Le système constitutionnel de 1848 avait introduit une innovation majeure dans la logique institutionnelle française : l'élection du Président de la République au suffrage universel. Une telle innovation donnait au Président une force considérable face aux députés, la logique de l'élection étant alors assez proche de celle du plébiscite. Ceci ne pouvait qu'ouvrir le champ à des tentatives de restauration d'un pouvoir personnel, ce qu'admettaient les commentateurs de l'époque, et en particulier Lamartine : « Que Dieu et le peuple se prononcent ! », ou encore Pyat : « Le Président nommé par le peuple aura une force irrésistible. » Or, il se trouva que l'élection reposa sur un seul nom, celui de Louis-Napoléon Bonaparte, « ce hollandais qui se dit corse » comme le qualifia Victor Hugo. Ainsi, le peuple qui avait gardé à l'esprit l'épopée impériale, tout en oubliant les aspects négatifs du régime pour n'en retenir que les idées de grandeur et d'ordre, allait élire un nom plus qu'un homme.
Cette mythologie, combinée à la structure institutionnelle et à la personnalité du prince, allait permettre le coup d'État du 2 décembre 1851, permettant de plus à Louis-Napoléon de se présenter comme le sauveur de la République. Il incita à cette fin le peuple à ratifier son coup d'État par un plébiscite, lui demandant en même temps le pouvoir de faire une nouvelle Constitution. Il obtint plus de 7 millions de oui contre environ 350.000 non. Le plébiscite avait absout le coup d'État et le second Empire pouvait commencer.
Louis-Napoléon allait de plus se montrer prudent et procéder par étapes. Ainsi, il promulgue la nouvelle Constitution le 14 janvier 1852, mais ne devient Empereur que le 2 décembre 1852, date symbolique. La Constitution de 1852 était de plus très souple et très brève, finalement axée autour de cinq points : ⑴ un chef responsable nommé pour 10 ans ; ⑵ des ministres dépendant totalement de l'exécutif ; ⑶ un Conseil d'État préparant les lois ; ⑷ un Corps législatif dont les membres pouvaient être qualifiés avec justesse de muets du sérail ; ⑸ un Sénat, gardien de la Constitution.
En fait, cette Constitution n'était qu'un plagiat de celle de l'An VIII. Elle établissait une véritable dictature, celle de l'Empire autoritaire. Néanmoins, dès 1858 devaient commencer à apparaître des facteurs de tension, dont un attentat, celui d'Orsini.
En fait, ce second bonapartisme aura eu une double filiation, l'une révolutionnaire, l'autre impériale, et Louis-Napoléon joua sur les deux tableaux. Le neveu s'est toujours voulu le disciple de l'oncle, et, comme lui mais autrement, il fut, contrairement à une idée reçue née d'une lecture postdatée du Napoléon le Petit de Victor Hugo, qui fut rédigé en 1852, il aura été un homme de génie, son plus beau coup de génie étant de se servir des idéaux révolutionnaires et de la démocratie pour détruire la République et les libertés - du moins dans un premier temps pour ce dernier point -. Il est certain que si Napoléon III était mort avant le désastre de Sedan, il aurait été jugé de façon unanime comme l'un des plus fins politiques du XIX° siècle.
Le neveu s'est toujours voulu le disciple de l'oncle, il n'était pas un homme de génie. Il voulut donc asseoir son pouvoir sur l'idée de ressourcement de la République Française, ce qui est visible dès le titre premier article premier de la nouvelle Constitution : l'Empire est le gardien des acquis de 1789 ! Une raison simple à cela : c'est le flux révolutionnaire qui, avec la légende napoléonienne, aura porté Napoléon III au pouvoir, et c'est cela qui lui fera dire : J'appartiens à la Révolution française ! .
D'où sa volonté lors de la rédaction de la Constitution de laisser apparaître qu'il entend sauvegarder tous les acquis révolutionnaires. Quand il devint Empereur, il déclara ainsi : Je prends la couronne (…) parce que la logique du peuple me l'a donnée, (…) parce que la Nation entière l'a ratifié ! De même, Tropelong devait déclarer dans un rapport au Sénat sur le sénatus-consulte du 7 novembre 1852 : Le maintien de la monarchie dans la personne du prince (est le) symbole monarchique de la démocratie organisée. L'hérédité monarchique se trouvait donc gommée au profit du peuple, de l'idée démocratique !
Napoléon III pourra ainsi écrire en 1861 que, fidèle à ses origines, il considère les prérogatives de la Couronne comme des droits dont il use dans l'intérêt du bien public, de la prospérité et de la tranquillité du pays. Mais, s'il est l'homme de la Révolution, il la "trie", même son rattachement à la Révolution ne se démentira jamais. En effet c'est sa conception même du pouvoir qui nécessitait ce retour à la Révolution, puisque, pour lui, «le propre de la démocratie est de s'incarner dans un homme». Et, selon lui, les masses lui ont confié un pouvoir qui n'a pas besoin d'être limité par les libertés publiques, synonymes pour lui d'anarchie, puisqu'il est l'héritier plébiscité de la Révolution. En se réclamant des principes de 1789, Napoléon III permettait de mettre en évidence la différence entre le bonapartisme et la monarchie bourgeoise, se rapprochant ainsi des républicains puisque dégageant une idéologique démocratique et tricolore, notamment dans le domaine des Affaires étrangères.
Mais, comme cela a déjà été dit, il faut introduire une nuance majeure dans cette filiation révolutionnaire : Napoléon III trie la Révolution, distinguant ce qui en provient de facto de ses autres aspects. Et il dira ainsi en 1850 : De la Révolution, il faut prendre les bons instincts et combattre les mauvais.
Il y avait donc pour Napoléon III deux Révolutions : une bonne et une mauvaise ! Napoléon III allait ainsi rétablir le suffrage universel, mais contre l'Assemblée conservatrice de 1851, et surtout pour le domestiquer à son service. De même, il aura rétabli le plébiscite napoléonien qui reconnaît la souveraineté populaire. La filiation révolutionnaire est donc incontestable !
Pour ce qui est de la filiation impériale, tout procède de la légende napoléonienne, et le coup de génie de Napoléon III aura été de se servir du Mémorial de Sainte-Hélène. La révolution industrielle ayant bouleversé les anciennes structures et provoqué la chute des salaires, l'idée sera de faire de Napoléon I le père du peuple. Le même culte populaire sera développé dans la paysannerie, qui fut l'ossature de la Grande Armée, paysannerie qui tremblait sur la question des biens nationaux. Instrument d'un culte, le Mémorial aura un gros succès tout au long du XIX° siècle, et les royalistes seront surpris car, loin de répudier l'héritage jacobin, Napoléon III saura l'accepter et tenter ainsi d'apparaître comme l'unificateur du peuple. D'autre part, Napoléon III trouva dans le Mémorial le moyen de justifier les guerres, par l'attaque des monarchies européennes contre la France - le mythe de la France assiégée - et par la nécessité d'assumer les conquêtes révolutionnaires. Napoléon III se pose ainsi comme un libéral qu'il n'est pas. Mais l'avantage est ainsi de pouvoir confisquer le nationalisme et le libéralisme, César étant gommé au profit d'un Napoléon « démocratique » ! Une particularité reste cependant : celle du régime issu d'un coup d'État, mais rétablissant le suffrage universel et le plébiscite.
Napoléon III saura aussi jouer de la fin à Sainte-Hélène de son oncle, de cette fin qui avait secoué toute la génération romantique, ce qui fournit un support littéraire au bonapartisme renaissant. Ce romantisme fut un excellent "agent de propagande", car il divulgua et assura le succès de la légende, celle-ci trouvant son apogée en 1840 avec le retour des cendres sur les berges de la seine. On avait une légende mêlant un destin personnel - celui du héros - et une aventure nationale, ce qui devait cimenter le succès du mythe napoléonien. Tout ce ci fut exploité par Louis-Napoléon qui, échouant à Boulogne en 1840, devait être élu Président de la République en 1848 sur un nom, sur une légende ! Le second bonapartisme étant en fait une Restauration ! En effet, depuis la mort en 1832 du Duc de Reichstadt, Louis-Napoléon se considérait comme le seul héritier des napoléonides, d'où son intérêt à renouer avec la tradition napoléonienne.
Après le coup d'État de 1851, le Président de la République devient un dictateur ! Et, le 14 janvier 1852, Louis-Napoléon fait une proclamation solennelle très révélatrice : J'ai pris comme modèle les institutions qui déjà au début de ce siècle n'ont été renversées que par l'Europe toute entière coalisée contre nous… Puisque la France ne marche depuis 50 ans qu'en vertu de l'organisation (…) du Consulat et de l'Empire; pourquoi n'adopterions nous pas aussi les institutions politiques de cette époque ? Dès lors, le neveu allait imiter l'oncle et ses institutions politiques, hormis le Tribunat., mais en les adaptant au goût du jour.
Enfin, tout comme dans le cas de l'oncle, le régime de Napoléon II est issu d'un coup d'État. Mais l'intelligence de Napoléon III aura été de faire sanctionner ce coup d'État par un plébiscite, et plus encore de rétablir le suffrage universel.
Napoléon III a toujours affirmé avoir un système politique. Ceci semble indéniable. Néanmoins, ce système était-il emprunté d'une idéologie ? Napoléon III a t-il été un idéologue ? Il faut dans un premier temps récuser la proposition de Burdeau selon laquelle le régime fut un césarisme empirique, car Napoléon III avait déjà exprimé clairement ses idées dans trois ouvrages datés respectivement de 1832, de 1839 et de 1844. Il est vrai que beaucoup de ses contemporains n'y prêtèrent pas suffisamment d'attention, refusant le plus souvent de considérer qu'il y avait des idées dans ces ouvrages. Ainsi, Rémuzat et Émile Ollivier devaient les qualifier de rêveries. Et pourtant…
Dans les faits, Napoléon III est un éclectique qui butine chez les autres avec un certain génie, et dans une perspective assez cohérente. Il voit ainsi bien les contradictions existant entre le libéralisme et un pouvoir personnel. Néanmoins, il est aussi vrai que Louis-Napoléon n'avait jamais présenté un programme systématique de ses objectifs, tant par goût du secret - pour ne pas effrayer - que par volonté de demeurer à la fois le neveu de Napoléon I, l'enfant de l'exil et l'homme de 1848.
Ses adversaires, qui avaient commencé par le sous-estimer, durent vite changer d'opinion. Et, tel Thiers le libéral bourgeois, ils devaient s'inquiéter, mais trop tard, de ses idées et de leur pénétration dans la société française, car il n'était en fait ni pour la Révolution, ni pour la réaction, mais pour un progrès social. Le véritable objectif de Napoléon III aura été en fait de fermer l'ère des Révolutions en satisfaisant les besoins légitimes du peuple, ce qui, en soit, n'était pas une mauvaise idée. En fait, l'Empereur est un saint-simonien qui bénéficiera d'une situation économique favorable, celle de la deuxième révolution industriel, et qui veut, sincèrement, le bonheur du peuple.
Sur le plan de la politique intérieure, il s'inspire de certains principes de la démocratie, tout en muselant les libertés, afin de stimuler la vie économique, d'où sa volonté d'un État ni neutre, ni nuisible. Sur le plan de la politique extérieure, il défend le drapeau tricolore, insiste sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et le principe des nationalités, perturbant ainsi le jeu et le concert classiques des monarchies européennes. Napoléon III aura donc été un étrange mélange de liberté et d'anti-libertés, de démocratie et d'anti-démocratie ! Et la question que l'on peut se poser est finalement de savoir si Napoléon II était « de gauche » ou « de droite »…
Le régime de Napoléon III aura t-il était une monocratie de droite ? Un certain nombre d'éléments incitent à voir dans le bonapartisme une monocratie de droite. En effet, dans sa phase autoritaire, l'Empire devait laminer les libertés publiques. Et si en 1864 Thiers devait revendiquer les cinq libertés - de la presse, des individus, du Parlement, du contrôle du législatif sur le gouvernement, de l'électeur -, l'Empire devait y répondre en démontrant qui assurait toutes les libertés prévues légalement par le Code civil. Par contre, pour ce qui est des libertés publiques, l'Empereur chercha toujours à démontrer que leur mise en œuvre n'était que différée par le contexte, ces libertés ne pouvant que couronner un édifice. En fait, Napoléon III promet ces libertés, mais comme aboutissement du régime, à la condition que tout soit tourné vers le régime.
Par ailleurs, si Napoléon III récusa toujours l'étiquette « de droite », il se situait incontestablement à droite en 1848, même si la Chambre de 1851 sera réellement une Chambre conservatrice, lui offrant ainsi une justification à son coup d'État. Il aura ainsi eu un réel succès auprès des partisans de l'ordre, jouant sur la peur du socialisme, voulant effacer le souvenir de la Révolution de 1848 et restaurer le gouvernement des affaires. Donc, on peut dire que Napoléon III était à l'origine réactionnaire, mais qu'il ne l'était pas exclusivement. Guizot dira ainsi : C'est beaucoup d'être à la fois une gloire nationale, une garantie révolutionnaire et un principe d'autorité !
Cependant, si le principe d'autorité semble aujourd'hui tirer à droite, il faut se souvenir qu'à l'époque les ultras - et la plupart des intellectuels de droite - ne l'annexaient pas à cette droite ou à l'État, car il était pour eux la marque du jacobinisme et de Napoléon I. En fait, si Napoléon III s'approprie ce principe, c'est pour se remettre dans la ligne de l'oncle : Mon nom est le gage d'un pouvoir fort.
Enfin, il est tout aussi indéniable que le vocabulaire de l'Empereur est par moment à résonance de droite : Il est temps que les méchants tremblent et que les lois rassurent, même si Robespierre n'aurait pas dénié ces mots, mais ils sont l'annonce d'un ordre moral qui est alors ressenti comme mieux assuré que par les républicains. De même, Napoléon III aura toujours le soutien des masses paysannes conservatrices. Par contre, celui des notables et de l'Église sera plus variable, plus limité. En effet, les notables se méfient de Napoléon III et ne veulent qu'un Empire libéral pour assurer le succès économique, alors que l'Église, partagée dès l'origine, puis favorable de par son action en faveur des États pontificaux, l'abandonnera dès qu'il modifiera sa vision de la question italienne. Certains éléments font donc bien penser à un monocratie de droite : L'Empire c'est l'ordre, l'Empereur c'est le père !
Néanmoins, le schéma est différent de celui du premier Empire puisque l'on partira d'un régime autoritaire pour arriver à une quasi pluricratie !
En fait, l'Empereur exerça toujours son pouvoir sous les apparences de la démocratie, de la souveraineté populaire. Ainsi, si le suffrage universel de Napoléon III aura été celui de 1848, il aura été domestiqué par les Préfets - véritables agents électoraux -, par le découpage des circonscriptions, par les candidatures officielles - une nouveauté à l'époque - et plus encore par le fait que tous les candidats devaient, a priori, jurer fidélité au gouvernement ; l'opposition était ainsi muselée.