerre d'après le Droit naturel chrétien, Bloud, Paris, 1918, pp. 66-67).

Malgré tout, de la guerre peut naître du bien puisque par la guerre Dieu corrige les mœurs, éprouve et augmente la vertu, ce à quoi Vauvenargues (1715-1747) répondra avec sa maxime CCXXV selon laquelle le vice fomente la guerre ; la vertu combat : s’il n’y avait aucune vertu, nous aurions pour toujours la paix

En fait, pour saint Augustin, les malheurs de la guerre seraient une sanction du péché ; même lorsque la défaite humilie ceux qui avaient pour eux le bon droit - preuve supplémentaire du fait que le Royaume de Dieu n'est pas de ce monde  -, il faut regarder cette douloureuse épreuve comme voulue de Dieu pour purifier le peuple des fautes dont il doit lui-même s'avouer coupable : Omnis victoria eum etiam malis provenit, divine judicio victos humiliat, vel emendans peccata, vel puniens. C'est la vertu expiatrice de la guerre que l'on retrouvera chez Joseph de Maistre (in : Les soirées de Saint-Pétersbourg, 7ème entretien)…

Il ne faut pas être l’agresseur - Pour commencer, un exemple tiré de l'Ancien Testament. Les Ammonites ayant inopinément  attaqué les Israélites, Jephté, qui avait été élu chef des Israélites, envoya leur dire : Qu'y a-t-il entre toi et moi pour que tu sois venu vers moi faire la guerre à mon pays ? (Jg 11, 12). Les Ammonites renouvelèrent alors une ancienne querelle, et prétendirent que les Hébreux, au sortir de l'Égypte, avaient envahi leur pays.  Jephté justifia aisément son peuple de ce reproche ; et comme les enfants d'Ammon ne se rendirent pas à ses raisons, il leur dit : Que le Seigneur, le juge, juge aujourd'hui entre les fils d'Israël et les fils d'Ammon (Jg 11, 27). Après quoi, il les attaqua et les défit. La guerre d'Israël est ici une guerre défensive, et Dieu donna la victoire à ses guerriers.

Cette première condition ne découle pas d'un texte particulier de saint Augustin mais de l'ensemble de l'économie de son œuvre. Elle est inhérente à sa théologie de la paix !

La guerre ne peut être civile et la décision de l’engager revient à la seule autorité publique - La guerre ne peut être entreprise que par la seule autorité publique, et ne doit en aucun cas être civile, cette dernière étant bien plus pénible que la guerre avec un ennemi :  Il importe assurément de voir pour quelle raison et par ordre de qui la guerre est entreprise ; cependant l'ordre naturel exige, dans l'intérêt de la paix du genre humain, que le pouvoir de la commander appartienne au prince, et que le devoir de la faire, pour la paix et le bien général, incombe au soldat (Contra Faust., XXII, 75). Nul ne doit se contenter de dire : Dieu sait que je ne voulais pas qu'on fît cela. Ne pas y avoir pris part, n'y avoir pas consenti : voilà bien deux choses ; mais ce n'est pas encore assez. Il ne suffisait point de ne pas consentir, il fallait encore s'opposer. Il y a pour les méchants des juges, il y a des pouvoirs établis. “ Ce n'est pas sans raison, dit l'Apôtre, que le pouvoir porte le glaive ; car il est le ministre de Dieu dans sa colère : mais contre celui qui fait le mal. Le ministre de la colère divine contre celui qui fait le mal. Si donc tu fais le mal, poursuit-il, crains. Ce n'est pas sans raison qu'il porte le glaive  (Sermon CCCII, 11).

Saint Augustin confirmera à plusieurs reprises cette condition, insistant toujours sur la paix : Nous vous recommandons, nous vous prions, au nom du Seigneur et de sa mansuétude, de vivre avec douceur, de vivre en paix. Laissez les autorités accomplir tranquillement les devoirs dont elles rendront compte à Dieu et à leurs supérieurs (Sermon CCCII, 21).

La condition est la décision de l'autorité, et il importe peu que cette autorité soit chrétienne ou non. En contrepartie, il faut reconnaître que saint Augustin, reprenant ici Ambroise de Milan, fait assumer au chef l'intégralité de la responsabilité quand à la justesse ou non d'une guerre. Ainsi, un juste, engagé comme soldat sous un roi, même sacrilège, a droit de demander à combattre par son commandement, en respectant l'ordre et la paix chez les citoyens, quand il est assuré que ce qu'on exige de lui n'est point contre la loi de Dieu, ou du moins quand il n'est pas sûr du contraire, en sorte que l'injustice de l'ordre rende peut-être le roi coupable, pendant que l'obéissance excuse le soldat (…) (Contra Faust., XXII, 75).

Saint Augustin rappelle avec encore plus de force cette exemption du soldat, dès lors que celui-ci combat avec la certitude d'agir pour la justice et la vérité : Mais il (l'Apôtre) a fait attention : il a médité, pesé, adopté, châtié son langage. Remarquez bien ces mots : “ Fais le bien, et par elle (la puissance) tu seras glorifié ” ; soit qu'elle te loue elle-même, si elle est bonne ; soit que, si elle est injuste et que tu meures pour la foi, pour la justice, pour la vérité, elle travaille à ta gloire par ses cruautés mêmes, non pas en te louant, mais en te donnant l'occasion de mériter des louanges. Ainsi donc fais le bien, et tu en jouiras avec sécurité (Sermon CCCII, 12).

Il est cependant dommage que saint Augustin n'ait pas apporté de réponse précise à l'attitude à adopter par le soldat ayant pleine conscience de l'injustice de la guerre, même si l'ensemble de son œuvre, et en particulier l'esprit de La Cité de Dieu, laisse penser que le soldat doit alors agir selon sa conscience de chrétien, donc refuser de tuer. De plus, comme il lie la justice à l'État lui-même, donc à sa composante qu'est le pouvoir, en affirmant que là où il n'y a pas de justice il n'y a pas d'État (De Civ. Dei, XIX, 21), on peut supposer que dès lors que l'injustice est reconnue par tous, il y a exemption d'obéissance.

Tout cela semble donc déjà interdire la guerre civile, puisque celle-ci est par définition non décidée par l'autorité légitime. Et, pour saint Augustin, si la guerre est horrible, la guerre civile est encore plus horrible : Mais (…) voici qu'une Cité faite pour l'empire, en imposant sa loi aux nations vaincues, leur a aussi donné sa langue, de sorte que les interprètes, loin de manquer, sont en grande abondance. Cela est vrai ; mais combien de guerres gigantesques, de carnage et de sang humain a t-il fallu pour en venir là ? Et encore, ne sommes nous pas au bout de nos maux. Sans parler des ennemis extérieures qui n'ont jamais manqué à l'empire romain et qui chaque jour le menacent encore, la vaste étendue de son territoire n'a t-elle pas produit ces guerres mille fois plus dangereuses, guerres civiles, guerres sociales, fléaux du genre humain, dont la crainte seule est un grand mal ? (De Civ. Dei, XIX, 7).

Saint Augustin insiste d'ailleurs bien sur l'horreur de la guerre civile en reprenant des exemples dans l'histoire de Rome, qu'il évoque la guerre entre Rome et Albe : Cette guerre ne fut-elle pas plus que civile,  puisque la cité fille  y combattit contre la cité mère ?  (De Civ. Dei, III, 14), l'enlèvement des Sabines : À combien de proches et d'alliés cette victoire coûta-t-elle la vie, et de part et d'autres quel nombre de blessés ! La guerre de César et de Pompée n'était que la lutte d'un seul beau-père contre un seul gendre, et encore, quand elle éclata, la fille de César, l'épouse de Pompée n'était plus ; et cependant, c'est avec un trop juste sentiment de douleur que Lucain s'écrie : “ Je chante cette guerre plus que civile, terminée aux champs de l'Émathie et où le crime fut justifié par la victoire ” (De Civ. Dei, III, 13), ou encore la guerre de Sylla : Sylla, qui vint tirer vengeance de ces cruautés au prix de tant de sang, mit fin à la guerre ; mais comme sa victoire n'avait pas détruit les inimitiés, elle rendit la paix encore plus meurtrière. (…). Bientôt Sylla entra victorieux à Rome, après avoir fait égorger dans une ferme publique sept mille hommes désarmés et sans défense. Ce n'était plus la guerre qui tuait, c'était la paix ; on ne se battait plus contre ses ennemis, un mot suffisait pour les exterminer (De Civ. Dei, III, 28).

 Que nous dit Thomas d’Aquin, le Docteur angélique ? 1° L'autorité du prince, sur l'ordre de qui on doit faire la guerre. Il n'est pas du ressort d'une personne privée d'engager une guerre, car elle peut faire valoir son droit au tribunal de son supérieur ; parce qu'aussi le fait de convoquer la multitude, nécessaire pour la guerre, n'appartient pas à une personne privée. Puisque le soin des affaires publiques a été confié aux princes, c'est à eux qu'il appartient de veiller au bien public de la cité, du royaume ou de la province soumis à leur autorité. De même qu'ils le défendent licitement par le glaive contre les perturbateurs du dedans quand ils punissent les malfaiteurs, selon cette parole de l'Apôtre (Rm 13, 4) : "Ce n'est pas en vain qu'il porte le glaive ; il est ministre de Dieu pour faire justice et châtier celui qui fait le mal" ; de même aussi il leur appartient de défendre le bien public par le glaive de la guerre contre les ennemis du dehors. C'est pour cela qu'il est dit aux princes dans le Psaume (82, 4) : "Soutenez le pauvre, et délivrez le malheureux de la main des pécheurs". et que S. Augustin écrit : "L'ordre naturel, appliqué à la paix des mortels, demande que l'autorité et le conseil pour engager la guerre appartiennent aux princes."(Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa-IIae, question 40, article premier ).

La guerre ne peut être décidée et conduite que par une autorité compétente, celle qui exerce dans l'État le pouvoir suprême. Elle ne peut donc pas être décidée par de simples particuliers, ni même par une autorité secondaire ; les guerres privées féodales sont ainsi condamnées, ainsi que les guerres séditieuses.

Un droit qui doit être moralement certain - La guerre doit s’appuyer sur un droit moralement certain et avoir une juste cause, le dommage infligé par l’agresseur devant être durable, certain et grave ; il reprend ici l’idée de Cicéron selon lequel la République peut faire la guerre pour son salut. Il est donc des guerres justes, celles qui tendent à réprimer, de la part de l'adversaire, une entreprise coupable : Iniquitas partis adversae justa bella ingerit gerenda sapienti.

Mais, dans tous les cas, et de ce fait même, une même guerre ne peut pas être juste de plusieurs côtés à la foi, puisque la fin de la guerre juste est de corriger une injustice :  Il ne peut faire une guerre juste que pour punir l'injustice de ses adversaires, et cette injustice des hommes, même sans le cortège de la guerre, voilà ce qu'un homme ne peut pas ne pas déplorer (De Civ. Dei, XIX, 7).

On relèvera aussi que pour saint Augustin la religion n’est pas une cause juste de guerre, cette vision ne commençant vraiment à émerger qu’au milieu du XIème siècle, et ce même si l’impiété fait guerre à Dieu. Il reprenait ainsi le principe de son maître Ambroise de Milan (340-397) selon lequel l’Église ne conquiert pas avec des armes temporelles les forces qui lui sont opposées, mais avec les armes de l’esprit

Saint Thomas d'Aquin alla un peu plus loin que saint Augustin en reprenant cette condition. La guerre doit avoir une juste cause, c’est-à-dire qu'elle doit viser à sauvegarder le bien commun. Il doit donc y avoir soit imputabilité juridique, soit certitude d’une culpabilité morale et subjective. Il y a donc cumul de l’idée de faute imputable et de culpabilité avec les conséquences morales et juridiques de la faute commise. On doit donc combattre l'adversaire à raison d'une faute proportionnée qu'il ait réellement commise : 2° Une cause juste :  il est requis que l'on attaque l'ennemi en raison de quelque faute.  C'est pour cela que S. Augustin écrit :  "On a coutume de définir guerres justes celles qui punissent des injustices quand il y a lieu, par exemple  de châtier un peuple ou une cité  qui a négligé de punir un tort commis par les siens,  ou de restituer ce qui a été enlevé par violence." (Quaest. in Heptat. VI, q. 10 sur Josué 8, 2) ” (Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa-IIae, q. 40, a. 1, rép.).

Se pose alors le problème de la juste guerre dans les cas où apparaît l'impossibilité certaine de donner aux conflits internationaux une solution pacifique qui satisfasse aux strictes exigences du droit.

Par ailleurs, saint Augustin insiste sur le fait que la guerre ne doit pas causer un mal supérieur au mal que l'on veut corriger par son entremise. Si le mal causé est supérieur au dommage subi, car la guerre engendre toujours du mal, alors la guerre n'a pas de juste cause et n'est donc pas juste ; et il faut déjà avant même de penser à la guerre regarder ses propres fautes : Tu le condamnes et tu fais comme lui ? Tu veux par le mal triompher du mal ? Triompher de la méchanceté par la méchanceté ? Il y aura alors deux méchancetés qu'il faudra vaincre l'une et l'autre (Sermon CCCII, 10).

Il faut donc avant tout chercher à être juste à la guerre, tout autre cas créant deux maux et non plus un seul mal. Et un lien est ainsi établi entre la juste cause et l’intention droite , même si l'on peut penser à [Mt 7, 1-5], saint Augustin se fonde ici principalement sur [Rm 12, 21]

Une intention droite - Chez les Hébreux, la guerre menée par orgueil ou par soif du pouvoir est injuste, car elle n'a pas une juste cause. De plus, dans l'Ancien Testament les guerres justes sont toujours gagnées, alors que les guerres injustes sont toujours perdues… Deux exemples… Ben-Hadad II, roi d'Aram, étant venu avec son armée devant Samarie, envoya déclarer la guerre à Achab, septième roi d'Israël, en disant : Ton  argent  et ton or  sont à moi,  tes femmes et  tes enfants  restent à toi (1R 20, 3). Achab, qui se sentait trop faible pour lui résister, répondit : À tes ordres, Monseigneur le roi ! Je suis à toi avec tout ce qui m'appartient (1R 20, 4). Alors, Ben-Hadad, plus fier qu'auparavant, lui fit dire : Je t'ai mandé : "Donne-moi ton argent et ton or, tes femmes et tes enfants." Sois sûr que demain à pareille heure, je t'enverrai mes serviteurs, ils fouilleront ta maison et les maisons de tes serviteurs, ils mettront la main sur tout ce qui leur plaira et ils l'emporteront (1R 20, 5-6). Ces demandes parurent injustes et exorbitantes à Achab et à son conseil ; ils résolurent de se défendre, et de soutenir le siège de Samarie, siège que Ben-Hadad fut obligé d'abandonner après une grande perte (1R 20, 7-21). La guerre menée par Ben-Hadad est injuste car il est  l'envahisseur tout en agissant par orgueil.

De même, Amasias, roi de Juda, orgueilleux de quelques avantages qu'il avait remportés contre les Iduméens envoya défier Joas, roi d'Israël en lui disant : Viens t'affronter avec moi ! (2R 14, 8). Joas, sans s'émouvoir, lui fit réponse : Le chardon du Liban a envoyé dire au cèdre du Liban : "Donne ta fille en mariage à mon fils !"  Mais la bête sauvage du Liban est passée et a piétiné le chardon.  Certes,  tu as vaincu Edom et ton cœur en est fier.  Glorifie-toi,  mais reste chez toi ! (2R 14, 9-10a). Amasias ne se rendit pas. Les deux rois se virent avec leurs armées à Bet-Shémesh, à la frontière de Juda et de Dan (Jos 15, 10), mais celle de Juda fut battu (2R 14, 8-13 ; 2Ch 25, 20-23). Le roi de Juda cherche là à mener une guerre par orgueil ; il est défait car sa guerre est injuste.

Comme cela est patent dès l’Ancien Testament, la guerre doit donc être faite dans une intention droite, c’est-à-dire procurer un bien ou éviter un mal, tout en cherchant la paix sans  faire durer la guerre d’une manière inutile. Le but légitime de la guerre n'est pas la victoire mais la paix dans la justice, le rétablissement durable d'un ordre social respectant chacun : Pax omnium rerum tranquillitas ordinis. Ordo est parium dispariumque rerum, sua cuique loca tribuens, dispositio. Autrement dit, on doit vouloir la paix et ne faire la guerre que par nécessité, pour que Dieu vous délivre de la nécessité de tirer l'épée et vous conserve dans la paix. On ne cherche pas la paix pour exciter la guerre, mais on fait la guerre pour obtenir la paix. Restez donc amis de la paix, même en combattant, afin que la victoire vous serve à ramener l'ennemi aux avantages de la paix (Lettre CLXXXIX à Boniface, 6).

Et c’est là que la théologie de la paix de saint Augustin déploie toute sa puissance, et c’est aussi un tel point qui montre combien la boucle semble se refermer   aujourd’hui  avec un retour  à  saint Augustin.  En effet, oubliant saint Augustin, l’Église allait pendant longtemps considérer que l’intention droite se limitait à la seule réparation du dommage, voire d’une offense - et l’on sait à quels excès l’introduction de l’idée d’offense a conduit -, dans une relation se prétendant chevaleresque des relations entre États. Or, aujourd’hui, comme pour saint Augustin, réparer n’est plus suffisant pour confirmer la droiture d’une intention ; la seule intention droite est celle qui, dans la guerre, qui reste péché, vise la paix, au renforcement de la coopération entre les peuples… Sa finalité n’est pas l’obtention d’une victoire militaire, mais la construction d’une paix durable car juste ! De ce fait, et dans une perspective d’actualité, une intervention militaire, même internationale, qui ne s’accompagne pas d’une action de reconstruction de dégâts antérieurs à la guerre ou de développement durable échappe à l’intention droite, et ne peut  être qualifiée de guerre juste !

Francesco de Vitoria reprendra cette idée en affirmant que le but de la guerre est de rétablir la justice et non pas d’aller jusqu’au bout de la raison du plus fort, mais sa justification de l’esclavage et du butin fait que sa vision de l’intention droite n’est pas juste, maintenant une part de péché, oubliant qu’il n’y a plus de maître ni d’esclave (cf. Ga 3, 28), oubliant la recommandation de Jean le baptiste aux soldats (Lc 3, 14) !

Pour saint Augustin, la guerre ne doit pas être conduite à des fins d'orgueil ou de possession : Quand elle est entreprise par l'ordre de Dieu même, on ne peut sans crime douter qu'elle soit juste, et quand son but soit ou d'effrayer, ou d'écraser ou de subjuguer l'orgueil humain (Contra Faust., XXII, ch. 75). La guerre ne doit pas être faite par ambition, car il ne s'agit plus alors que de brigandage : Faire la guerre à ses voisins, attaquer des peuples dont on a reçu aucune offense et seulement pour satisfaire son ambition, qu'est-ce autre chose que du brigandage en grand ? (De Civ. Dei, lV, 6). Et saint Augustin de déplorer que l'empire romain se soit construit sur la guerre et les massacres : Mais (…) voici qu'une Cité faite pour l'empire, en imposant sa loi aux nations vaincues, leur a aussi donné sa langue, de sorte que les interprètes, loin de manquer, sont en grande abondance. Cela est vrai ; mais combien de guerres gigantesques, de carnage et de sang humain a t-il fallu pour en venir là ? (De Civ. Dei, XIX, 7).

La guerre offensive est donc interdite ; elle s'assimile à un crime ! Seule la guerre défensive, et répondant à une offense grave, est justifiable. Même la guerre préventive n'est pas autorisée ! Reste qu’un vide persiste dans la pensée de saint Augustin, car il ne définit pas ce qu’est une guerre entreprise par l’ordre de Dieu, ouvrant ainsi la voie à toutes sortes de déviances ! Il reste ici trop proche de la vision de l’Ancien Testament, oubliant pour une fois que celui-ci ne doit être lu qu’à la lumière du Nouveau Testament ; il a oublié de préciser ici que, comme l’a enseigné saint Irénée, l’Ancien Testament n’est qu’une démarche pédagogique de Dieu à un stade archaïque de la culture humaine non encore éclairée par le Christ. Or, certaines des guerres “ordonnées par Dieu” de l’Ancien Testament sont des massacres, voire des Génocides ; pourtant Dieu ne peut pas avoir ordonné des crimes contre l’humanité ! Quel dommage que saint Augustin n’ait pas précisé sa pensée sur ce point spécifique (et ce même si toute sa théologie est dominée par la vision du Christ), car cela aurait épargné bien des misères, et plus encore certains travestissements de la parole divine !

Pour saint Thomas d'Aquin également, l’intention doit être droite : 3° Une intention droite chez ceux qui font la guerre : on doit se proposer de promouvoir le bien ou d'éviter le mal.  C'est pour cela  que S. Augustin écrit : " Chez les vrais adorateurs de Dieu les guerres mêmes sont pacifiques, car elles ne sont pas faites par cupidité ou par cruauté, mais dans un souci de paix, pour réprimer les méchants et secourir les bons. " En effet, même si l'autorité de celui qui déclare la guerre est légitime et sa cause juste, il arrive néanmoins que la guerre soit rendue illicite par le fait d'une intention mauvaise. S. Augustin écrit en effet : "Le désir de nuire, la cruauté dans la vengeance, la violence et l'inflexibilité de l'esprit, la sauvagerie dans le combat,  la passion de dominer et autres choses semblables,  voilà ce qui  dans les guerres est  jugé coupable  par le droit." (Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa-IIae q. 40, a. 1, rép.).

Il faut donc faire loyalement effort pour procurer le bien et pour éviter le mal dans toute la mesure du possible. Il faut donc s’interdire toute forme de mal, tout en s’astreignant à toute forme obligatoire du bien (charité, justice, …). Ceci concerne tant la décision, la conduite que la conclusion de la guerre. Se pose ici le problème de la conduite de la guerre avec les règles que lui impose la morale chrétienne et celui de la juste paix.

Un devoir : rechercher avant tout la paix - Avant tout, un autre exemple tiré de l'Ancien Testament. Les Philistins étant entrés sur les terres de Juda pour se venger du feu que Samson  avait mis dans leurs moissons, ceux de Juda vinrent leur demander : Pourquoi  êtes-vous ainsi venus contre nous dans notre terre ? On leur dit qu'on n'en voulait qu'à Samson qui avait désolé les campagnes des Philistins. Ceux de Juda promirent de leur livrer le coupable et les Philistins se retirèrent. Les Judéens cherchent avant tout la paix, et reconnaissent les torts d'un des leurs ; ils obtiennent la paix, car la guerre qu'ils auraient menée aurait été injuste car l'un des leurs était l'offensant (Jg 15,9-13).

Avant de se lancer dans une guerre, tous les moyens d’éviter la guerre doivent avoir été épuisés, priorité étant donc donnée à la paix, car le soldat doit désirer la paix, la nécessité seule (devant) porter la guerre. Une démonstration de l’approche augustinienne de la paix a déjà été présentée précédemment, et se retrouve dans le Sermon CCCLVII.

La guerre n'est qu'une solution extrême qui ne doit être envisagée que dès lors que toute tentative de sauvegarder autrement  la cause du bon droit ou du bien commun a échoué ; en effet, la guerre  engendre tant de maux et d'horreurs, que l'on ne peut s'y résigner que contraint par un impérieux devoir : Mala tam magna, tam horrenda, tam saeva.

Cette donnée augustinienne est aujourd’hui devenue un fondement du droit international public… Depuis la fin de la première guerre mondiale, l’ampleur des combats et le nombre des victimes ont fait que la question est redevenue d’actualité. Force est depuis lors faite de constater que la qualification d’agression ne peut plus se situer du seul côté de la victime, du seul État agressé. Ainsi, le concile de Vatican II dans la constitution Gaudium et spes ne reconnaît le droit des gouvernements à la légitime défense qu’à défaut d’une autorité internationale compétente ; aussi longtemps que le risque de guerre subsistera, qu’il n’y aura pas d’autorité internationale compétente et disposant de forces suffisantes, on ne saurait dénier aux gouvernements, une fois épuisées toutes les possibilités de règlement pacifique, le droit de légitime défense (Gaudium et spes, 79, § 4).

Cette obligation de donner priorité à la paix est très actuelle, même si elle n'est malheureusement pas toujours respectée. Elle se retrouve dans la Charte des Nations unies dont elle est d'une certaine façon le fondement. Ainsi, selon le Préambule de la Charte des Nations unies, l’objectif des Nations unies est de préserver les générations futures du fléau de la guerre. La paix est prioritaire, elle est la fin même des Nations unies !

De même, l’article 39 (ONU), qui ouvre le chapitre VII de la Charte des Nations unies consacré aux actions possibles en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix ou d’acte d’agression, donne une priorité à la recherche a priori de la paix. Cet article confie au Conseil de sécurité - CSNU - la responsabilité principale du maintien de la paix en lui octroyant de très larges moyens d’action puisque le Conseil de sécurité d’une part, constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, l’opération de qualification étant considérée comme un préalable à l’action. Ce jugement correspond aux trois seuls types de situation désignés à l’article 39, des mesures provisoires pouvant être mises en œuvre ; d’autre part, et comme conséquence de ce constat, fait des recommandations ou décide de certaines mesures, conformément aux articles 41 et 42 de la Charte.

Ces dernières mesures n’impliquent pas forcément l’emploi de la force armée. Elles invitent avant tout les États membres des Nations unies à entreprendre par exemple l’interruption compète ou partielle des relations économiques, des moyens de communication ou des relations diplomatiques avec l’État fautif. Néanmoins, si le Conseil estime que ces mesures sont inadéquates, il a la possibilité d’entreprendre une action coercitive, mais uniquement en dernier recours. De même, le Conseil de sécurité a la possibilité, avant de déclencher de telles sanctions, d’indiquer ou d’ordonner des mesures conservatoires visant à empêcher une aggravation de la situation.

Reste que l’article 39 ne donne aucune définition des trois types de situations qu’il concerne ; le droit onusien est ici bien moins complet que la doctrine chrétienne de la guerre juste qui a toujours cherché, parfois avec des erreurs voire des errements graves, à distinguer clairement les guerres justes des guerres injustes.

Ainsi, malgré certains éclaircissements, des imprécisions demeurent. La menace contre la paix peut couvrir des hypothèses très diverses, allant d’un conflit armé entre États à une situation interne très grave susceptible d’avoir des répercussions internationales. Le Conseil de sécurité a donc exigé, pour qu’une situation soit qualifiée de menace contre la paix dans les termes de l’article 39, qu’elle constitue une menace non seulement grave, mais encore actuelle pour la paix internationale. Par ailleurs, la rupture de la paix est une formule très souple qui n’oblige pas à désigner l’État responsable de cet acte ou de la situation qui en a résulté. Elle n’a donc été que très peu utilisée tant par le Conseil de sécurité que par l’Assemblée générale. Enfin, en adoptant la résolution 3.314 du 14 décembre 1974, l’Assemblée générale est parvenue à donner une définition de l’agression.

Dans la foulée de Pie XII, mais surtout de Paul VI, Jean-Paul II a, dans cet esprit, fait des institutions internationales la clé de toute solution aux problèmes de paix ou de guerre. Le Pape Paul VI avait ainsi insisté dans tout son message sur cet impératif de rechercher avant tout la paix. Il suffit pour s’en convaincre de relire son Encyclique du 15 septembre 1966 (Au nom du Seigneur, Nous crions : "Arrêtez !") où il a posé des bornes indépassables par le chrétiens : Les États ne doivent pas se faire la guerre mais au contraire conjuguer leurs efforts pour faire la paix ; La guerre est un fléau épouvantable ; Il vaut mieux régler un conflit avec quelque inconvénient ou désavantage que de se lancer dans la guerre ; Le devoir du chrétien et de l'Église est avant tout de rechercher la paix, en particulier par l'intercession de la Vierge Marie

Bien que proches de nous, combien ces paroles sont oubliées ! De même, depuis l’encyclique Pacem in terris de Jean XXIII, les chrétiens devraient clamer Si tu veux la paix, prépare la paix parce que la paix ne se résume pas à l’absence de guerre, parce que le développement est le nouveau nom de la paix. Et tant que tous les États et que tous les hommes ne se seront pas engagés sur le chemin du développement juste pour l’ensemble de l’humanité, il y aura toujours difficulté à parler de guerres justes. Que le développement soit le nouveau nom de la paix, les chrétiens ne le découvrent pas dans une lecture politique ou idéologique, mais dans l’intimité de celui qui, Prince de la paix, a donné sa paix et ouvre le temps messianique de la Paix sur notre terre humaine.

Conséquence : toute tentative de la part d’un État quelconque visant à instrumentaliser l’ONU ou à bloquer son fonctionnement est désormais considérée par l’Église comme une véritable atteinte à la paix, même si cette violation potentielle ou réelle du droit international n’est pas en elle-même une cause de guerre…

Ne pas mener une guerre aventureuse - Avant de se lancer dans une guerre, des conditions sérieuses de succès doivent avoir été réunies, sinon la recherche de la paix est un impératif éthique. Ceci se trouve confirmé par les paroles mêmes du Christ : Quel est le roi qui, partant faire la guerre à un autre roi, ne commencera pas par s'asseoir pour examiner s'il est capable, avec dix mille hommes, de se porter à la rencontre de celui qui marche contre lui avec vingt mille ? Sinon, alors que l'autre est encore loin, il lui envoie une ambassade pour demander la paix (Lc 14, 31).

Saint Augustin reprend ce passage de l’Évangile de Luc lorsqu’il commente le livre de Job (Annotations sur le livre de Job, XXXVI, 7). L'obligation faite de devoir rechercher avant tout la paix pose en fait la guerre comme étant un ultime recours.

Essai de synthèse - En résumé, ce ne sont pas six mais dix conditions qui semblent posées par saint Augustin pour justifier une guerre :

⑴ La guerre préventive pour protéger le faible du méchant peut être un devoir.

⑵ La guerre pour imposer la foi est interdite.

⑶ Il ne faut pas être l'agresseur.

⑷ La guerre ne peut être civile.

⑸ La décision de l'engager revient à la seule autorité publique.

⑹ Le droit doit être moralement certain.

⑺ La guerre doit être menée dans une intention droite.

⑻ Une éthique de et à la guerre doit exister.

⑼ Il faut rechercher avant tout la paix.

⑽ Il ne faut pas mener une guerre aventureuse.

Il est dommageable que certains, y compris dans l’Église, aient pu détourner certaines d’entre elles de leur vrai sens, et notamment les conditions ⑴, ⑹ et ⑺. Saint Augustin ne sera malheureusement pas le dernier des auteurs a être trahi et instrumenté par d’autres… Par exemple, ce n'est qu'au XIIIème siècle qu'Henri de Suse détourna ce qu’on l’on appelle à tort la théorie augustinienne de la guerre juste, créant l'idée de guerre romaine contre les infidèles ou encore celle de guerre sainte pour défendre la foi, le XVIème siècle détournant lui aussi saint Augustin pour justifier les guerres de religion. Néanmoins, et malgré ce qu’affirment certains aujourd’hui, et pour ce qui est des croisades, ce ne fut pas saint Augustin qui fut invoqué par les Papes ou encore par Foucher de Chartres, mais le livre de l'Exode, ainsi que certains passages du Deutéronome, en particulier [Dt 20, 10-20], y compris pour justifier des massacres.

 
voir aussi :
Augustin d'Hippone : une figure du soldat
Augustin d'Hippone : la guerre et la paix
Augustin d'Hippone : la théorie des deux cités

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29 mars 2010 1 29 /03 /mars /2010 11:17

Peut-on être soldat ? - Saint Augustin ne condamne pas a priori le métier des armes ; cela a déjà été vu lorsqu'il précisa que le christianisme n'interdit pas toute guerre, en particulier dans son analyse de [Lc 3, 11-14] : Et c'est souvent pour punir ces excès, pour résister à la violence, que des hommes de bien, par le commandement de Dieu ou de quelque autorité légitime, entreprennent des guerres, quand ils se trouvent placés dans une situation telle que l'ordre lui-même exige ou qu'ils les ordonnent ou qu'ils les exécutent. Autrement quand les soldats venaient trouver Jean pour recevoir le baptême (…) il leur aurait répondu : Jetez vos armes, abandonnez votre drapeau ; ne frappez, ne blessez, ne tuez personne. Mais comme il savait qu'en faisant cela à la guerre, ils n'étaient point homicides, mais serviteurs de la loi ; qu'ils ne vengeaient point leurs propres injures, mais pourvoyaient au salut public, (…). (…) Mais il serait long de discuter maintenant sur les guerres justes et injustes, et cela n'est pas nécessaire (Contra Faust., XXII, 74). S'appuyant sur l'exemple du roi David, ainsi que sur [Mt 7, 8-10], [Ac 10, 4-8], Mt [11, 11] et donc [Lc 3, 14], il dit encore aux chrétiens : Gardez-vous de croire qu'on ne puisse plaire à Dieu dans la profession des armes (Lettre CLXXXIX à Boniface, 4).

Il est donc des soldats qui peuvent plaire à Dieu, et il ne s’agit pas seulement ceux des croyants qui luttent spirituellement contre le mal, ce qu'il réaffirmera par ailleurs : Il en est donc qui, en priant pour vous, combattent contre d'invisibles ennemis ; vous, en combattant pour eux, vous travaillez contre les barbares trop visibles. (…) Nous ne devons pas vouloir avant le temps vivre uniquement avec les saints et les justes, afin que nous le méritions en son temps (Lettre CLXXXIX à Boniface, 5). Et saint Augustin parle bien des soldats temporels, insistant sur la source divine de la force temporelle : Lors donc que vous vous armez pour le combat, songez d'abord que votre force corporelle est aussi un don de Dieu ; cette pensée vous empêchera de tourner le don de Dieu contre Dieu lui-même. Car si la foi promise doit être gardée à l'ennemi même à qui on fait la guerre, combien plus encore elle doit l'être à l'ami pour lequel on combat ! (Lettre CLXXXIX à Boniface, 6).

Un métier exposant à des risques graves de déviance - Pourtant, il ne considère pas le métier de soldat comme étant des plus recommandable, rejoignant ainsi ses prédécesseurs : Comment se fait-il que lorsqu'on leur adresse des observations, quand on leur reproche de s'enivrer, de voler le bien d'autrui, d'être violents,  de commettre des meurtres, ils répondent aussitôt : "Que voulez-vous que j'y fasse, je suis un homme du monde, un soldat ; je ne suis pas un prêtre, ni un moine." Comme si, parce que l'on n'est ni prêtre, ni moine, on avait le droit de tout se permettre (Sermon CCCII, sur l'amour de la vie éternelle, à l'occasion de la fête de saint Laurent).

Être soldat peut entraîner un mode de vie bien contraire à l'idéal du chrétien, et il faut donc veiller à ne pas sombrer dans ces risques de dérives… Ici, saint Augustin ne tranche pas véritablement avec ses prédécesseurs. Il va même plus loin en exposant la mauvaise réputation de certains soldats : Comment se fait-il que lorsqu'on leur adresse des observations, quand on leur reproche de s'enivrer, de voler le bien d'autrui, d'être violents, de commettre des meurtres, ils répondent aussitôt : "Que voulez-vous que j'y fasse, je suis un homme du monde, un soldat ; je ne suis pas un prêtre, ni un moine." Comme si, parce que l'on n'est ni prêtre, ni moine, on avait le droit de tout se permettre (, Sermon LXXXII (?), texte non retrouvé, mais cité par G. Minois, L’Église et la guerre, Fayard, 1994, pp. 49-50). Et de le confirmer de manière indirecte, tout en renvoyant la question de la déviance à celui qui la pose :  Mais ce soldat m'a fait tant de mal. - Je voudrais savoir si, soldat à ton tour, tu ne ferais rien de semblable. Nous ne voulons pas toutefois que se conduisent de la sorte les soldats qui oppriment les pauvres ; nous voulons au contraire qu'eux aussi écoutent l'Évangile, car ce n'est pas la milice, mais la malice qui fait obstacle au bien (Sermon CCCII, 15).

Il dit aussi de manière claire dans ce texte que le soldat, membre de la milice, peut faire le bien, et que cette dernière n’est pas rejetée aux yeux de Dieu.

Les jalons d’une éthique à la guerre - Le métier des armes étant admis, malgré quelques réserves sur certaines dérives possibles, se pose alors la question de savoir ce que le soldat peut faire à la guerre et dans la guerre ; bref, il pose les premiers jalons d'une éthique de la guerre. Déjà, le soldat doit se conformer à [Lc 13, 14], c'est-à-dire ne pas piller, ne pas mésuser de la violence légitime, ne pas convoiter…

Saint Augustin expose qu'un certain respect de l'adversaire doit rester à l'esprit de celui qui fait la guerre : Si la paix de ce monde est si douce pour le salut temporel des mortels, combien est plus douce encore la paix de Dieu pour le salut éternel des anges ! Que ce soit donc la nécessité et non pas la volonté qui ôte la vie à l'ennemi dans les combats. De même qu'on répond par la violence à la rébellion et à la résistance, ainsi on doit la miséricorde au vaincu et au captif, surtout quand les  intérêts de la paix  ne sauraient en être compromis (Lettre CLXXXIX à Boniface, 6). On est loin ici du vae victis des anciens, et saint Augustin, parmi les premiers, ose poser des limites éthiques à la guerre : (…) Que blâme t-on dans la guerre ? Est-ce que des hommes qui doivent mourir tôt ou tard, meurent pour établir la paix par la victoire ? C'est là le reproche d'un lâche, et non d'un homme religieux : le désir de nuire, l'envie cruelle de se venger, une animosité implacable et sans pitié, la fureur de la révolte, la passion de dominer, et autres défauts de ce genre, voilà ce que l'on condamne dans la guerre, et avec raison (Contra Faust., XXII, 74).

La guerre ne se fait donc pas pour n'importe quoi, ni n'importe comment, l'établissement de la paix et de la justice étant sa seule fin. Et ainsi se posent les conditions d'exercice de la guerre, donc la définition des prémisses du jus in bello. Les exactions sont ainsi interdites, comme le demandait saint Jean Baptiste en [Lc 3, 14], seul le mauvais soldat abusant de son droit pour en mener : Autre chose est qu'un propriétaire soit forcé de livrer son cheval à un soldat ; (…). Et comme la plupart des mauvais soldats, au mépris de la discipline militaire, abusent du drapeau de leur général pour effrayer certains propriétaires, et extorquer d'eux des contributions illégales ; ainsi quelquefois de mauvais chrétiens, des schismatiques ou des hérétiques, au nom du Christ, ou en employant des paroles chrétiennes et des objets consacrés, exigent quelque chose des puissances qui sont obligées de rendre hommage au Christ (Quatre-vingt-trois questions, Q. LXXIX [- Pourquoi les magiciens de Pharaon ont-ils fait certains miracles comme Moïse, le serviteur de Dieu ? (Ex 7-8)], 4).

Néanmoins, la ruse est autorisée : L'homme juste doit donc avant tout se préoccuper de faire la guerre uniquement pour la justice,  et contre celui à qui il est permis de la faire ; car cela n'est pas permis contre tout le monde. Or, lorsqu'on entreprend une guerre juste, peu importe, au point de vue de la justice, qu'on remporte la victoire en bataille rangée ou par une ruse heureuse (Questions sur l'Heptateuque, Livre VI, Questions sur Josué, X (Jos VIII, 2.) Quand la guerre est-elle juste ?).

Par ailleurs, saint Augustin condamne le vol, le pillage et la rapine, le vol n'étant autorisé que dans un seul cas, celui du risque de suicide : N'est-il pas permis  de dérober,  lorsque  le vol  ne fait  de tort à personne ? Ceci est parfaitement permis quand on se propose le bien de celui que l'on vole : ainsi, par exemple, si quelqu'un veut se donner la mort, il est permis de lui prendre son épée (Questions sur l'Heptateuque, livre III, Questions sur le Lévitique, LXVIII).

Enfin, le soldat doit respecter le droit d'asile : Parmi ses ennemis, plusieurs (…) avaient trouvé dans les lieux saints un asile pour échapper au fer ennemi et sauver une vie dont ils ont la folie de s'enorgueillir. (…) En effet, lorsque ces furieux, qui partout ailleurs s'étaient montrés impitoyables, arrivaient à ces lieux sacrés, où ce qui leur était permis autre part par le droit de la guerre leur avait été défendu, l'on voyait se ralentir cette ardeur brutale de répandre le sang et ce désir avare de faire des prisonniers (De Civ. Dei, I, 1. Saint Augustin parle ici des ennemis de la Cité de Dieu ; cet épisode se rapporte à la prise de Rome par Alaric ).

Un millénaire après saint Augustin, Francesco de Vitoria sera le premier à analyser de manière très précise et à systématiser les principaux droits et devoirs du soldat à la guerre, faisant qu’une guerre est juste ou non, fondant ainsi les prémices des droits de La Haye et de Genève. Ainsi, les principaux droits et devoirs pendant une guerre juste sont le droit de recourir à la force des armes sans s’attribuer indistinctement le droit de nuire à l’ennemi par n’importe quel moyen, l’interdiction de tout procédé contraire à la morale et au droit, ainsi que le devoir de ne recourir qu’à des procédés correspondant raisonnablement à l’obtention du but légitime qui seul autorise le droit de guerre. De même, il évoque la question des non-combattants, des prisonniers et des autres non-belligérants qui doivent être protégés avec des statuts différents, ainsi que celle des indemnités et du sort du chef vaincu ; dans tous les cas, le statut et les droits de ces personnes doivent être régis par le droit.

Il n’est pas criminel de tuer à la guerre ! - S’il est une question où il faut bien garder à l’esprit que saint Augustin s’exprime tant sur un plan terrestre que sur un plan spirituel, c’est bien celle du droit de tuer à la guerre, et il ne faut surtout pas se tromper de perspective. Ceci oblige à rappeler que si l’on ne tient pas compte du contexte de toute son œuvre et de ses Rétractations, il est facile de se tromper sur saint Augustin et de croire qu’il cherche à donner des réponses abominables et des interprétations unilatérales. La lecture de ses ouvrages polémiques doit ainsi toujours être complétée par celle de ses ouvrages pastoraux, et plus encore de ses sermons et lettres. Il ne faut en effet pas oublier que toutes ses œuvres ont été conçues uniquement à la fin de répondre à des questions concrètes, aux besoins pastoraux et pratiques de son diocèse, de ses correspondants et de son temps. Dès lors, il est facile de lire littéralement et hors contexte, et donc de trouver de l’abominable chez saint Augustin. La pastorale quotidienne, des réponses à des réalités du concret et du quotidien  – et non pas de la théorie ex nihilo – sont l’objet de saint Augustin ; et chacun de ses textes n’est qu’une réaction ponctuelle à une réalité concrète, ce qui impose de lire toute son œuvre avant de tirer des conclusions sur quelque point que ce soit. Par ailleurs, saint Augustin n’est qu’un homme ; il est donc faillible et peut parfois laisser parler ses passions plus que sa tête… De plus, même si, comme Père de l’Église, il est jugé de doctrina orthodoxa, ce qui signifie un accord doctrinal sur et dans l’ensemble de sa théologie, cela ne signifie pas infaillibilité absolue dans tous les détails ; d’où la nécessité de voir et de lire l’œuvre dans son intégralité et non pas en isolant quelques phrases. Et, sur cette question, saint Augustin donne deux réponses, l’une relative à la Cité terrestre, l’autre relative à la Cité de Dieu.

Et c’est ici que les doctrines catholiques du péché, de la pénitence, de la grâce et de la Rédemption, doctrines si bien explicitées par saint Augustin, doivent se déployer, en lien avec la volonté de rechercher avant tout la paix ! Saint Augustin est donc totalement actuel, même pour ce qui est des aspects de sa théologie a priori bien éloignés de la problématique développée ici, que ce soit pour sa théologie de la grâce ou encore pour sa théologie du péché, car, sans sa théorie du péché, il ne peut y avoir grâce, et il ne peut y avoir d’éthique, et, dès lors, tout serait permis…

Se pose donc la question de l'homicide à la guerre, car la guerre induit de devoir ou de risquer de devoir de verser le sang. Selon saint Augustin, il n'est pas criminel de tuer à la guerre, à la condition que la guerre soit juste et raisonnable : Dieu lui-même a fait quelques exceptions à la défense de tuer l'homme, tantôt par un commandement général, tantôt par un ordre temporaire et personnel. En pareil cas, celui qui tue ne fait que prêter son ministère à un ordre supérieur ; il est comme un glaive entre les mains de celui qui frappe, et par conséquent il ne faut pas croire que ceux-là aient violé le précepte : "Tu ne tueras point !", qui ont entrepris des guerres par l'inspiration de Dieu, ou qui, revêtus du caractère de la puissance publique, et obéissant aux lois de l'État, c'est-à-dire à des lois très justes et très raisonnables, ont puni de mort les malfaiteurs. (…) Ainsi donc, sauf les deux cas exceptionnels d'une loi générale et juste ou d'un ordre particulier de celui qui est la source de toute justice, quiconque tue un homme, soi-même ou son prochain, est coupable d'homicide (De Civ. Dei, I, 21).

Saint Augustin, se fondant sur [Gn 22], [Jg 11] et [Jg 16, 30], pose donc des cas d'homicides qui ne peuvent pas être considérés comme des crimes de meurtre, cas devant être strictement encadrés par une loi juste et générale, et soumis à un ordre particulier de l'autorité. Il s'oppose ici totalement à Lactance pour qui tuer, même à la guerre, est toujours un crime et qui écrivait qu’il n'est pas permis au juste de porter les armes ; sa milice à lui, c'est la justice ; il ne lui est même pas permis de porter contre quelqu'un une accusation capitale : il importe peu, en effet, que l'on tue par le fer ou par la parole, car ce qui est défendu, c'est de tuer. Il n'y a pas la moindre exception à faire au précepte divin : tuer un homme est toujours un acte criminel (Lactance, Institutions divines, VI, 20). Néanmoins, même chez saint Augustin, c’est Dieu seul qui reste seul juge de l’acte d’homicide !

De plus, la rémission du crime d'homicide n'est pas absolue à la guerre. Elle ne concerne que le soldat, que celui qui obéit sous une autorité, et quiconque tue sans en détenir le droit par délégation de l'autorité est homicide. Certes, saint Augustin n'évoque pas ici le cas du soldat, mais celui du bourreau, mais la logique exposée est aisément transposable au soldat. Que dit-ce passage ? Considérez les divers degrés de la hiérarchie. Quand un homme est condamné au dernier supplice, quand le glaive est déjà suspendu sur sa tête, nul autre n'a le droit de le tuer que celui qui a reçu cette mission spéciale. Le bourreau (…) est seul chargé de frapper le condamné. Voici un homme réservé par le tribunal au dernier supplice ; que le greffier vienne à le frapper, le greffier à son tour est condamné comme homicide. (…) Il y a homicide à frapper sans ordre un homme condamné à mort (Sermon CCCII, 13).

En fait, le soldat n'est pas à juger car il agit sous les ordres d'une autorité qui aura elle des comptes à rendre à Dieu si elle n'a pas agit dans un souci absolu de justice et de défense contre le mal. Et saint Augustin d'y revenir pour écarter le soldat du crime d'homicide à la guerre : “Tu ne tueras point”, car, quand un homme est mis à mort pour une juste cause, c'est la Loi qui le frappe, et non pas vous (Questions sur l'Heptateuque, livre III, Questions sur le Lévitique, LXX ).

Tout ceci sera à relier avec les conditions d'intention droite, de juste cause et de nécessité d'une autorité légitime que saint Augustin exposera, avec d'autres, comme impératifs pour qu'une guerre soit juste.

Il reprendra ces idées, et notamment le rapport à la loi dans son Traité du libre arbitre : - Evode. Elles ne sont donc pas juste, les lois qui donnent la faculté (…) de tuer (…) ? Les lois veulent encore que les soldats tuent les ennemis, et s'ils s'abstiennent de le faire, ils sont punis par leur chef. Oserons-nous dire que ces lois sont injustes, ou plutôt qu'elles ne sont pas des lois ? Car à mon avis, une loi injuste n'est pas une loi. - Augustin. Je trouve cette législation assez bien défendue en elle-même contre une semblable accusation. En effet, elle permet aux peuples qu'elle régit des attentats moindres, pour en éviter de plus grands. Il serait par trop rigoureux de préférer la vie de l'agresseur à celle de l'innocent qui ne fait que se défendre ; (…). Quant au soldat, en tuant l'ennemi, il est le ministre de la loi, et il lui est facile de faire son office sans passion. Pour ce qui est de la loi même de la guerre, portée pour la défense du peuple, on ne peut non plus l'accuser de passion. (…) Le soldat peut donc, sans agir par passion, se conformer à la loi qui lui ordonne de repousser la force par la force pour défendre ses concitoyens (Traité du libre arbitre, V, 11-12). Comme on le lit, cet extrait dépasse la question du droit de tuer et pose également les conditions de l'usage de la force par le soldat.

Cette exemption relative du crime d'homicide n'est cependant limitée qu'au seul combat, le soldat ne devant pas tuer son ennemi vaincu, tout comme, lui-même vaincu, il n'a pas le droit de se suicider ; et saint Augustin de prendre les exemples de Caton et de Regulus : Ainsi donc, ces courageux et illustres personnages, mais qui n'ont après tout servi que leur patrie terrestre, ces religieux observateurs de la foi jurée, mais qui n'attestaient que de faux dieux, ces hommes qui pouvaient au nom de la coutume et du droit de la guerre, frapper leurs ennemis vaincus, n'ont pas voulu, même vaincus par leurs ennemis, se frapper de leur propre main ; sans craindre la mort, ils ont préféré la domination du vainqueur que de s'y soustraire par le suicide ; Quelle leçon pour les chrétiens, adorateurs du vrai Dieu et amants de la céleste patrie ! avec quelle énergie ne doivent-ils pas repousser l'idée du suicide, quand la Providence divine, pour les éprouver ou les châtier, les soumet pour un temps au joug ennemi ! (…) ; et qu'ils se souviennent enfin qu'il n'y a plus pour eux de discipline militaire, ni de droit de la guerre qui les autorise ou leur commande la mort du vaincu. Si donc un vrai chrétien ne doit pas frapper même un ennemi qui a attenté ou qui est sur le point d'attenter contre lui…. (De Civ. Dei, I, 14). On remarquera que saint Augustin se distingue ici nettement de Clément de Rome qui, dans son Épître aux Corinthiens, sans néanmoins justifier le suicide, cite comme exemple de dévouement le suicide de certains chefs païens : Voici comment agissent et agiront ceux dont la conduite est de Dieu, et ne connaît pas le remords. Mais pour prendre aussi des exemples chez les païens, bien des rois et des chefs, alors que la peste sévissait, se sont donnés la mort sur le conseil d’un oracle, afin de sauver leurs concitoyens (Clément de Rome, Ad Corint., LIV,4-LV,1).

Saint Augustin allait encore s’exprimer sur ce thème, revenant en particulier sur le rôle de l’autorité, tout en l’élargissant au cas de l’émeute, et ce dans un sermon prononcé à l'occasion du meurtre d'un soldat mis à mort justement au cours une émeute : Éloignez-vous donc, oui éloignez-vous complètement de ces actions sanglantes. (…) - C'est un méchant qui est mort. Il n'en est que plus à plaindre, à plaindre comme mort et comme méchant. Il faut le plaindre doublement, car il est deux fois mort, éternellement et temporairement. (…) Votre devoir est donc de plaindre, mes frères, de plaindre et non de maltraiter (Sermon CCCII, 18).  Il ressort bien de cet extrait que c'est à l'autorité civile de punir les malfaiteurs, pas à la foule, saint Augustin se référant à l'épisode de la femme adultère. La question qui se pose est de savoir si le soldat peut tuer, car on est méchant quand on met à mort le méchant… Et là, saint Augustin dit formellement et avec toute la liberté que Dieu (lui) donne (…), qu’il n'y a que des méchants pour maltraiter les méchants. Le pouvoir a des obligations différentes, et souvent le juge est contraint à tirer l'épée et à frapper malgré lui (Sermon CCCII, 16). En fait, le soldat n'est pas à juger véritablement  sur un plan humain, car il agit sous les ordres d'une autorité qui aura elle des comptes à rendre à Dieu, alors que tuer lors d'une émeute est un homicide de son propre chef, punissable en tant que tel.

On notera que l'un des successeurs majeurs de saint Augustin sur la question de la guerre juste, Francesco de Vitoria considérait l'homicide comme contraire au droit naturel, ce qui lui fit à nouveau poser la question de la licité de donner la mort au combat. Sa réponse positive sera très proche de celle de saint Augustin.

Mais, saint Augustin ne se prononce finalement que sur le jugement humain de l’homicide à la guerre, et, de ce fait, il renvoie à Dieu, et lui seul, pour faire la distinction quant au salut. Le soldat n’est pas à juger par l’homme lorsqu’il obéit, mais il reste soumis au jugement de Dieu, donc à la Providence de la Grâce. On remarquera que saint Augustin n’utilise pas dans son raisonnement sur la question de l’homicide à la guerre le Remets ton glaive à sa place de la veille de la Passion.

La fréquente nécessité d’une intervention de la Grâce divine pour se sauver - Prenons un passage de La Cité de Dieu souvent présenté comme une exemption de responsabilité pour le soldat (cf. G. Minois, L’Église et la guerre, Fayard, 1994, pp. 70-71) : Quand un soldat tue un homme pour obéir à l’autorité légitime, il n’est coupable d’homicide devant aucune loi civile ; au contraire, s’il n’obéit pas, il est coupable de désertion et de révolte. Supposez, au contraire, qu’il eût agi e son autorité privée, il eût été responsable du sang versé ; de sorte que, pour une même action, ce soldat est justement puni, soit quand il la fait sans ordre, soit quand ayant ordre de la faire, il ne la fait pas. Or, si l’ordre d’un général a une si grande autorité, que dire d’un commandement du Créateur ? (De Civ. Dei, I, 26).

L’interprétation d’exemption totale de responsabilité serait totalement vraie si saint Augustin n’avait pas écrit la dernière phrase de cette citation. Saint Augustin ne se prononce pas ici sur le droit de tuer ou sur la responsabilité du soldat, même s’il semble admettre une certaine irresponsabilité de ce dernier ; ce n’est pas là sa priorité. Comme tant de ses prédécesseurs, il reprend une image tirée de la vie militaire pour parler de l’attitude que doit avoir le chrétien. Son but est ici de démontrer combien il serait vain au chrétien de désobéir à Dieu, et il ne prend l’image du général que pour qu’elle serve à sa comparaison ! Il faut bien se replacer dans sa vision des deux Cités et dans le positionnement des chrétiens en faveur du Royaume de Dieu, et, dès lors que l’on admet l’obéissance au chef ou à la loi dans la Cité terrestre, il devient évident que le chrétien se doit d’avoir une obéissance encore plus exemplaire dans le cadre de sa Cité céleste. C’est ça l’important de ce passage, pas tant l’éventuelle irresponsabilité du soldat, et, à ne voir que cela, on se trompe de perspective. En parlant même de commandement du Créateur, saint Augustin renforce l’obligation faite au chrétien d’obéir et de se soumettre aux commandements de Dieu, donc y compris au “ Tu ne tueras point. ” Plus encore, par la différence de niveau d’obéissance et par la distinction entre les deux Cités, saint Augustin met bien en évidence que le soldat qui tue doit encore plus avoir besoin de la grâce divine pour se sauver, car le respect de la loi civile ne dispense en aucun cas de l’application de la loi divine ! Le soldat peut être irresponsable civilement ou pénalement, mais il reste responsable devant Dieu de tous ses actes, et en particulier de toute violation des commandements. Donc, même s’il peut tuer dans certains cas, cette seule action l’abandonne à la seule grâce divine pour son salut éternel.

Tout ce qui précède nous oblige donc à écrire quelques mots sur la théologie augustinienne de la grâce, d’autant plus qu’une partie de la théologie augustinienne de la grâce est réfutée par l’Église – du moins lorsque cette théologie n’est pas approfondie ou mal comprise, notamment du fait d’une non prise en compte de la totalité de l’œuvre augustinienne -, en particulier lorsqu’il va jusqu’à dire que la grâce de Dieu est irrésistible et que le salut de l’homme individu ne dépend que de Dieu qui n’accorderait ou refuserait sa grâce que de façon arbitraire, niant ainsi les œuvres.

Il y a en effet là risque de mauvaise interprétation de l’idée de prédestination, et saint Augustin lui-même rectifiera – ou plutôt précisera - sa doctrine première en la posant non plus comme une prédétermination mais comme un présavoir et une préparation de et à la grâce. Il ne s’agit donc pas d’une décision préalable de Dieu décidant du destin de l’homme et éliminant la liberté humaine, bien au contraire, mais d’une prédestination générale de l’homme, par delà le péché originel, au bien. Et, dès lors, les œuvres ne sont pas éliminées, car conduisant à la grâce, la gratuité de cette grâce ne se rapportant qu’à l’homme consciemment pécheur…

En fait, la grâce est reçue dès le baptême, avec cette prédestination au bien par effacement spirituel du péché originel, mais l’efficacité de cette première grâce dépend de la décision de l’homme et de la conduite de sa vie. Ceci ne signifie pas que Dieu ne soit pas libre de prodiguer sa grâce, que l’homme puisse gagner par lui seul cette grâce, mais saint Augustin rappelle dans son Contre Julien que si Dieu peut sauver sans mérite, il ne damne pas non plus sans faute (Contre Julien III, 35. Saint Augustin développe également cette idée dans ses Lettres CLXXXVI (10) et CCXVII (8)) ! Le libre arbitre de l’homme est donc réel, car c’est de la libre volonté de l’homme que dépend l’efficacité de la grâce baptismale, grâce offerte au préalable par Dieu à l’homme par sa prédestination au bien…

Apparemment, dans ses Rétractations, saint Augustin reviendra à nouveau en arrière en énonçant que l’accomplissement des commandements divins ne suffit pas à lui seul et ne justifie pas sans une inspiration de la grâce divine, la grâce seule libérant la nature et procurant le salut, et il faut donc agir en défendant la grâce, non comme contraire à la nature, mais comme délivrant et gouvernant cette nature (Retr. II, 42 ; cf. De la Nature et de la Grâce, V).

Il n’y a pas là contradiction, bien au contraire, car la simple application irréfléchie de la Loi ne suffit pas, comme l’a dénoncé Jésus lui-même en tançant les pharisiens ; l’accomplissement des commandements, sans de vraies œuvres venues du cœur et de l’Amour de Dieu, ne sert à rien, si ce n’est à tromper. Or, comme l’a dit Jésus, en particulier au Centurion de Capharnaüm, la foi sauve, mais la foi en actes, avec une démarche vers Dieu, non pas une foi d’apparence, de règlements, mais une foi tendant vers l’Amour de Dieu et du prochain, en aucun cas la foi de façade du pharisien... C’est le célèbre “ Aime, et fais ce que tu voudras ” de saint Augustin (Commentaire sur la première Épître de Jean, VII, 8), car aimer, cela implique beaucoup, implique et induit tout ! 

Par cette approche de la grâce, on s’éloigne tant de l’hérésie pélagienne tant combattue par saint Augustin que de l’erreur calviniste…. On est, dans la lettre et dans l’esprit du canon 1 du Décret sur la justification du Concile de Trente, donc au cœur de la doctrine catholique de la justification, l’homme coopérant à l’œuvre de la grâce (cf. Rm 5, 5 ; Jc 2, 22 ; etc…). C’est en effet par ses œuvres que l’homme est justifié et non par sa seule foi (cf. Jc 2, 24), et ce même si la grâce salvifique de Jésus-Christ est gratuite (cf. Rm 3, 24 ; Tt 3, 5), dans la liberté que Jésus-Christ a donné à l’homme pour qu’il reste libre (cf. Ga 1, 5), gratuite car dépassant les seuls mérites (cf. Rm 9, 22-23 ; 1 Tm 14-16) et le strict respect de la Loi! D’ailleurs, le Christ lui-même ne guérit, ne sauve que lorsqu’un homme spontanément, par acte de foi, fait acte positif, donc œuvre, de demande (par exemple en Mc 10, 47), Jésus répondant que la foi sauve alors (par exemple en Mc 10, 52). Et plus grande est la foi, plus grandes et belles sont les œuvres, l’homme coopérant ainsi positivement et volontairement, avec la confiance qu’apporte la foi, à son salut (cf. Mt 15, 28). Mais les œuvres dépassent dès lors la simple Loi (cf. Rm 3, 27-28), d’où la critique que Jésus fait aux pharisiens et aux scribes qu’Il qualifie d’hypocrites (Mt 23, 13), car on se trouve dès lors non plus dans la lettre de la Loi mais dans son esprit, ce qui pousse l’homme à agir pour et par sa foi et non pas par simple obligation, car la seule Loi sans les œuvres peut faire connaître le péché (Rm 7, 6). En fait, la foi et les œuvres ne font qu’un, les œuvres étant leur traduction matérielle… Les aspects liberté de l’homme, coopération de l’homme à la grâce, renouvellement intérieur de l’homme et caractère méritoire des œuvres ont été réaffirmés par le Concile de Trente. Ils sont d’ailleurs rappelés dans la Déclaration commune Église catholique/Fédération luthérienne mondiale sur la doctrine de la justification de 1999, notamment aux pages 36 et 37 de l’édition Cerf/Bayard/ Fleurus-Mame/Labor et Fides.

Toute la difficulté du soldat, toute la problématique de la guerre est ici posée, car, même s’il l’admet comme fait humain, saint Augustin ne conçoit la guerre que comme un péché, comme une misère, et de ce fait tant celui qui ordonne la guerre que le soldat qui la fait ont besoin de cette grâce divine post mortem pour se sauver, car, en tuant, en pratiquant le contraire de la paix, il a perdu une partie de la grâce, tout comme en sombrant dans certaines déviances auxquelles s’expose le métier des armes, le soldat retombe dans le péché originel, par concupiscence notamment…

Essai de synthèse sur le soldat et ouverture à la guerre juste - Traduit en termes contemporains, tout ce qui précède sur la figure du soldat, et en préjugeant des conditions de la guerre juste, signifie tout d’abord que le militaire ne doit et ne peut agir a minima que sans haine, que sans intention de détruire à tout prix et que dans la mesure où son action est l’ultime recours pour défendre le faible ou la victime ou pour assurer, défendre ou rétablir la paix. De plus, son engagement initial ne doit pas avoir été conduit par l’orgueil, par l’intention d’obtenir un “droit de tuer” ou quelque autre motivation impure. Il est dégagé d’un degré de sa responsabilité morale dès lors que son action est légal, légitime, proportionnée et guidée par la volonté de protéger et non par une quelconque autre motivation. Le soldat a donc légitimement le droit de désobéir à un ordre foncièrement illégal ou illégitime. D’ailleurs, le Règlement de discipline générale des Armées dit-il autre chose notamment en ses articles 6-1 et 8-3 ? En effet, le subordonné ne doit pas exécuter un ordre prescrivant d’accomplir un acte manifestement illégal ou contraire aux règles du droit international applicable dans les conflits armés, et aux conventions internationales régulièrement ratifiées et approuvées (art. 8-3, TTA 101).

Dans tous les cas, saint Thomas d’Aquin n’a jamais écrit autrement : Celui qui doit exécuter un ordre doit considérer, avant d’obéir, dans quelle mesure il est de son devoir de l’exécuter. (…) En conséquence, le chrétien est tenu d’obéir exclusivement dans la mesure où le pouvoir est issu de Dieu, et pas autrement. (…) Quant à l’abus de pouvoir, il peut également être double. D’une part, si  ce qui est ordonné par le chef est contraire à la fin pour laquelle le pouvoir a été établi : par exemple, s’il ordonne de faire un péché, contraire à la vertu, alors que le pouvoir est établi pour inciter à la vertu et pour la maintenir. Dans ce cas, non seulement on n’est pas tenu d’obéir à un tel chef, mais encore on ne doit pas lui obéir, à l’exemple des saints martyrs qui ont souffert la mort plutôt que d’obéir aux ordres impies des tyrans. D’autre part, si l’on est contraint au-delà de la compétence du pouvoir établi : par exemple, si un maître exige un impôt que son dépendant n’est pas tenu de donner, ou autres excès semblables. En ce cas, le sujet est libre d’obéir ou de ne pas obéir (Thomas d’Aquin, Commentaire du livre II des Sentences de Pierre Lombard, dist. XLIV, quaestio II, art. 2).

Une énorme avancée pour l’humain, mais un gros risque pour la civilisation, même si le chrétien ne doit juger qu’à la seule aune de son salut, par crainte de Dieu, crainte qui n’est pas peur mais au contraire immense respect dans l’exercice du plein libre-arbitre. Mais, se pose alors une question, le soldat n’est-il pas dès lors plus responsable de son salut que par le passé avec de telles règles ?

Pour en revenir à ce qui a été dit avant d’évoquer le “droit de désobéissance”, le soldat peut donc même tuer celui qui fait le mal – par ordre ou en conscience - dans ce cadre, même si la part de sa responsabilité morale restant engagée fait qu’il s’en remet entièrement à la grâce divine pour préserver son salut, Dieu seul pouvant laver son péché. Il joue donc d’une certaine manière à pile ou face son salut, et seul un total abandon spirituel à Dieu unit à la pureté de son cœur dans l’action peuvent lui donner l’espérance et non la certitude de son salut. Nous sommes donc ici dans un recours absolu à la seule grâce divine, dans ses dimensions les plus larges, sachant de plus que les œuvres ne seront pas ici mesurées à l’aune du positif, mais à l’aune du mal fait ou d’intention. Dit autrement, si le soldat tue avec une intention mauvaise, ou encore par exemple en sachant que son action est illégitime, il peut avoir la certitude de sa damnation, alors qu’à l’inverse il ne peut avoir qu’une espérance de la grâce divine. Il est donc confronté à un choix difficile, choix qu’il doit bien appréhender avant de s’engager…

Encore plus grande est la responsabilité de celui qui décide de l’usage de la force, car sa décision a à la fois des conséquences sur le salut de ceux qui sont sous ses ordres, mais, de plus, cette décision peut se trouver condamnable alors même que l’action des soldats ne le serait pas. Le chef, même s’il ne tue pas, est donc encore plus exposé à la damnation que celui qui obéit… Une reprise sous une autre forme de la parabole de l’homme riche… Si les deux s’en remettent à la grâce divine, le chef aura plus à se justifier avec les six conditions de la guerre juste, qui doivent toutes être réunies a minima, que le simple soldat qui, sous la réserve de la légitimité et de la conscience de cette légitimité de son action, aura moins de justification à présenter…

C’est toute la question de la conscience du péché qui se pose ; c’est toute la question de la grâce divine… D’une certaine manière, et sous forme de boutade, et même si nul ne peut présumer de la grâce divine, on pourrait dire que les missions Petersberg ne mettent pas véritablement en cause le salut du soldat – du moins lorsque son action est réalisée dans un esprit d’assistance et de paix -, alors que les missions du type “Irak 2003” sont bien plus problématiques en la matière… Mais tous les militaires ne sont pas confrontés aux mêmes cas de conscience. Le marin-pompier n’a pas à s’inquiéter, même s’il est un militaire, toute son action n’étant axée que vers le service de son prochain, sans devoir jamais tuer – bien au contraire – et risquant sa vie en conscience pour ses frères ; par contre, le commando se trouve confronté à des dilemmes de conscience fondamentaux quant à son salut, d’autant plus lorsqu’il constate que le prix d’une vie humaine en mission n’est pas le même selon que le théâtre de son action est en Europe, où tout doit être justifié, ou en Afrique, où bien moins est à expliquer ; or, une vie humaine est toujours une vie humaine unique et égale devant Dieu ! Et combien plus grave est le dilemme du chef, et celui du politique… Le poilu de 14/18 perdu dans la tourmente de la guerre s’est trouvé bien plus proche du salut que Nivelle ou Pétain, ou encore que Clemenceau… Ne pas avoir tout fait pour la paix, ne pas tout faire pour limiter au maximum les effets potentiellement dévastateurs de la guerre, ne pas agir selon une seule volonté de paix peut vite conduire à la quasi-certitude du non-salut… C’est ici que les doctrines catholiques du péché, de la pénitence, de la grâce et de la Rédemption doivent se déployer, en lien avec la volonté de rechercher avant tout la paix !

Saint Augustin est donc totalement actuel, même pour ce qui est des aspects de sa théologie a priori bien éloignés de la problématique du présent document, que ce soit pour sa théologie de la grâce ou encore sa théologie du péché ! Et c’est en cela que saint Augustin est vraiment l’auteur décisif dont il est heureux que l’on reprenne conscience lorsque le bruit des armes retentit, même si la théorie thomiste du tyrannicide viendra compléter son approche, ce que l’on peut dès lors qualifier de théologie de la guerre en tant que branche de la théologie de la paix !

Voir aussi : Augustin d'Hippone : la théorie des deux cités
Augustin d'Hippone : la guerre et la paix
Augustin d'Hippone : les conditions de la guerre juste

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29 mars 2010 1 29 /03 /mars /2010 11:16

Pour commencer, un simple rappel d’une parole prononcée en mars 2003 par le Cardinal Roger Etchegaray, phrase qu’il faudra garder en permanence à l’esprit, trop de personnes oubliant cette évidence : La paix est plus difficile à obtenir en temps de paix qu’en temps de guerre.

Une grande erreur, pourtant très souvent enseignée, domine la perception contemporaine de saint Augustin : il serait un théologien de la guerre ! Or, rien n’est plus faux : il est un théologien de la paix qui, sans rompre avec le passé ni avec la Bible, allait, dans une vision éthique de la paix à ses yeux seule légitime, chercher à poser les limites éthiques de la guerre. Saint Augustin n'a en fait q'un seul impératif éthique, celui de la paix, mais une erreur fondamentale d'interprétation de sa pensée - qui intégrait totalement le Sermon sur la montagne - fera que la doctrine de la juste guerre allait pendant des siècles l'emporter désormais sur l'idée de théologie de la paix. Pourtant, saint Augustin et les Béatitudes ne faisaient qu'un ! Pourtant, saint Augustin estimait que les États eux-mêmes devaient se plier aux exigences de non-violence posées par Jésus-Christ ! Plus qu'une doctrine de la juste guerre, Augustin s'était en fait efforcé de faire une synthèse entre la théologie de la paix et la problématique de la guerre.

Cet impératif de paix transparaît tout particulièrement dans son Sermon CCCLVII prononcé vers le 15 mai 411, sermon qui est une absolue exhortation à la paix. Même s’il ne concerne pas la paix civile au sens strict, s’inscrivant dans la cadre de la préparation à la conférence de Carthage et donc de la lutte anti-donatiste, ce sermon expose bien la vision augustinienne de la paix. La paix ne peut que s’accroître lorsque les hommes le veulent bien ; elle est inépuisable et, plus elle est partagée, plus elle s’accroît. Et pour la posséder il suffit d’aimer, alors que l’on peut la donner en acceptant certaines concessions…

Et là, il faut se souvenir que La Cité de Dieu a été voulue par saint Augustin comme un commentaire chrétien de l’évolution de l’attitude de la Providence divine dans le gouvernement de l’univers. Conçu dans le cadre de la prise de Rome par Alaric en 410, il va donc traiter directement des questions de l’autorité et de la guerre, et c’est pourquoi cet ouvrage est central dans l’anthropologie augustinienne. Mais plus que la guerre juste, il vise à définir ce qu’est la juste paix, et c’est dans ce seul cadre que sera développée l’idée de guerre juste, la paix restant le thème central. Transparaît déjà ici l’idée que la guerre ne peut être juste que si elle est le moyen ultime de défendre la paix !

Ainsi, pour saint Augustin, qui est ici proche d’Aristote, mais dont toute l'inspiration restera biblique et plus particulièrement néotestamentaire malgré quelques emprunts notables à Cicéron, la guerre est un élément de la nature de l’homme et l’homme porte partout la guerre en lui-même ! Il reprendra  toujours au fil de son œuvre  de multiples exemples de guerres : les guerres puniques, la guerre civile de Marius et de Sylla, celle contre Mythridate...

La guerre s'oppose à la paix ! La guerre étant contraire à la paix, comme la misère l'est à la béatitude et la mort à la vie, on peut demander si à la paix dont on jouira dans le souverain bien répond une guerre dans le souverain mal (De Civ. Dei, XIX, 28).

 

Pourtant, pour saint Augustin, le christianisme ne condamne pas toute guerre ; en effet, si la doctrine chrétienne condamnait toutes les guerres, on aurait répondu aux soldats dont il est parlé dans l'Évangile qu'ils n'avaient qu'à jeter leurs armes et à se soustraire au service militaire. Mais au contraire il leur a été dit : "Ne faites ni violence ni tromperie à l'égard de personne ; contentez-vous de votre paie (Lc III, 14)." En prescrivant aux soldats de se contenter de leur paie, l'Évangile ne leur interdit pas la guerre (Lettre CXXXVIII à Marcellin, 15).

Saint Augustin reprit ce passage dans son sermon CCCII, en en concluant que si tous les soldats faisaient comme le leur avait prescrit saint Jean Baptiste, tout irait mieux : Réellement, mes frères, si les soldats agissaient ainsi, l'État serait heureux (Sermon CCCII, 15). S'appuyant encore dans le même sermon sur [Lc 3, 11-14], il précise : Nous voulons que  les soldats soient dociles  aux leçons du Christ ; soyons y dociles nous-mêmes. (…) Tous écoutons-le et vivons cordialement en paix.  Avant de juger l'autre, le chrétien doit donc déjà regarder sa propre conduite et la j(a)uger à l'aune de l'Évangile…

Mais, même si le christianisme ne condamne pas toute guerre, Saint Augustin n’en fait jamais l’apologie, la déplorant : Il est mieux d’abolir la guerre par un mot, que de tuer des hommes, et d’obtenir la paix par la bonne volonté que par la guerre. Et, dans tous les cas, on doit vouloir la paix et ne faire la guerre que par nécessité (Lettre CLXXXIX à Boniface, 6).

Pour saint Augustin, si le Christianisme ne condamne pas toute guerre, il faut avant tout considérer pourquoi et à qui on fait la guerre, le principal restant que  l’on fait la guerre pour obtenir la paix (Lettre CLXXXIX à Boniface) ! Pour lui, la guerre est  une plaie, une vraie misère. Pour lui, celui qui n’est pas touché du malheur de la guerre est d’autant plus malheureux qu’il a perdu tout sens humain. On n’est pas très loin de la conception de Pindare, tout comme l’influence d’Aristote est partiellement visible. En fait, comme le dit saint Augustin dans La Cité de Dieu, les guerres sont les grands jeux des démons, les hommes leurs fournissant alors de beaux spectacles et de riches festins (De Civ. Dei, 3, 18).

Une autre erreur : saint Augustin aurait écrit une étude synthétique sur la guerre juste ! Toujours faux. Même si il y a une grande cohérence dans l’étude augustinienne de la guerre, même si la logique et la consistance de sa pensée en la matière sont des évidences, force est de constater que ses réflexions sur la guerre sont éparpillées dans l’ensemble de son œuvre, et pas dans la seule Cité de Dieu. On ne peut ainsi ignorer son Contra Faustum Manicheum (398), ses lettres à Marcellinus (412), à Bonifacius (418) et à Darius (429), ou encore son Sermon CCCII.

Saint Augustin aura été un tournant décisif dans l’approche chrétienne de la guerre, faisant de la théologie de la paix et de la problématique de la guerre une synthèse des plus cohérentes qui devait marquer la pensée occidentale jusqu’à nos jours. Augustin a défini des directives pratiques par rapport à la guerre, mais seulement dans une vision de paix à préserver. Le problème, comme l’a écrit Monseigneur René Coste, est que l’on s’est trop souvent contenté de (les) reprendre en les détachant du contexte de la riche et stimulante théologie de la paix qui leur conférait leur véritable signification (R. Coste, Initiation à la théologie de la paix, Pax Christi-France, Paris, 1997, page 17).

Et c'est pourquoi saint Augustin a toujours évoqué et cherché à définir la paix. Pour lui, elle est un don de Dieu résidant dans le juste tempérament, dans l'union réglée et parfaite entre le prochain. Elle peut être universelle, la paix universelle étant fondée sur des lois de la nature, et ne pouvant donc à ce titre être détruite, même par les plus violentes des passions : Ainsi la paix du corps réside dans le juste tempérament de ses parties, et celle de l'âme sensible dans le calme régulier de ses appétits satisfaits. La paix de l'âme raisonnable, c'est en elle le parfait accord de la connaissance et de l'action ; et celle du corps et de l'âme, c'est la vie bien ordonnée  et la santé de l'animal.  La paix entre l'homme mortel et Dieu  est  une obéissance réglée par la foi et soumise à la loi éternelle ; celle des hommes entre eux, une concorde raisonnable. La paix d'une maison, c'est une juste correspondance entre ceux qui y commandent et ceux qui y obéissent. La paix d'une cité, c'est la même correspondance entre ses membres. La paix de la Cité céleste consiste dans une union très réglée et très parfaite pour jouir de Dieu, et du prochain en Dieu. L'ordre est ce qui assigne aux choses différentes la place qui leur convient. (…). Or, quand ils (les malheureux) souffrent, la paix est troublée à cet égard ; mais elle subsiste dans leur nature, que la douleur ne peut consumer ni détruire, et à cet autre égard, ils sont en paix. (…). Aussi bien celui qui s'afflige d'avoir perdu la paix de sa nature ne s'afflige que par certains restes de paix qui font qu'il aime sa nature. (…) Dieu donc, qui a créé toutes les natures avec une sagesse admirable, qui les ordonne avec une souveraine justice et qui a placé l'homme sur la terre pour en être le plus bel ornement, nous a donné certains biens convenables à cette vie, c'est-à-dire la paix temporelle, dans la mesure où l'on peut l'avoir ici bas, tant avec soi-même qu'avec les autres (…) (De Civ. Dei, XIX, 13).

Saint Augustin renforce notre certitude que son choix absolu est la paix lorsqu'il nous rappelle que la paix peut exister sans guerre, alors que la guerre entraînera forcément une paix :  De même qu'il y a quelque vie sans douleur, et qu'il ne peut y avoir de douleur sans quelque vie ; ainsi il y a quelque paix sans guerre, mais il ne peut y avoir de guerre sans quelque paix, puisque la guerre suppose toujours quelque nature qui l'entretienne, et qu'une nature ne saurait subsister sans quelque sorte de paix. Ainsi, il existe une Nature souveraine où il ne se trouve point de mal et où il ne peut même s'en trouver ; mais il ne saurait exister de nature où ne se trouve aucun bien (De Civ. Dei, XIX, 13). On notera que dans ce passage, saint Augustin nous montre qu'il a bien plus confiance en l'homme et en sa nature, qu'il est bien plus optimiste en lui qu'on le croit généralement, puisque le bien est inhérent à toute nature ! L'homme est prédestiné au bien, et c'est l'homme lui-même qui, de par son libre-arbitre, choisira entre le bien et le mal…

Saint Augustin ayant beaucoup analysé les guerres de l'Ancien Testament, pour le moins autant que les guerres civiles des romains, il faudra en garder l’analyse à l’esprit pour comprendre ce qui suit. Il faut donc en évoquer les motifs.

Saint Augustin et la guerre - Si l’on ne tient pas compte du contexte, de toute son œuvre et de ses Rétractations, il est facile de se tromper sur saint Augustin et de croire qu’il cherche à donner des réponses abominables et des interprétations unilatérales, notamment sur le sujet de la guerre. La lecture de ses ouvrages polémiques, qui sont ceux qui peuvent le plus prêter à controverse, doit ainsi toujours être complétée par celle de ses ouvrages pastoraux, et plus encore de ses sermons et lettres. Il ne faut en effet pas oublier que toutes ses œuvres ont été conçues uniquement à la fin de répondre à des questions concrètes, aux besoins pastoraux et pratiques de son diocèse et de son temps. Dès lors, il est facile de lire littéralement et hors contexte, et donc de trouver de l’abominable chez saint Augustin. La pastorale quotidienne est l’objet de saint Augustin, et chacun de ses textes n’est qu’une réaction ponctuelle, ce qui impose de lire toute son œuvre avant de tirer des conclusions. Par ailleurs, saint Augustin n’est qu’un homme ; il est donc faillible et peut parfois laisser parler ses passions plus que sa tête… De plus, même si comme Père de l’Église il est jugé de Doctrina orthodoxa, ce qui signifie un accord doctrinal dans l’ensemble de sa théologie, cela ne signifie pas infaillibilité absolue dans tous les détails. D’où la nécessité de voir et de lire l’œuvre dans son intégralité et non pas en isolant quelques phrases. Et, l’on peut concéder, que cela est souvent fait, que ce soit dans un sens critique ou dans un sens apologétique… Il y en a pour environ plus de douze milles pages de saint Augustin, soit dans les onze millions de mots ; il est de ce fait très facile de trouver des propos choquants à qui veut bien le faire. Qui n’a jamais eu une parole malheureuse dans sa vie ? Pas saint Augustin qui l’admet lui-même, qui admet pouvoir se tromper ou ne pas avoir de réponse, surtout lorsque l’on a voulu ne retenir que ces paroles en les détachant de leur contexte et de la finalité pastorale et théologique de l’auteur. Le drame est, c’est vrai, que certains auteurs chrétiens sont allés à la pêche pour trouver ce qu’ils voulaient trouver – et pas autre chose -, et par là même ont détourné l’idéal et la réalité de saint Augustin pour aboutir à des absurdités ou à des horreurs, y compris la justification d’exactions, de guerres offensives ou encore de persécutions, alors même que saint Augustin les rejetait !

Le contexte historique augustinien est celui de l’effondrement de l’Empire romain, celui des invasions barbares, et plus particulièrement de la pression des Vandales. L’Empire a été partagé en 395... Les Vandales et les Alains font des incursions en Gaule dès 406, les premiers passant en Espagne en 409, puis en Afrique en 429, à la suite de Genséric... Rome est prise par Alaric en 410, les provinces romaines étant occupées par les Barbares en 425... Il n’existait plus de véritables institutions politiques ou administratives... Le traumatisme intellectuel était énorme avec l’effondrement de tout un système politique et philosophique...

Seuls restaient comme “phares” les chefs des Églises, et ces derniers devaient donc trouver une réponse aux agressions, réponse pouvant en apparence sembler contraires à la tradition, d’ailleurs plus “neutraliste” que “pacifiste” des premiers chrétiens. J’insiste sur le mot “neutraliste”, car les premiers chrétiens ne refusaient souvent pas la guerre en tant que telle – la connaissaient-ils même, du moins sous sa forme guerre extérieure, vue la Pax romana ? – ou encore le métier des armes en tant que tel, mais bien plus la vision qu’ils avaient du service des armes comme service d’un autre maître que le Christ ; choisissant comme unique réalité le Royaume de Dieu, ils ne se considéraient pas forcément concernés par les affaires de ce monde…

C’est dans ce cadre qu’Augustin - à la suite de quelques autres dont il est l’admirable synthèse, et notamment de son maître Ambroise de Milan - a cherché à développer les conditions éthiques permettant de faire une juste guerre, l’impératif éthique fondamental restant celui de la paix.

En fait, depuis le IVème siècle, l’Église était passée de la situation minoritaire qui est la sienne dans l’empire romain à une position majoritaire. L’incantation à la paix se trouvait confrontée à l’exercice de la violence et ne pouvait faire l’impasse d’une question pragmatique : comment mettre fin à la violence ? Cette question était d’autant plus dramatique lorsque la violence visait les plus faibles : si le chrétien doit s’efforcer de s’abstenir de poser des actes violents qui ouvriraient le cycle infernal de la violence, il se trouve confronté à un vrai dilemme lorsque son frère, son prochain, est victime de la violence d’autrui. Face à cette violence, le chrétien a donc à faire un choix entre s’abstenir au nom de l’impératif de paix ou recourir à la violence au nom du principe de charité, comme le préconisait saint Ambroise de Milan. C’est dans ce dilemme que la théorie augustinienne de la “guerre juste” trouva son fondement. On rappellera à nouveau ici que beaucoup parmi les premiers chrétiens se désolidarisèrent du métier des armes, à cause de la violence qu’il impliquait mais plus encoure en raison de l’idolâtrie qu’il impliquait, les soldats devant sacrifier à l’empereur ; lors des persécutions, ils ne semblèrent pas avoir été tentés par le recours à la violence pour se défendre. Non violence et paix allaient de pair…

Elle s’offrit comme une grille de lecture en vue d’un choix critique : la guerre sera concédée comme juste lorsque son option répondra à un certain nombre de critères qui, loin de légitimer la violence au détriment de la paix, en font la solution la plus juste au moment considéré. Mais la paix reste l’horizon de l’action, et saint Thomas le rappellera après saint Augustin en affirmant que ceux qui font de justes guerres ont la paix pour but.

La définition augustinienne de la guerre juste - Un préalable : pour bien comprendre le concept de guerre juste et la théorie qu’il désigne, il faut tenir pour certain que la paix est l’horizon de la vie nouvelle inaugurée par Jésus de Nazareth : Heureux ceux qui font oeuvre de paix: ils seront appelés fils de Dieu (Mt 5, 9) !  Les chrétiens sont, sans conteste, appelés à devenir des artisans de paix, car, par delà les Béatitudes, l’Apôtre Jacques rappelle que le fruit de la justice est semé dans la paix pour ceux qui font oeuvre de paix (Jc 3, 18). Ceci ne sera jamais remis en cause par saint Augustin, bien au contraire, sa théologie étant avant tout une théologie de la paix !

Saint Augustin donne  une définition de la guerre juste, des cas où la guerre peut être considérée comme légitime : On définit ordinairement les guerres justes, celles qui ont pour objet de venger des injures, soit que la ville ou la nation qu'on attaque, ait négligé de réparer les injustices commises par les siens, soit qu'elle n'ait pas rendu ce qui a été pris injustement. Il est évident qu'on doit aussi considérer comme une guerre juste, celle que Dieu commande : car il n'y a pas d'iniquité en lui, et il sait ce qu'il convient de faire à chacun (Rm 9, 14) (Questions sur l'Heptateuque, Livre VI, Questions sur Josué, X (Jos VIII, 2.) Quand la guerre est-elle juste ?).

Il n'existe donc chez saint Augustin que deux cas de guerre juste : la guerre visant à réparer une injure grave, a priori uniquement défensive et fondée sur la légitime défense, et la guerre commandée par Dieu, ce qui peut poser problème quant à sa définition, d'autant plus que tant le chef de guerre que le soldat se trouve dans ce cas soumis à une sorte de régime d'exception, voire d'exemption, cette guerre étant elle-même exceptionnelle, car dans une guerre de ce genre, le chef de l'armée et le peuple lui-même sont moins les auteurs de la guerre que les exécuteurs des desseins de Dieu (Questions sur l'Heptateuque, Livre VI, Questions sur Josué, X (Jos VIII, 2.) Quand la guerre est-elle juste ?).

Cette guerre commandée par Dieu est difficile à interpréter, car outre le fait de savoir comment Dieu demande d'engager cette guerre aux hommes, elle peut entraîner des dérives très graves. En effet, si ce sont les hommes qui mènent cette guerre pour Dieu, on est alors dans le cadre d'une guerre de religion, d'une guerre pour la foi. Or, même si une telle interprétation fut parfois retenue pour justifier certaines guerres ultérieures, il ne semble pas que ce fusse là l'approche de saint Augustin, car il n’a jamais évoqué ce type de guerre que dans des commentaires de l’Ancien Testament, jamais dans des “propos d’actualité”.

On peut de plus retenir au moins trois raisons.

⒜ Tout d’abord, saint Augustin reste dans toute son œuvre fidèle à son maître Ambroise de Milan selon lequel la foi ne se conquiert pas par les armes. Pour lui, la religion n'est pas une cause de juste guerre, et nulle guerre pour la foi, pour le nom du Christ ne peut être menée, comme il l’écrivit clairement en 408, reprenant l’épisode de [Mt 26, 52] : Considérez aussi les temps du Nouveau Testament, lorsqu’il a fallu non plus seulement garder au cœur la douceur de la charité, mais la mettre en lumière, lorsque le glaive de Pierre a été remis au fourreau par le commandement du Christ, afin de montrer qu’il ne fallait pas tirer l’épée pour le Christ lui-même (Lettre XCIII à Vincent, 8). Si la guerre est interdite pour défendre la personne du Christ elle-même, combien plus est elle impossible en son nom !

Comme il a été écrit plus haut, on constate à la lecture de l’Ancien Testament que les guerres injustes menées par les Hébreux ont toujours été des guerres perdues. Cette idée a été donc reprise par Ambroise de Milan et saint Augustin qui ont affirmé que les guerres pour l’imposition de la foi étaient injustes, alors que les guerres défensives l’étaient. Faut-il y voir les raisons de la réussite de la première Croisade jusqu’à la prise de Jérusalem, mais aussi l’échec de tous les épisodes suivants des Croisades, et ce par volonté de Dieu de ne pas cautionner une injustice ? Ne pourrait-on pas aussi y voir la cause des échecs des musulmans qui ont perdu la plupart des terres conquises par le sabre pour imposition de la foi ? Et là où de telles guerres ont réussi, ne constate t-on pas qu’il y avait reflux et doute dans la foi, tout comme les Hébreux perdirent lorsqu’ils doutèrent de Dieu ? Dieu interviendrait donc toujours directement dans le destin des hommes, et seule le doute dans sa foi pourrait faire qu’une guerre pour l’expansion de la foi menée par une autre religion réussisse. Indirectement, et du fait de l’universalité des exemples, n’y aurait-il pas aussi ici démonstration de la disparition de toute possibilité de guerre sainte depuis la venue de Jésus-Christ, Dieu n’ayant plus élu un peuple mais l’humanité dans son intégralité ? Que de questions difficiles ici posées !

⒝ Par ailleurs, saint Augustin a toujours proclamé que c'était au pouvoir civil et non au pouvoir religieux de sanctionner les hérétiques, et encore à une fin de rétablissement de la justice, non pas de persécution ou de mort ; il ne faut pas oublier le contexte de l'époque où l'Église ne disposait pas de bras séculier, et où l'interprétation du Tout pouvoir vient de Dieu de saint Paul était souvent très littérale. On rappellera d’ailleurs à ce dernier propos que saint Augustin n'a jamais demandé une persécution sanglante ou “de contrainte”, une guerre pour la foi, ou quelque chose d'équivalent, et ce malgré le contenu, souvent repris, de sa Lettre CLXXXV, datée de 417 : Il y a une persécution injuste, celle que font les impies à l'église du Christ ; et il y a une persécution juste, celle que font les églises du Christ aux impies. (...) l'église persécute par amour et les impies par cruauté. 

Si saint Augustin se fonde ici sur [Lc 14, 15-24], il faut aussi lire les mots qui suivent dans la même lettre CLXXXV ! Témoignent de plus de ce refus, sa Lettre XCIII à Vincent de 408 déjà citée,  sa Lettre LXXXVIII à Janvier de 406 où il expose ses protestations contre les exactions des donatistes contre les chrétiens, exactions que l’on qualifierait aujourd'hui de violations des droits élémentaires de l'homme et de la dignité de la personne. Pour les donatistes, une priorité absolue devait être donnée aux principes, aucune sensibilité aux aspects pastoraux et humains ne devant être admise ; cette hérésie fut condamnée par les Conciles d'Arles en 314 et de Carthage en 411.

On peut encore évoquer sa Lettre LXXXIX à Festus où il demande l'appui de la loi, mais rien de plus, face à des violations des droits les plus élémentaires de la personne, tel le refus fait aux chrétiens de pouvoir faire cuire leur pain. On peut aussi lire sa Lettre CXXXIV à Apringius de 412 où il s'élève contre l'application de la peine de mort contre les conventicules donatistes, ou encore sa Lettre CLXXXV à Boniface de 415 où il expose sa théorie de répression de l'hérésie, et en aucun cas une théorie de la persécution. De même, on peut relire sa Lettre CLXXXIX à ce même Boniface ou encore sa réponse contre les lettres de Pétillien, par exemple en [II, 33]… On peut aussi penser à sa théorie du baptême dans son Commentaire sur l’Évangile de saint Jean en [VI, 7] … Ce n'est en fait qu'au XIIIème siècle qu'Henri de Suse détourna sa théorie de la guerre juste, créant l'idée de guerre romaine contre les infidèles ou encore celle de guerre sainte pour défendre la foi, le XVIème siècle détournant lui aussi saint Augustin pour justifier les guerres de religion ; de même, pour ce qui est des croisades, ce ne fut pas saint Augustin qui fut invoqué par les Papes ou encore par Foucher de Chartres, mais le livre de l'Exode, ainsi que certains passages du Deutéronome, en particulier [Dt 20, 10-20], y compris pour justifier des massacres.

Henri de Suse précisait au XIII° siècle dans sa Summa aurea la distinction entre guerres licites et guerres illicites. Il existerait ainsi quatre formes de guerre licite : celle déclenchée par Rome contre les infidèles (guerre romaine), celle déclenchée par un juge légitime (guerre judiciaire), celle pour défendre sa foi (guerre sainte) et celle pour repousser un envahisseur ; tout comme il existerait trois formes de guerre illicite : celle déclenchée sans autorisation du prince (guerre volontaire), celle menée par des rebelles et celle s’opposant à une autorité fondée juridiquement (guerre téméraire).

⒞ Enfin, la lettre même de la citation pose le chef de l'armée et le peuple non comme auteurs, mais comme exécuteurs du dessein de Dieu.

Pour en rester à cette définition de la guerre juste, on est par contre, comme souvent chez les premiers Hébreux d'ailleurs, dans un contexte de guerre sainte puisque c'est Dieu qui combat pour son peuple, même si ce dernier est son instrument ; cette guerre est sainte, et non pas sanctifiée, car cela signifierait alors que Dieu confie à l'homme sa toute puissance, ou encore qu'il lui demanderait a posteriori de commettre des injustices, ce que Dieu ne peut faire, la dérive commençant véritablement avec Henri de Suse. Cette guerre, n'est alors ni pour imposer la foi, ni pour la défendre contre une religion extérieure (lire à ce sujet : R. Devaux, Les institutions de l'Ancien Testament, Paris, Cerf, 6ème éd., 1997, pp. 77-79).

Cette guerre n'a donc rien à voir avec le petit jihâd musulman puisque sa fin n'est pas d'étendre la foi mais de défendre, derrière Dieu, un dessein de Dieu qui ne peut être que de justice ou d'amour, faisant par là même de cette guerre un temps exceptionnel qu'il est impossible de présager, tant sa conception  et son ordre mêmes sont difficiles à envisager. Quels signes ? quelle inspiration ? Il est regrettable que beaucoup de chrétiens aient fait de leurs volontés humaines le dessein de Dieu, détournant ainsi saint Augustin, faisant d'une guerre eschatologique une guerre simplement humaine. On peut même se demander si cette guerre ne fut pas pour saint Augustin un simple rappel historique, d'autant plus qu'il ne l'évoque qu'à propos de l'Ancien Testament, et principalement des guerres de Josué.

Mais, la seule guerre admise, dans le temps (post-)christique, par saint Augustin est donc la guerre défensive visant à réparer une injure grave, et nulle autre ! Dans tous les autres cas, la guerre est injuste, et il n'est pas permis au chrétien d'y prendre part. Cette question de définition fait qu'il est nécessaire de définir strictement les critères faisant que la guerre est juste ou injuste.

Passons maintenant à un autre passage célèbre du Contre Fauste : On ne s'étonnera point des guerres faites par Moïse, on n'en aura point horreur, attendu qu'en cela, il n'a fait que suivre les ordres mêmes de Dieu. Il n'a point cédé à la cruauté, mais à l'obéissance. Quant à Dieu, en donnant de tels ordres, il ne se montrait point cruel, il ne faisait que traiter ces hommes et les effrayer comme ils le méritaient. En effet, que trouve-t-on à blâmer dans la guerre ? Est-ce parce qu'on y tue des hommes qui doivent mourir un jour, pour en soumettre qui doivent ensuite vivre en paix? Faire à la guerre de semblables reproches serait le propre d'hommes pusillanimes, non point d'hommes religieux (Contra Faust., XXII, 74).

On oublie souvent la fin de ce passage du Contre Fauste, situé dans un chapitre où saint Augustin évoque le Dieu de l’Ancien Testament, car, il ne faut pas l’oublier, que dans ce passage, saint Augustin défend  face à l’idéologie manichéenne l’identité entre le Dieu de l’Ancien Testament et celui du Nouveau Testament, et par là même l’idée d’unité entre les deux Testaments, s’opposant donc à l’idée manichéenne que l’Ancien Testament a été dominé par un Dieu mauvais. Cette suite est pourtant fondamentale : Ce qu’on blâme avec raison dans la guerre, c’est le désir de faire du mal, la cruauté dans la vengeance, une âme implacable, ennemie de la paix, la fureur des représailles, la passion de domination et tous autres sentiments semblables. 

Saint Augustin ne dit donc pas qu’il est normal de tuer à la guerre comme pourrait le laisser entendre le seul passage cité, mais il dénonce avec bien plus de force ce qui vient d’être cité, c’est-à-dire non pas l’effet du mal, mais sa cause, ce qui est bien plus important. De plus, saint Augustin n’évoque ici que la guerre chez les Hébreux, et ne se projette pas dans son actualité !

Pour en revenir à la guerre sainte, Georges Minois écrit : C'est par un abus de langage que l'on parle de la théorie de la guerre juste chez Saint Augustin. En effet, le contexte dans lequel il se situe est plutôt celui de la guerre sainte : il s'agit des luttes entre l'Empire romain, assimilé à la chrétienté, et le monde barbare, assimilé au paganisme ou à l'hérésie. Ce sont en fait des combats pour Dieu, formes de guerre légitimes par excellence : pour quel meilleur motif pourrait-on se battre ? Ce n'est qu'une fois ce type de guerre admis que l'on pourra chercher si d'autres justifications sont possibles. Mais cela ne viendra que plus tard. Chez Saint Augustin, le terme de guerre juste sous-tend en réalité la guerre sainte ( G. Minois, L’Église et la guerre, Fayard, 1994, page 71). Ce texte est souvent utilisé depuis quelques temps par les ennemis de saint Augustin pour critiquer toute la théologie chrétienne de la guerre juste. Qu’y répondre, outre ce qui précède ? C’est en effet bien un abus de langage que d’écrire que saint Augustin a développé une théorie de la guerre juste, mais pas dans la même optique que ce qu’affirme Minois, puisqu’il fut un théologien de la paix ! Et tout son œuvre n’est qu’une dénonciation du mal de la guerre. Minois le rappelle d’ailleurs peu après dans son texte, qui replace saint Augustin dans son contexte, mais cette suite est souvent oublié par les détracteurs : Les perspectives changent complètement. Certes, la guerre apparaît plus que jamais comme une nécessité, mais une nécessité monstrueuse et non plus triomphante. La guerre, c’est d’abord un cortège de maux innombrables. (…) Il ne faut donc se lancer dans la guerre qu’en dernière extrémité, lorsque toutes les autres possibilités de rétablir la justice sont épuisées (G. Minois, L’Église et la guerre, Fayard, 1994, pp. 71-72).

Par delà ce qui précède, on peut retrouver dans l'œuvre de saint Augustin tout ce qui sera ensuite théorisé comme étant les six conditions de la guerre juste, la similitude avec Cicéron étant remarquable dans certains cas. Mais il faur dire que saint Augustin s’est souvent inspiré de cet auteur, en particulier de son De Republica  et de son De Legibus, et ce au moins autant que de la Bible, tout particulièrement de l'Ancien Testament du moins pour ce qui est du thème de la présente étude.

Saint Thomas d'Aquin reprendra cette logique de conditions préalables. Il exposera ainsi dans l'article premier de la question 40 de la IIa-IIae sa vision de la licité morale de la guerre, qui est le fond du problème. Et, à cette fin, s'inspirant donc en priorité de saint Augustin, il posera trois conditions qui seules et réunies peuvent justifier en conscience le recours à la force des armes, et donc à la guerre. Donc,  pour qu'une guerre soit juste, trois conditions sont requises.

On remarquera pour finir que Saint Augustin évoque une autre sorte de guerre : celle de l’homme contre lui-même, la guerre contre les vices, la guerre intérieure et spirituelle de l’esprit et de la chair en nous... C’est pour lui, dans sa vision des deux Cités, la plus pénible car l’on doit y  vaincre des ennemis que nous ne voyons pas. Et le glaive de cette guerre est la parole de Dieu. Est-on si loin des deux sens du jihâd, même si le petit jihâd porte en lui-même une dimension clairement offensive, et même si le sens offensif du jihâd est très éloigné du sens chrétien, la perspective chrétienne d'ôter une vie humaine ne devant être envisagée qu'avec crainte et tremblement pour le plus grand bien et non pour le mal ?

C'est sur la base de toutes ces réflexions que Vitoria et Suarez allaient travailler au XVIème siècle, s'attachant à analyser les conséquences et les applications pratiques, souvent délicates, de cette doctrine.

S'inspirant de saint Augustin, saint Thomas d'Aquin avait posé à l'article premier de la question 40 de la IIa-IIae sa vision de la licité morale de la guerre, qui est le fond du problème. Et, à cette fin, s'inspirant donc en priorité de saint Augustin, il posait trois conditions qui seules et réunies peuvent justifier en conscience le recours à la force des armes, et donc à la guerre.

Pour qu'une guerre soit juste, trois conditions sont requises (Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa-IIae, question 40, article premier, réponse ) : l'autorité du prince sous l'autorité de qui on doit faire la guerre, une juste cause et une intention droite chez ceux qui font la guerre. On remarquera qu'il ne chercha pas à donner une définition de la guerre juste, et ce au contraire de son successeur Francesco de Vitoria dont la réflexion s'inscrivait dans un cadre bien difficile. En effet, ses De Jure Belli et De Indis se voulaient réponse au grave cas de conscience des guerres et des conquêtes espagnoles en Amérique – on parlait alors des Indes occidentales -, cherchant à leur trouver un éventuel fondement éthique. Il posait d'emblée le problème : le seul titre permettant raisonnablement à l'Espagne de justifier sa conquête serait le droit de la guerre. Il lui fallait donc examiner en quoi consiste ce droit de la guerre, quelle en est sa valeur morale et à quelles conditions il peut s'appliquer légitimement et moralement. Et il allait donc s'attacher à commenter et à analyser de manière pratique les trois points de Saint Thomas d'Aquin.

Vitoria posa tout d’abord le droit pour les chrétiens de faire la guerre. La limite est cependant l’exigence d’une violation certaine, grave et obstinée du droit - et non pas d’un droit -, ainsi que celle de l’inexistence de tout autre moyen possible de se faire justice selon les exigences du droit. Dans tous les cas, seul celui qui exerce le pouvoir politique au sein de la communauté politique concernée peut être considéré comme étant l’autorité compétente pour recourir à la guerre.

Il distingua également les causes de la guerre injuste et celles de la guerre juste, aucun milieu de pouvant exister entre ces deux formes de guerre. La guerre injuste est ainsi celle qui trouve ses racines dans la gloire, dans l’ambition ou encore dans la recherche de captures fructueuses. Il posa d'ailleurs clairement dans son De Iure Belli trois cas de guerre non légitime : la différence de religion, l'extension de l'empire, et enfin la gloire du prince ou tout autre avantage à lui personnel (F. de Vitoria, De Iure Belli, 10-12).

À l’opposé, les deux causes de la guerre juste sont la défense, ainsi que la revanche de la justice violée. Quelle qu’elle soit, la guerre ne doit de plus avoir qu’une seule finalité, au risque de ne plus être juste : punir un coupable ou  rétablir un droit ; bref, il doit toujours avoir démonstration d’une culpabilité tant morale que juridique, ce qui réduit encore plus le champ de la guerre juste.

Trois grands principes président donc à la pensée de Vitoria :

⑴ Premier principe : même juste, la guerre ne doit être envisagée que comme une solution extrême ;

⑵ Second principe : le but de la guerre est de rétablir la justice et non pas d’aller jusqu’au bout de la raison du plus fort ;

⑶ Troisième et dernier principe : la paix victorieuse doit être emprise de modération chrétienne et du loyal souci de l’équité envers tous.

La guerre est donc licite dès lors que ces trois conditions sont réunies, car s'il n'y avait pas de châtiments pour les États délinquants, tout l'ordre de l'humanité serait troublé et les bons périraient victimes des malfaiteurs, comme il peut arriver à l'intérieur même d'un État (DTC, XV, c. 3140).


Voir aussi : 
Augustin d'Hippone : la théorie des deux cités 
Augustin d'Hippone : une figure du soldat 
Augustin d'Hippone : les conditions de la guerre juste  

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