[Attention : le présent texte, qui date de 2001, semble décousu. Il s’agit en fait d’une note de discussion avec diverses personnes avant de prononcer une série de conférences sur ce thème à leur demande. Donc plus des lignes de réflexion qu’un texte structuré. ]
Même si chercher à présenter et à analyser la violence du sacré n'est pas vain, n'est-il pas fondamentalement impossible de traiter un tel thème ?
Différence entre la violence du sacré et la relation entre le sacré et la violence.
Si les questions du sacré et de la violence semblent éternelles, n'isole t-on pas des problèmes qui ne se rapportent qu'à des sociétés ou qu'à des individus donnés ?
Difficulté de traiter d'un même regard ce qui tient à la fois de l'universel et de l'individuel : le sacré est universel, la religion se veut comme telle, or la perception n'est qu'individuelle. Donc chaque élément du sacré sera perçu différemment et utilisé différemment (exemples des Croisades, des Talibans, ...).
Ce qui es perçu comme violent dans une société ou à un moment donné l'est-il dans un autre cas. Exemple : l'Eucharistie non violente pour le Catholique, blasphématoire en sa transsubstantiation pour le Musulman.
Problème de l'ethnocentrisme, mais bien plus accru qu'en anthropologie, car ce n'est pas le phénomène qui est influé par l'observateur, mais son jugement, sa définition même. Quelle base choisir ? Y a t-il un "bruit de fond" humain collectif identifiable ? Même les droits de l'homme ne sont pas perçus identiquement ni même universellement. Il en est encore plus des valeurs. Or, le sacré touche aux valeurs.
Si les problèmes de la violence et du sacré étaient intemporels, donc résumables, leur apparition dans le temps devrait être évidente et aller de soi. Or, il y a eu des périodes, et ce pour chaque religion, où la vision tant de la violence que du sacré a été différente. L'émergence de(s ?) phases est imprévisible, ce qui en fait un phénomène historique et non an-historique.
Impossibilité d'étudier dans les détails les conditions concrètes de chaque attitude individuelle, même si chacune se fond (-rait ?) dans le moule du religieux, donc du dogme, et plus encore du rituel. Le rituel est collectif, mais aussi perçu et vécu individuellement. or, le sacré ne se résume pas au seul rituel ni au seul dogme.
dépassement du questionnement d'Abélard sur le fait que celui qui agit par ignorance ne pèche pas. Reprendre son exemple des bourreaux du Christ qui étaient persuadés d'accomplir une volonté de Dieu, donc tenus moralement de mettre le Christ en Croix. Donc, question morale : doivent-ils (peuvent-ils ?) adhérer à leur foi sans connaître l'autre, et surtout peuvent-ils être blâmés pour leurs actes (de foi ?) ? D'où l'importance fondamentale de la subjectivité, et devoir de porter un autre regard sur l'autre.
Résoudre la question ne serait-il pas donner à l'homme une nouvelle, échelle de valeurs puisqu'il pourrait désormais se penser par lui-même ? Donc, identifier la violence du sacré n'est-il pas faire violence au sacré ?
Quel point de vue au départ pour définir la violence ? La violence de certains rites primitifs ou encore hindouistes ne l'est qu'à l'autre de l'autre ! Donc, nécessité de rechercher a priori ce qui est non violent dans chaque religion et mode de penser avant de dresser toute liste du violent dans le sacré de l'autre. Mission impossible, ou alors cela signifierait une unité dramatique de la pensée et de la conscience humaine. Ceci est pourtant contradictoire avec le dessein de Dieu ou du moins de la divinité quelle que soit la religion.
Le sacré est-il la religion, dans la religion ? C'est une question qui peut se poser à l'aune du Bouddhisme ou encore de philosophie "hors de Dieu" comme certaines formes contemporaines de la Franc-Maçonnerie, ou le Nouvel Age sous certains aspects.
Violence naissant d'une lecture religieuse des rapports sociaux (fonction idéologique et politique de la religion, idée d'ordre divin, de cité terrestre, rapports de castes...) ? d'une identité forgée par la religion (fondamental) ? de la "délégitimisation" éthique de certains rapports sociaux ?
La peur d'avoir tort, de ne pas pouvoir répondre à l'autre ne conduit-elle pas au refus du non soi ?
Autre exemple délicat : les satanistes ont-ils conscience du mal ? Le mal n'est-il pas fils d'une société ? Ou alors adhèrent-ils au satanisme comme ces gens qui devinrent communistes par seule peur d'une invasion soviétique ? Pose alors la question de la tolérance de l'autre rejeté, y compris celle du mal. N'est-on pas cependant sataniste seulement en conscience, d'où une position particulière par rapport au sacré et aux autres croyances ?
Qu'est-ce que la violence ? Est-elle vraiment perçue de la même manière dans le temps, y compris dans la même société ? Voir l'approche de la guerre juste... Voir l'approche de nos sociétés contemporaines des incivilités et du crime (voir la criminalité et la violence urbaine ne serait-ce qu'au début du XX° siècle).
La violence du sacré, ce n'est pas savoir en quoi le sacré est violent, mais de savoir en quoi le sacré engendre la violence. Problème de la peur de l'autre, du rejet du non soi, donc du refus de toute vision non conforme à son propre cocon ?
Violence du sacré comme rite d'initiation, d'admission au sein d'une société ?
Si on analyse la violence du sacré au travers des rites, quelle approche ? anthropologie ? psychanalyse ? politique ? sociologie ? histoire ? morale ? et le dogme ? Voir les contradictions de Girard qui est obligé soit de concevoir un rapport d'homme à homme, soit d'homme à Dieu, mais non les deux à la fois, car axant tout sur la seule morale.
Liens du pouvoir au sacré... Le sacré découle t-il du pouvoir ? Le pouvoir découle t-il du sacré ? Le sacré ne fait-il pas des concessions au pouvoir et vice-versa ? Donc problème de la violence politique déguisée sous les habits du sacré. La violence du sacré n'est-elle pas en fait une violence intrinsèque à tout pouvoir ?
Néanmoins, le sacré ne peut-il pas exister en dehors de jeux de pouvoir ? Mais l'homme ne vit pas seul, mais dans une société. Donc, toute remise en cause de ce principe remet en cause soit la nature même de l'homme, soit le principe même d'ordre, qui existe y compris chez les anarchistes qui obéissent au minimum à l'ordre propre qu'ils se sont créés, même s'ils n'en ont pas conscience, car tote pensée non ordonnée n'est que folie. Mais la folie n'est-elle pas elle-même une normalité pour qui la connaît ?
Quel point de départ ? notre temps ? notre société ? La neutralité est impossible ! Or, dans le cadre d'une réflexion a priori interreligieuse...
Problème de toute analyse comparative : soit trop sélectif, soit déformé ! Comme l'a écrit saint Thomas d'Aquin, tout ce qui est perçu l'est selon le mode de celui qui perçoit. Donc, offrande de seulement une lecture possible de la question ?
De plus, l'approche doit-elle être synthétique, sectorielle, systématique, descriptive ... ?
Quel champ religieux ? Quelles limites ? De plus, les religions ne se réfèrent elles pas très peu dans leurs discours éthiques à leurs textes sacrés. Donc, peut-être un "coin" dans le travail, une brèche : si un ou des discours ont pu se faire hors des textes fondateurs, c'est qu'un substrat humain existerait, et qu'un discours philosophique reste possible. Peut-on entrevoir un bruit de fond commun à l'humanité ?
Le sacré est-il religion ou art de se comporter ? La priorité va t-elle au groupe ou à l'individu ? La philosophie est-elle même unique ? Pour l'Occident christianisé la vérité est une et la logique se limite à oui et à non, alors que dans le sacré par exemple japonais il y a plusieurs chemins vers la vérité et la logique est oui, non, oui et non, mais aussi ni-oui ni-non.
De plus, possibilité de vivre des expériences du sacré soit successives, soit combinées (exemple du Confucianisme et du Shintoïsme, voire même du Bouddhisme). Problème des syncrétismes, acculturations, inculturations, ...
Priorités absolues : définir le sacré, définir la violence. Finalement reprendre la règle des sept arts libéraux définie par Alcuin : établir des définitions, prévenir la confusion des catégories, distinguer entre littéral et figuré (le texte peut-il ou doit-il être dépassé ? question des textes révélés comme le Coran, question de la Tradition...)... Reste toujours l'obstacle de l'interprétation qui est individuelle, même dans le cadre d'une pression collective.
Questions de la crainte de Dieu, de la relation au prochain, de la relation au pouvoir, de l'existence ou non d'une hiérarchie, ...
Nécessité de voir large : au moins Christianisme(s), Islam(s), Bouddhisme(s), Judaïsme(s), Hindouisme(s), Taoïsme(s), Confucianisme(s), Shintoïsme(s), certaines religions africaines et amérindiennes, certains rites océaniens, plus diverses mythologies (grecque, latine, celte, scandinave, slave, ...) et religions anciennes... Et de plus sectes... Et certains phénomènes assimilables à du sacré comme une partie du nazisme... De plus, doit-on analyser la libre pensée et l'athéisme, ainsi que le refus de Dieu ?
priorité doit-elle être donnée au global ou à l'individuel, voire à l'individuel "collectif" ?
Quelle violence ? celle du sacrifice ? celle de la guerre ? celle contre l'autre (femme, enfant, étranger, païens, ...) ?
Violence ? physique/symbolique... acceptée/subie... réelle/virtuelle... individuelle/collective... légitime/illégitime... organisée/débridée...
Violence instrumentalisée ? le sacrifice... la recherche d'un bien supérieur... la nécessité de défendre la foi (auto-protection du système ?)... régulation interne... régulation éthique de la violence non légitime (question : qui et/ou quoi permet de définir la légitimité de la violence ? pour le nazi, l'extermination était légitime ... et même légale !)
La "mort de Dieu" doit-elle se situer dans la perception du sacré ?
Et la non-violence du sacré ? indispensable !
Eviter absolument toute approche apologétique affirmant que le contenu des religions est avant tout non violent. Ce serait comme dire que la Nature est en elle-même non violente ! Exemple : réfuter la phrase de Borgès selon laquelle le Bouddhisme est la seule religion n'ayant jamais été source de guerre.
Les racines de la violence se trouvent aussi dans le sacré, donc le religieux peut facilement servir de véhicule aux dérives de la violence. Exemples : le sacrifice, lutte bien/mal, expansion religieuse, prosélytisme, guerre "juste", ...
Chaque culte a donné naissance à un phénomène institutionnel, voir à un véritable ordonnancement juridique. Question de la sanction, du droit religieux...
Rapports éthiques à la peine de mort, à la légitime défense, à l'avortement, à la légitimité de la guerre, ...
Question de l'immortalité de l'âme comme source de violence, voire de sur-violence ?
Hindouïsme non réductible à l’ashimsa (ne pas causer le mal). Exemples : perspectives sacrificielles des Rig Veda ; appel aux Dieux de la guerre ; légitimité de tuer à la guerre dans le Bhagavad Gita ; signification différente du meurtre d’un intouchable ou d’un brahmane ; société de castes ; place de la déesse Kali (notamment la destruction) ; évolutions récentes tells que le Barattya Janaty Party…
Bouddhisme ? Importance de la vertu centrale de compassion. Néanmoins, une certaine recherche du néant n’implique t-elle pas une déresponsabilisation de l’individu, d’où une violence inversée par la non-intervention. De plus, la relation éthique/ intention autorise la réponse à la violence par une autre violence. Donc, violence non exclue même si non recherchée… Bien lire l’histoire ! Différents "véhicules"… Lecture fausse du Bouddhisme par Schopenhauer, influence d’une partie sur le nazisme (vogue de cette pensée pour lutter contre la "culture étrangère" !). De plus, l’idée de vacuité, amplifiée par exemple chez Ramakhrisna, n’est-elle pas violence contre soi-même ?
Islam ? Question des jihad (faire un parallèle avec la théorie augustinienne de la guerre juste et de la guerre intérieure)… Question de la justice prioritaire sur l’amour (parallèle à faire avec certaines formes du Judaïsme)… Evoquer l’opposition falsafa/Kalâm… problème de l’interprétation (et non pas de la traduction) du Coran, qui est pour le moins ambiguë… Question des hadiths abrogés, de l’ordre des sourates…
Judaïsme ? Toute la Bible n’est que violence en lecture littérale, du moins la plupart de ses livres car nuances… Dieu lui-même détruit ! Une violence peut-être symbolique cependant (Ruth, Judith, …) ? cependant aussi bien réelle (exemples du sacrifice d’Abraham, des guerres du Seigneur, du poids de la Loi, …)… Pourtant une violence régulée… Dieu à la fois Justice et Amour (cf. Isaïe)…
Christianisme ? Opposition entre le message du Christ et la réalité historique… Même culture que le Judaïsme pour son substrat… Existence de certaines phrases "scandaleuse" de Jésus !
Question du messianisme à évoquer…
Question du dépassement, mais aussi de la méthode de lecture des textes : littérale/symbolique… Le symbolique est souvent confondu avec la vérité littérale !
Le sacré n’induit-il pas le mépris de celui qui le pense autrement ?
Question du suicide ?
Influence et problèmes des littératures apocalyptiques.
Existe t-il une seule société, a t-il existé une seule société sans violence ? La violence n’est-elle pas un élément de nature ? Même si la jungle a ses règles, la loi de la jungle n’est-elle pas pire que les lois du sacré ?
Mais … N’y aurait-il pas plus de violence sans le frein du sacré ? Questions de la sanction dans l’au-delà, de l’humain lui-même, de l’éternel rapport liberté/absolu…
Avoir "inventé" le péché originel a t-il conduit au fatalisme de la violence ou à son contrôle par la volonté de chercher à dépasser cette marque infamante ?
Les intégrismes ne sont-ils pas le fruit a) d’une volonté de soumettre la société, b) d’assurer un pouvoir par l’alibi-ciment religieux omniprésent, c) de peur de l’autre, fondant les relations humaines non pas sur l’individu mais sur le global, donc sur la peur du non soi ou du non fondu dans ce même global ?
Une religion révélée ne se caractérise t-elle pas par les concessions qu’elle doit faire au politique et aux pouvoirs sociaux, même si ces concessions ne correspondant pas à son éthique ?
Le sacré n’a t-il pas été appelé à combler des vides structurels, en venant ainsi à devoir se dépasser lui-même ?
La violence du sacré est-elle juste ? Exemple : la question du tyrannicide…
Problème d’une hiérarchisation de la société non forcément née des textes sacrés, mais du refus de toute autre autorité que celle autoproclamée que l’on s’est attribuée ? Alibi de Dieu pour le sur-individualiste ?
Pour le Chrétien, la guerre, même juste, même "sacrée" reste un mal (exemple de Godefroy de Bouillon en 1099, Saint Augustin et le grand jeu des démons, …)… Il n’en est pas de même de toutes les religions… Néanmoins, 14/18 ne fut-elle pas "sacrée" (pourquoi Sainte Jeanne d’Arc ?) ?
Quelle relation réelle entre le religieux et le sacré ? question organisationnelle ? structurelle ? pas forcément liée à l’existence de la divinité…
Violence du sacré, violence sacrée, sacralisation de la violence, …
S’interroger sur les rites d’initiation. Sont-ils violence aux yeux de ceux qui les imposent ? aux yeux de ceux qui les vivent ? Donc, retour à la question de la définition et de la conscience de la violence. Ce qui est violent vu de ou par l’extérieur l’est-il pour le groupe (l’individu ?) vivant cette violence ? N’y a t-il cependant pas souvent vice chez celui qui a vécu mais continue à faire subir ?
Tout rite n’est-il pas violence d’une certaine façon ?
Question du rapport violence/souffrance. Tout ce qui créée de la souffrance est-il violence ?
La violence du sacré ne dépasse t-elle pas en fait le sacré et la violence ?