suite de Jésus et la Samaritaine (4)
II. Autour du puits : l'eau, source de la vie éternelle
7. Une femme de Samarie vient pour puiser de l'eau, Jésus lui dit :
Une femme de Samarie...
Comme cela a déjà été dit, les gens de Samarie - et plus encore les Samaritaines - sont méprisés par les juifs; parmi d'autres, le prophète Amos l'exprime lorsqu'il écrit à propos des Samaritaines : Ecoutez cette parole, vaches de Bashân qui êtes sur la montagne de Samarie, qui exploitez les faibles, qui maltraitez les pauvres, qui dites à vos maris : « Apporte et buvons ! » (Am 4, 1). La Samaritaine est donc ce qui est de plus méprisable pour un Juif de l’époque, et pourtant - ou justement à cause de cela - c'est à elle que Jésus choisit de se révéler.
...vient pour puiser de l'eau.
Un acte humain : celui de la recherche de la source principale de la vie terrestre...
..., Jésus lui dit : ...
Il faut remarquer que c'est Jésus qui prend l'initiative du dialogue, même s'il se pose ainsi presque en hérétique aux yeux des Juifs en parlant à une Samaritaine ; par lui, c'est Dieu qui cherche à parler aux hommes, car il a besoin des hommes pour laisser éclater l'infinité de son amour, de ces hommes qui le craignent, le prient, mais l'oublient tout aussi souvent depuis la chute d'Adam : même si nous ne nous croyons pas dignes de l'amour de Dieu, Dieu nous aime comme nous sommes ! Par son Fils et en l'Esprit, le Père veut faire exister les hommes, tous les hommes, y compris les exclus qui sont ici symbolisés par la Samaritaine : une femme non juive et a priori pas très futée puisqu'elle va puiser de l'eau à midi, c'est-à-dire à la pire heure !
Il n'est pas innocent que la rencontre entre Jésus et la Samaritaine suive l'entretien avec Nicodème (Jn 3, 1-21), car tout les oppose, même s'ils ont tous les deux la même attente : une femme/un homme, une Samaritaine/un Juif, une "pas très futée"/un "intellectuel" ; tous les deux sont aux extrémités de l'humanité (du moins dans le cadre de la civilisation que le Père a choisi pour cadre à l'Incarnation), mais, alors que tout les oppose, ils se retrouvent dans leur rencontre avec Jésus, tendant tous deux vers un même but, celui de la découverte de la vérité, mais par deux voies différentes : une voie très intellectuelle pour Nicodème, une voie du cœur pour la samaritaine. Ceci montre bien que Jésus s'adresse à tous. Il n'est cependant pas innocent que Jésus ne se révèle pleinement qu'à la samaritaine, car celle-ci est l'image de nos faiblesses, mais aussi de la joie du coeur. Arrêtons nous ici un instant pour méditer le message des Béatitudes.... Et comment ne pas penser ici à la première Épître aux Corinthiens : Où est-il, le sage ? Où est-il, l’homme cultivé ? Où est-il, le raisonneur de ce siècle, Dieu n’a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ? Puisqu'en effet le monde, par le moyen de la sagesse, n'a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, c'est par la folie du message qu'il a plu à Dieu de sauver les croyants. Alors que les Juifs demandent des signes et que les Grecs sont en quête de sagesse; nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés Juifs et Grecs, c'est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu (1 Co 1, 20-24) ?
« Donne-moi à boire. »
Toute la démarche de Jésus, toute son approche de la Samaritaine ne sera plus désormais qu'au service de l'évolution de la foi intérieure de la Samaritaine : il ne se révèle pas ipso facto, mais la laisse au contraire s'approcher d'elle-même de son mystère. Cette démarche progressive est à rapprocher de notre propre démarche qui, progressive, n'est qu'une découverte permanente du mystère divin. Il y a donc là bien démarche de foi, d'adhésion à Dieu, et non pas simple croyance comme dans le cas des faux dieux, car, comme l'a écrit Saint Jean de la Croix, la foi est la substance des choses que nous espérons, et bien que l’entendement y adhère avec fermeté et certitude, elle ne lui rend pas l’objet manifeste (Carm., II, 5).
C'est d'ailleurs pour cette raison que le chrétien parle de foi (Quelques définitions de la foi ) et non pas de croyance, la foi impliquant une démarche personnelle aboutissant à une adhésion intime à Dieu, à un engagement a priori individuel même s'il s'exprime en communion au sein de l'Église, donc à une réalité et non à une probabilité éventuelle ; la foi met en jeu un "tressaillement" individuel et un appel du -et au- Cœur de l'Homme que ne présuppose pas forcément la croyance qui n'est qu'un mode de connaissance parmi d'autres, la croyance qui, comme le souvenir, est toujours mieux ou pire que la réalité, qu'il s'agisse de celle de Dieu ou de celle de sa création. La foi, qui est avant tout témoignage - ici celui à venir de la Samaritaine - est en fait totale car adhésion à Dieu, alors que la croyance peut n'être que partielle. C'est par notre rencontre personnelle avec Dieu que notre foi grandit, s'affermit, qu'elle s'insinue dans notre coeur, car, comme le dit Saint Paul : Ayant donc reçu notre justification de la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ, lui qui nous a donné d’avoir accès par la foi à cette grâce en laquelle nous sommes établis, et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire de Dieu (Rm 5, 1-2).
La rencontre de la Samaritaine avec Dieu, c’est bien notre propre rencontre avec Dieu, sur la route de la vie éternelle et du Salut ! Nous vivons en notre foi les mêmes épreuves, plus exactement les mêmes étapes qu’elle : le doute, l’effarement, la réflexion, enfin l’adhésion. Comme Jésus lui donne peu à peu les éléments qui lui permettront d’accéder à la foi en Dieu, Il nous donne petit à petit les éléments qui nous permettront de concrétiser notre propre foi… Comme Dieu demande de l’eau à la Samaritaine, Il a soif de nous : Il nous demande tout, tous ! A la place de la Samaritaine, aurions-nous compris ce que Jésus nous demande ? Pas certain…
8. Ses disciples en effet s'en étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger.
9. La femme samaritaine lui dit : (Les Juifs en effet n'ont pas de relations avec les Samaritains).
Ne connaissant pas encore Jésus, la Samaritaine le qualifie telle qu'elle le voit matériellement, c'est-à-dire de Juif. Elle est interloquée. Peut-être même a-t-elle un peu peur.... Elle vit la première des cinq étapes de sa lente montée vers la connaissance et surtout l'adhésion au mystère du Christ. Je pense ici aux degrés de la foi dont parle Saint Paul : Au nom de la grâce qui m’a été donnée, je le dis à tous et à chacun : ne vous surestimez pas plus qu’il ne faut vous estimer, mais gardez de vous une sage estime, chacun selon le degré de foi que Dieu lui a départi (Rm 12, 3). Saint Paul nous demande ainsi de servir Dieu chacun selon ses compétences, celles-ci étant un don de Dieu. Refuser de mettre ses compétences au service de l'Église est donc condamnable, tout comme il est condamnable de se sentir supérieur aux autres, car cette “supériorité” est un don de Dieu qui crée plus de devoirs que de droits, tout homme étant égal aux yeux de Dieu. Ce que Dieu veut, c'est que chacun progresse dans sa vie intérieure, dans la foi de son cœur, en aucun cas dans un “spectacle” par nature faux et contraire au dessein de Dieu. Dieu nous appelle à servir notre prochain, pas à l'humilier (on doit ainsi méditer sur la charité envers les faibles exprimée en [Rm 14—15], texte trop souvent négligé par les théologiens ou les catéchistes, alors qu'il devrait être le seul guide de leur "méthodologie" de travail)... C'est d'ailleurs la démarche que Jésus adopte avec la Samaritaine en cherchant à la faire monter progressivement vers la découverte de Son mystère et celle du don de Dieu.
La Samaritaine s'étonne qu'un Juif lui demande à boire de l'eau puisée avec un vase ; d’autant plus que, conformément à la coutume, les Juifs ne se servaient pas de vases à et usage… Comme le dit Saint Augustin, ce qu'elle ignore encore, c'est que celui qui lui demande à boire a soif de la foi de cette femme (Johan. ev. tract., XV, 11).... Elle s'étonne d'autant plus que, pour les Juifs, le Samaritain est un zâr, c'est-à-dire un étranger profane, un dévergondé, un bâtard, ... - qui vient de zoûr : se détourner, devenir un inconnu -, en aucun cas un gèr, c'est-à-dire un étranger accepté car respectant les règles de la vie juive, voire un prosélyte (je renvoie ici à [Ex 22, 20] et à [Dt 10, 19]). Le Samaritain n'est donc pas un proche pour le Juif : il est inassimilable au “pauvre”, ce qui fait que la Loi qui invite les Juifs à se souvenir qu'ils étaient immigrés en Égypte ne s'applique pas en ce cas. Pire, pour le Juif, le Samaritain est considéré comme un am ha-arets, un “peuple du pays”, c'est-à-dire comme un étranger ignorant et incapable de mettre en pratique la Loi, et cela même si certains les considèrent comme faisant partiellement partie du peuple d'Israël (voir : Cousin (H.) éd., Le monde où vivait Jésus, Cerf, Paris, 1998, pp. 736-737). La fracture est donc très profonde entre le Juif et le Samaritain. Le Juif est en Samarie comme le conquistador de la Renaissance face aux Terra incognita; dans les deux cas, l'autre est l'inconnu, et si l'on ne cherche pas à le comprendre comme le fit par exemple Francisco de Vitoria avec les Amérindiens, on le tue par peur, ou, pour le moins, on refuse de l'affronter, de dialoguer - alors même que Jésus n'hésite pas à dialoguer, prenant même l'initiative de ce dialogue, avec la Samaritaine -, donc de se connaître, blessant ainsi le coeur de Dieu par refus de son message éternel d'amour....
Mais quelle actualité ! D'une certaine manière, on pourrait dire que le Samaritain est au Juif ce que le beur de troisième génération - quelle que soit sa volonté d'assimilation - est à certains extrémistes nationalistes, alors que le juif est pour le samaritain le symbole d'une société incomprise sur les membres desquels on jette des pierres, comme certains jeunes de banlieues jettent des pierres sur les représentants de l'autorité que sont par exemple les policiers. Rien de nouveau sous le ciel, alors même que Jésus est venu rompre ces relations - ou plutôt ces absences de relations - absurdes et contraires au dessein du Père. C'est ici encore une preuve de l'actualité de ce passage de l'Évangile de Jean, une invitation faite aux hommes d'aujourd'hui à dépasser leurs différences, leurs querelles et leurs jalousies stériles pour appliquer le commandement d'amour de [Mc 12, 31] : tout ce texte n'est qu'un immense appel à la foi, à l'espérance et à la charité, c'est-à-dire à la mise en pratique quotidienne des trois vertus théologales, des trois charismes offerts aux hommes sur lesquelles insiste Saint Paul en [1 Co 13, 13].
C'est tout, c'est bien plus divin et humain que la Loi ancienne, que les préceptes des autres religions,... mais c'est déjà beaucoup car exigeant de nous une totale adhésion, un total abandon. C'est le Aimes donc et fais ce que tu veux de Saint Augustin (Ep. Johan. tract. VII, 8), car, comme l'a écrit à propos de cette sentence Jacques Chevalier dans son Histoire de la pensée, quand un homme aime profondément Dieu et les hommes, il peut faire ce qu’il veut, parce que, sa guidant sur la vérité suprême et la sainte charité, il ne peut tomber dans l’erreur.
L'amour absolu conduit toujours à la liberté absolue, à la joyeuse liberté des enfants de Dieu, alors que la peur, le refus de l'autre ne font que construire des prisons toujours plus rudes autour de nous et dans nos coeurs.... Mais l'amour de Dieu, sa miséricorde, par la réconciliation, peut, si l'on accepte de s'abandonner à lui, faire exploser toutes ces prisons, aussi “solides” soient elles.....
10. Jésus lui répondit : tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c'est toi qui l'aurais prié et il t'aurait donné de l'eau vive.
Le Christ voit plus loin. Je pense ici à l'entretien - qui précède l'épisode de la Samaritaine - avec Nicodème : En vérité, en vérité, je te le dis, nous parlons de ce que nous savons et nous attestons ce que nous avons vu; mais vous n'accueillez pas notre témoignage. Si vous ne croyez pas quand je vous dis les choses de la terre, comment croirez-vous quand je vous dirai les choses du ciel (Jn 3, 11-12), et Il sera mieux accueilli par la Samaritaine que par certains notables et savants juifs, même si ceux-ci cherchent eux aussi la lumière (cf. 1Co 1, 20-24).
Jésus part de très haut dans son dialogue, avec une approche immédiatement spirituelle, alors que la samaritaine part de très bas, d'une approche uniquement matérielle; tout ce récit est donc celui d'une approche progressive avec une double démarche : une lente montée vers Dieu et Dieu qui vient vers nous, qui se met à notre portée. C'est là notre histoire !
La lente quête mutuelle de la perfection se fera par des signes imperceptibles, au coeur, et je ne peux m'empêcher ici de penser à l'oeuvre majeure de Saint Jean de la Croix : La montée du Carmel, avec cette montagne au sommet de laquelle la divine sagesse attend l'âme bien-aimée - notre propre âme -, au Chemin de la Perfection de Thérèse d'Avila, ou encore à l'histoire personnelle de Saint Augustin (on pourrait presque dire que Sainte Monique méritait d'être Sainte rien que pour avoir pu et su, aidée par Dieu qui connaissait le dessein d'Augustin, supporter son fils avant sa conversion) et de Saint François d'Assise qui ont tous deux connu une vie de péché avant de devenir des figures fondamentales de la foi ; ces deux derniers ont trébuché, mais la rencontre avec Dieu leur a permis de triompher du mal et de devenir des lumières du bien pour l'humanité entière. Par là même, par cette lente montée vers Dieu que Dieu lui-même nous rend possible en se rendant accessible, nous pouvons surmonter les pièges du péché, tirer du mal du péché le bien de la grâce et du Salut ; en cela, qui que nous soyons, quel que soit notre niveau intellectuel, de culture ou de richesses matérielles, nous pouvons imiter au quotidien les plus grandes figures de la foi ! Comme le dit Saint Jean de la Croix, la voie vers Dieu est semée d'embûches, mais elle est aussi fléchée par Dieu pour nous sauver ; à nous de reconnaître les “panneaux indicateurs”, en sachant qu'existe toujours la voie de secours du sacrement de réconciliation que nous offre Dieu qui sait que nous ne sommes que des hommes....
La question qui se pose à nous est alors : « Qu’est-ce que j’attends de Jésus ? ». Or, Il nous a tout donné par le Père et avec l'Esprit. Notre prière ne doit donc pas être supplication, mais au contraire louange et joie nous permettant d'atteindre notre propre perfection dans la foi et dans le témoignage.
11-12. Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où l’as-tu donc, l’eau vive ? Serais-tu plus grand que notre père Jacob, qui nous as donné ce puits et y a bu lui-même, ainsi que ses fils et ses bêtes ? »
Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où l’as-tu donc, l’eau vive ?...
Humaine, la Samaritaine ne comprend pas dans un premier temps les paroles de Jésus, les interprétant de manière matérielle. Néanmoins, son questionnement met plus en évidence son ignorance qu'une volonté d'incompréhension. On pourrait rapprocher cet extrait de l'Évangile de Luc : Mais Marie dit à l’ange : « Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? » (Lc 1, 34), car même Marie, la plus parfaite des créatures de Dieu car elle est celle qui, en premier a participé à cette victoire sur le péché remportée par le Christ : elle est en effet libé&rée du péché originel et de tout autre péché (Jean-Paul II, Le Créateur du Ciel et de la Terre, Cerf, Paris, 1988, page 264), n'est qu'humaine; humaine, elle est donc imitable en tout, sauf en sa nature d'Immaculée Conception qui appartient au seul mystère de DieuLIEN ! On peut aussi faire un parallèle avec Rebecca qui était à la fois Amour et soumission à Dieu, avec là encore... un puits (Gn 24, 15-67) !!!
La réfèrence au puits profond doit aussi nous faire penser à ce passage de la Septante : Une eau profonde est la parole dans le cœur de l’homme, un fleuve qui jaillit, une source de vie (Pr 18, 4).
Serais-tu plus grand que notre père Jacob, qui nous as donné ce puits et y a bu lui-même, ainsi que ses fils et ses bêtes ?»
Voir ici en parallèle la question des Juifs à Jésus en [Jn 8, 53].
Ne comprenant pas encore, la Samaritaine, comme tout homme, en revient à l'histoire pour chercher des repères. On en est ici à la deuxième étape de l'adhésion de la Samaritaine au mystère de Jésus. Toujours interloquée par ce qu'elle entend, la Samaritaine continue à s'interroger. Mais un premier changement s'opère en elle : elle se rend compte que celui qui lui parle n'est pas un Juif comme les autres, pas un homme comme les autres. Dès lors, elle qualifie Jésus de “Seigneur”, puis au verset suivant de “plus grand que notre père Jacob”. Sans le percevoir encore dans sa plénitude, elle a franchi un pas décisif dans sa compréhension du mystère de Jésus et entame le cheminement de sa foi intérieure, vers la vérité intérieure. La Samaritaine vit la lutte intérieure dont parle l'Apôtre en [Rm 7, 14-24] : En effet, nous savons que la Loi est spirituelle ; mais moi je suis un être de chair, vendu au pouvoir du péché (Rm 7, 14). L’Apôtre rappelle cependant en [Rm 6, 15-19] que le chrétien est affranchi du péché et de la Loi ; les chrétiens ne sont plus esclaves mais libres, car lors de Sa Passion Jésus s’est fait esclave, se laissant dépouiller de ses vêtements et crucifier, et ce pour nous libérer du péché à l’heure de Sa Résurrection.
13-14. Jésus lui répondit : « Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau ; mais qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle. »
L'eau dont parle Jésus n'est pas l'eau matérielle, l'eau putrescible , mais la vie éternelle. L'eau dont parle Jésus est en fait celle du baptême : l'eau baptismale; elle est signe de vie, non pas signe de mort, renvoyant à la symbolique de la naissance à la vie nouvelle (on peut penser ici aux eaux matricielles, à l'eau purificatrice, à la pluie vivifiante en vue des moissons (à rapprocher des versets 35 à 38) , ...), car le baptême est un bain d’eau qu’une parole accompagne (Ep 5, 26). Cette eau est purification du péché, et plus encore pardon plein de miséricorde divine de ce même péché (Tt 3, 5) et illumination à la lumière du monde (Jn 1, 9 ; 14, 6 ; Ep 5, 8). L'eau vive est celle de la vie : elle est la vie car ouverture à la participation à la joie du Père, fécondation de la terre, pureté et fraîcheur, libération du péché (Ex 17; Ps 50 ; Ez 36, 24-28). Cette eau est celle du baptême ; elle est intarissable (cf. Is 58, 11) et Dieu, si nous voulons bien accepter son Don, nous en donne à profusion, autant que nous en souhaitons, à la condition que nous nous abandonnions à lui....
L'eau vive n'est en aucun cas la mort, ou plutôt, s'il y a mort lors de la réception de l'eau vive, c'est uniquement celle du péché : l'idée de mort ontologique est donc à bannir, l'ontologie étant de plus la science de l'être en tant qu'être, en dépit de ses déterminants; Jésus est vainqueur de la mort, vainqueur du péché : Il ne peut que donner la vie, et l'eau vive qu'il offre à tous les hommes au travers de la samaritaine est celle de la naissance à la foi, celle du renouvellement de la nature pécheresse dans le bain de la nouvelle naissance. En fait, Jésus est lui-même l'eau vive, lui-même le don de Dieu. N'oublions jamais que l'eau a jailli de Son côté avec le sang à l'heure de la Passion : ce sont là les marques de la double nature à la fois divine et à la fois humaine de Jésus; cette eau jaillissant du flanc du Christ, cette eau offerte en source inépuisable aux hommes – il y en aura toujours assez, toujours plus, pour tous ceux qui acceptent de boire à la source du Christ - est la marque suprême de la vie éternelle battant la mort, la marque suprême de l'amour de Dieu [Jn 19, 34].
On peut ici songer à [Pr 5, 15] : Bois l’eau de ta propre citerne, l’eau jaillissante de ton puits !, ou encore à la source de [Ct 4, 12-15]. L'eau jaillissante des Proverbes, c'est peut-être celle de notre vie intérieure, celle dont parle Jésus....
Cette eau vive offerte par Jésus à la samaritaine est celle du baptême, de ce baptême qui est entrée dans la vie nouvelle (Mt 18, 19-20 ; Jn 3, 3 ; 1 P 1). Par cette eau offerte et acceptée, nous devenons les fils adoptifs de Dieu (2 Co 5, 17) et nous sommes définitivement incorporés au Corps unique du Christ, à l'Église (1 Co 12, 13 ; Ep 4, 25). On comprend ici encore mieux le sens de cette citation commentée par l'Abbé Gaubert au temps de mon catéchisme : Baptisé, tu es consacré ! Tu es le tabernacle de la Sainte Trinité ! Tu es greffé sur le Christ comme un membre vivant à son corps mystique, l’Eglise !, citation qui est à mettre en parallèle avec cet extrait de l'Épître aux Ephésiens : (le Christ) dont le corps tout entier reçoit concorde et cohésion, par toutes sortes de jointures qui le nourrissent et l’actionnent selon le rôle de chaque partie, opérant ainsi sa croissance et se construisant lui-même dans la charité (Ep 4, 16). L'eau vive est une grâce reçue : à nous de la faire vivre en nous, pour Dieu, l'Église et nos frères... Tout ceci nous est rappelé par le texte de l'Apocalypse : Jamais plus ils ne souffriront de la faim ni de la soif; jamais plus ils ne seront accablés par le soleil ni par aucun vent brûlant. Car l'Agneau qui se tient au milieu du trône sera leur pasteur et les conduira aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux (Ap 7, 16-17).
L'eau vive, le don de Dieu, c'est Dieu lui-même, sa parole, l'accès à son mystère ! Elle préfigure l'Eucharistie, cet accomplissement de l'initiation chrétienne qui est la source et le sommet de toute la vie chrétienne car don de la vie éternelle, seul véritable “aliment” sur la route vers Dieu ! L'eau vive, le don de Dieu, c'est le don gratuit par le Père de son Fils aux hommes, don qui aboutira au sacrifice de Jésus sur la Croix glorieuse qui a tué la haine [Ep 2, 16], notre foi étant le seul sacrifice saint et agréable à Dieu [Rm 12, 1] qui nous soit désormais demandé... N'oublions jamais que le Père nous a donné ce qu'il avait de plus beau : son Fils, c'est-à-dire lui-même, Dieu lui-même dans le mystère de la Trinité !
Étant Dieu lui-même, le don de Dieu ne s'achète pas. Il est une grâce, et c'est ce que rappellera Saint Pierre à Simon le magicien - d'ailleurs en Samarie ! - : Périsse ton argent, et toi avec lui, puisque tu as cru acheter le don de Dieu à prix d’argent (Ac 8, 20). Le don de Dieu est gratuit, offert à tous; à nous de l'accepter dans nos cœurs et dans nos vies !
15. La femme lui dit : « Seigneur, donne-moi de cette eau, afin que je n’ai plus jamais soif et ne vienne plus ici pour puiser. »
La Samaritaine ne comprend toujours pas ! Elle ne comprend toujours pas que Jésus lui promet le rassasiement dans l'Esprit Saint ! Ce qu'elle veut encore, c'est ne plus souffrir en étant obligée d'aller chaque jour puiser de l'eau au puits; c'est ce qu'elle comprend lorsque Jésus lui promet la fin de sa peine, mais elle pense peine physique quand Jésus parle de peine spirituelle.
La soif dont parle Jésus est celle dont parlait Amos : Voici venir des jours – oracle de Yahvé – où j’enverrai la faim dans le pays, non pas une faim de pain, non pas une soif d’eau, mais d’entendre la parole de Dieu (Am 8, 11), cette parole étant d'ailleurs suivie d'une nouvelle malédiction des … Samaritains [Am 8, 14]. Le choix de Jésus de s'arrêter en Samarie, de parler à la Samaritaine pour apporter l'eau vive n'est donc pas innocent mais inscrit dans le dessein de Dieu. La rencontre avec la samaritaine était d'une certaine manière annoncée et inévitable car voulue par le Père pour que la vérité s'accomplisse.
On peut aussi se souvenir ici de cette phrase terrible de Jésus sur le baptême : En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu (Jn 3, 5). C'est cette eau que Jésus veut offrir à la samaritaine. Cette eau est celle de la vie éternelle, de la connaissance du Père et du Fils de [Jn 17, 3].
à suivre sur Jésus et la Samaritaine (6)