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21 décembre 2009 1 21 /12 /décembre /2009 11:20

Depuis l'émergence de la dissuasion nucléaire, la " sécurité écologique " a pu apparaître comme un élément de la sécurité globale. Une telle idée intégrant l'environnement à la sécurité globale avait d'ailleurs été développée dès le milieu des années quatre-vingt par les soviétiques, et ce comme parallèle et comme élément de la sécurité militaire, avec cependant une certaine nuance du fait du lien avec le grand projet " Pour un monde sans armes nucléaires " proposé par Mikhaïl Gorbatchev (Pour un monde sans armes nucléaires, Éditions de l’Agence de presse Novosti, Moscou, 1987).

Ce sentiment a été renforcé par la réactualisation -car il s'agit d'un problème ancien- de la question du contrôle des ressources énergétiques et naturelles, question amplifiée aujourd'hui du fait de la dégradation de certaines de ces ressources par l'action humaine, ainsi que par les conséquences psychologiques et politiques du Rapport Bruntland et de certains accidents, principalement ceux de Minamata, Mexico, Bhopal, Seveso et Tchernobyl. Le contexte de l'après-guerre froide n'a pas été lui non plus sans influence sur cette mutation, alors même que la chute du système soviétique a partiellement découlé d'une contestation environnementale (exemple de la Tchécoslovaquie, impact de Tchernobyl, …).

Contrairement à ce qu'affirme un discours encore trop fréquent, la protection de l'environnement, local ou planétaire, n'est pas (qu’)un luxe de pays riches. C'est aussi et avant tout une nécessité pour ⑴ sécuriser les ressources naturelles indispensables à l'humanité (eau, sols, biodiversité...) ; ⑵ permettre à celle-ci de s'adapter, avec des dommages réduits, aux évolutions biologiques et climatologiques en cours ; ⑶ renouveler et renforcer les pratiques démocratiques ; ⑷ éviter de dégrader le contexte géopolitique mondial.

Il s'agit d'autant moins d'un privilège de nantis que les populations des pays en voie de développement sont les premières à pâtir, dans leur santé et leur économie, de la dégradation de leurs écosystèmes et de l'accroissement des pollutions associées. Mais elles ne veulent pas pour autant que les pays riches utilisent les préoccupations environnementales, croissantes dans leurs opinions publiques, pour entériner un statu quo dans le partage des richesses créées soit par la nature, soit par les êtres humains. L'interdépendance dans laquelle se trouvent toutes les nations, rappelée par l'article premier de la Déclaration de Rio, s'exprime autant dans les registres environnemental et économique que social et culturel. C'est la fonction du développement durable que de pousser les États et les groupes d'États à coopérer, en gardant à l'esprit toutes ces dimensions.

Force est faite de constater que le facteur environnement n'est pas encore véritablement pris en compte par beaucoup de géopoliticiens francophones, a contrario par exemple de nombreux auteurs américains, britanniques ou germanophones. De même, le moins que l'on puisse écrire est que le Livre Blanc sur la Défense de 1994 ne laissa pas beaucoup de place à l'environnement, la détérioration de celui-ci ne figurant pas par exemple parmi les vulnérabilités nouvelles, ni même parmi les intérêts et valeurs nécessitant une intervention de la défense ou une intégration dans la définition d'une politique de défense. Pourtant, des organisations aussi importantes que l'OTAN ou l'UEO ont intégré partiellement cette dimension dans leur doctrine.

Par contre, prenant en compte la nouvelle donne internationale, l'ancien Secrétaire d'État américain, Warren Christopher, devait prononcer le 9 avril 1996 devant l'Université de Stanford, un très important discours sur la diplomatie américaine et les grands problèmes d'environnement au XXIème siècle; depuis cette date, il est possible d'affirmer que l'environnement est devenu une composante fondamentale de la stratégie américaine, tant en matière de politique étrangère qu'en matière de défense, alors même que cet État ne se distingue pas particulièrement par la qualité de son engagement en faveur de la défense du même environnement : les dossiers hormones, OMC, OGM, Rio, Traité sur les essais nucléaires en témoignent. Cette approche lancée par Warren Christopher n'est pas isolée si l'on se souvient du lancement en 1970 par Richard Nixon d'une année planétaire de l'écologie. Tout ceci se retrouve dans la définition de ce que l'on appelle la Révolution dans les Affaires Militaires - RMA - et se traduit par exemple par la création de centres tels que l'US Army Environmental Policy Institute. Les États-Unis – du moins pris dans leur globalité et non sous le seul et éphémère angle de Bush II – auraient donc en ce sens une approche internationale beaucoup plus subtile que celle souvent décrite de la politique de la canonnière, même si l'intégration de l'environnement à sa doctrine lui permet de jouer sous une autre forme son rôle auto-choisi de gendarme du monde et de référence mondiale.

De même, un État tel que l'Indonésie, en développant la notion de résilience, c'est-à-dire de capacité de l'ensemble collectif à résister aux chocs par une élasticité globale, a placé l'environnement au premier plan des données, des risques et des intérêts de sa défense, et ce avant même des questions telles que la crise timoraise ou que les différents avec la Chine; il est cependant vrai que cet État est, avec ses quelques trois milles îles, l'un des plus menacé par une élévation du niveau des mers du fait du réchauffement planétaire. D'autres États, tels par exemple l'Inde, le Venezuela, la Suède, la Suisse ou encore le Royaume-Uni ont pour leur part commencé à intégrer une dimension environnementale au sein de leurs forces armées.

Enfin, certains estiment que l'environnement est le facteur majeur de la géopolitique, le seul définissant sur le long terme la réalité. Cette vision est tout aussi fausse que le rejet de l'environnement comme facteur de la géopolitique, car s'il était la cause de la géopolitique, il ne serait pas la victime des conflits – ou alors sur une échelle non encore observée –, et les politiques internes et externes des États seraient stables voire figées, non fluctuantes. Il semble donc plus raisonnable de classer l'environnement parmi les facteurs importants, mais non strictement déterminants, de la géopolitique.

La question qui se pose est en fait de savoir si l'environnement est un facteur géopolitique et de conflictualité émergent ou s'il n'est qu'un élément déjà intégré par la géopolitique ou encore un simple prétexte à des stratégies plus vastes, dont certaines très classiques ou très anciennes ? Bref, l'environnement est-il, à l'aune de la géopolitique et de la conflictualité, né de la modernité ou n'est-il qu'un aspect élément parmi d'autres, aujourd'hui mis en exergue pour des raisons tant psychologiques qu'impératives ? Il apparaît en fait que l'environnement, comme l'intégralité de ce que l'on appelle les vulnérabilités nouvelles, serait une forme déjà connue par la géopolitique, ainsi que par la géostratégie ; ces vulnérabilités ne seraient pas émergentes, mais se transformeraient, s'entrecroiseraient : le terrorisme s'intéresse à l'environnement (risques de pollution de réseau d'eau, empoisonnements en Floride, …), l'environnement influe sur les modes migratoires (effets des famine, de l’érosion des sols, de la montée des eaux, etc…), les mafias italiennes tirent une partie non négligeable de leurs profits du trafic de déchets, des associations criminelles ou des États sont impliqués dans le trafic de substances nucléaires – à l’exemple de la Croatie qui serait une plaque tournante entre l'Europe de l'Est et le Proche-Orient -, etc....

Il ne faudra pas ignorer dans cette interrogation l'influence des cultures et des religions, l'Inde ayant par exemple eu moins de difficultés à attribuer un rôle environnemental à ses militaires que les États-Unis pour n'en rester qu'à ces seuls exemples; néanmoins, le quasi-culte porté par les américains à leurs parcs naturels tels Yellowstones ou la Yosemite Valley n'est pas à négliger, car ces oeuvres de la nature sont pour eux les “monuments” de leur histoire leur permettant de se mettre au même niveau d'ancienneté que les Nations européennes ou asiatiques, voire de les dépasser car ils sont toujours " vivants " alors que les Cités antiques sont aujourd'hui le plus souvent ruinées.... Les croyances et le fait religieux sont des éléments prépondérants pour comprendre l'approche géopolitique interne et externe de certains États, car la nature comme partie prenante de la religion et de la culture, permet une meilleure intégration de l'environnement aux visions politiques, y compris à celles de la Défense.

L'environnement peut être à la fois un facteur de paix ou un facteur de conflits, la dégradation de l'environnement pouvant mener à la guerre alors même que celle-ci a des conséquences souvent dramatiques pour le dit environnement; toutes les guerres sont ici concernées, qu'il s'agisse des guerres en tant que telles (ex- Yougoslavie, Koweït, …) ou des guerres civiles (Soudan, Grands Lacs, Amazonie, Afghanistan, …). Il est à la fois victime de ces conflits (effets des armes classiques ou NBC, certains aspects de l'écoterrorisme, utilisation de techniques telles que l'incendie des puits de pétrole koweïtiens, ...), enjeu de ces conflits (barrages en Turquie, en Chine, en Inde, au Bachkortostan, en Égypte, en Malaisie, en Thaïlande, au Brésil, au Guatemala, ...; autres formes de contrôle de l'eau, les conflits ethniques ou certains facteurs politiques internes n'étant d'ailleurs pas sans influence sur ces “crises” de l'eau, …) ou encore moyen de ces conflits : psychologie (siège de Syracuse); nucléaire et mythe du feu), économie (OMC, concurrence internationale, OGM, brevetabilité du vivant, ...), aménagements (architecture militaire, tactiques, ennoyage, ...), choix des sites de colonisation (colonies phéniciennes en Sicile, Lakish, etc...), surpeuplement (pression démographique, incendies de forêts en Indonésie, instrumentalisation des réfugié, utilisation de la faim comme outil politique comme au Soudan ou au Myanmar...), certains aspects de l'écoterrorisme, ... Et où classer l'attitude de certains groupements écologistes, à la limite de l'écoterrorisme, comme les eco-warriors anglais, développant une forme très nouvelle de contestation ? Et où situer les fameux projets américains Popeye et HAARP, visant à une manipulation de la météorologie de l'atmosphère ?

L'environnement peut aussi être la cause même des conflits – par delà même la question des ressources naturelles –, sa dégradation pouvant être, notamment dans des États fragiles ou fragilisés une cause majeure de crise ou de déstabilisation, et ce de manière réelle ou potentielle (exemples du Myanmar, de l'Inde, de la Chine,…) ; on peut aussi penser à la résistance de certaines populations indigènes, comme en Amazonie. Les États développés ne sont d'ailleurs pas eux-mêmes épargnés en la matière, même si la forme est peut-être plus soft ; on peut ainsi penser à la réalité du message politique des Verts européens, message parfois moins environnemental que politique, ou encore à la crise de l'eau en Catalogne.... L'environnement est enfin devenu un argument essentiel de l'affrontement Nord/Sud, donc là encore une source de tension, les pays riches se voyant réclamer une modification de leurs attitudes sans véritable réciprocité, et ce sans même vérifier si certains pays du Sud, qui se disent pauvres, ne possèdent pas eux-mêmes les moyens endogènes, y compris financiers, de leur développement.

Pour en revenir à la question de l'eau, il faut se souvenir que sans eau en suffisance, les fonctionnements économiques et sociaux de n'importe quelle région du monde sont menacés au mieux de déstabilisation, au pire de disparition. Bien qu'en moyenne la consommation des êtres humains soit très inférieure au taux de renouvellement de l'eau douce disponible, la très forte hétérogénéité dans la répartition des ressources a déjà créé et est encore susceptible de créer des situations de crise. Des conflits armés déclarés ou larvés existent déjà : les cas les plus connus sont ceux du Jourdain, du Tigre et de l'Euphrate. Plus près de nous, en Europe centrale, l'ouvrage de Gabcikovo sur le Danube a provoqué des tensions entre Hongrie et Slovaquie. D'autres situations, pour être moins explosives aujourd'hui, n'en sont pas moins inquiétantes, comme la surexploitation de la nappe africaine fossile notamment par la Libye, voire, à un moindre degré, les difficultés actuelles à instaurer une gestion raisonnable et durable des ressources en eau dans certaines zones nord-méditerranéennes (exemple de l’Espagne), ou à maîtriser la salinisation des nappes. Les activités agricoles sont les premières consommatrices d'eau (plus de 60 % en moyenne mondiale), ce qui explique le caractère général de la préoccupation, quel que soit le niveau de développement économique des États. Associée à la dégradation des sols et/ou des écosystèmes, la raréfaction ou la pollution de l'eau douce est un danger majeur pour l'avenir car étant tout à la fois une source de déstabilisation des États, l'origine de migrations entraînant des flux de réfugiés et un facteur d'escalade militaire.

Tous les continents sont concernés par ces crises, exception faite de l'Océanie - du moins en interétatique pour ce continent -, mais ceci tient à l'insularité même des États de cette zone. Ceci est lié au fait que plus de 40 % de la population mondiale dépend pour son eau potable, ses besoins en irrigation et son potentiel hydro-électrique de bassins fluviaux utilisés par plusieurs États à la fois, ou encore de fleuves ou rivières dont les sources sont situées sur le territoire d'un autre État. ceci est de plus amplifié par la question des nappes phréatiques, question pouvant à terme conduire aux mêmes types de conflits que ceux que l'on a connu pour le contrôle des nappes de pétrole. La seule solution en la matière réside donc dans la diplomatie préventive.

On peut retenir, même si les intensités sont très variables, les crises suivantes, toutes liées au contrôle du débit et de l'utilisation des ressources de cours d'eau naturels :

⑴ Amériques : ⒜ Bolivie/Chili (Lauca) ; ⒝ Brésil/Paraguay/Argentine (Parano) ; ⒞ États-Unis/Mexique (Colorado et Rio Grande).

⑵ Afrique : ⒜ Éthiopie/Soudan/Égypte (Nil. Le Nil traverse 9 États. Or, l'Égypte est le pays le plus tributaire de ce fleuve qui constitue le point central de sa politique étrangère et de ses orientations économiques, ce qui fait qu'hydrologie et politique sont étroitement liés pour les dirigeants du Caire, et ce depuis toujours. On en voudra pour exemple la querelle grave entre l'Égypte, le Soudan et l'Éthiopie à propos du projet égyptien de percement d'un canal à l'ouest du Nil en 1963, ou encore le percement d'un canal par Sesostris III pour contourner les premières cataractes, et ce à des fins offensives. Par ailleurs, le débit du Nil est utilisé comme moyen de pression sur l'Égypte par les pays situés en amont, qui doivent de plus assurer leurs approvisionnements en eau, tout en tenant compte des États situés en aval) ; ⒝ Algérie/Tunisie ( Medjerda) ; ⒞ Libye/Égypte (bassin aquifère de Kufrah).

⑶ Proche-Orient : ⒜ Syrie/Israël/Jordanie (Yarmouk, Jourdain, Litani, Zahrani, nappes phréatiques de Gaza et de Cisjordanie. Il s’agit peut-être là de la clé du processus de paix, ces trois États consommant plus d'eau que leurs ressources propres renouvelables...) ; ⒝ Turquie/Syrie/Irak (Euphrate; Tigre. Pour développer l'est de son territoire, la Turquie a construit plusieurs barrages sur l'Euphrate, ce qui réduit les débits en aval. Or la Syrie dépend de l'Euphrate pour plus de 6O% de ses besoins en hydroélectricité. Néanmoins, Ankara non seulement ne respecte pas l'accord de débit minimal signé entre les deux pays, mais les Turcs viennent de mettre en route le GAP - Projet d'Anatolie du Sud - qui vise à réaménager le cours supérieur de l'Euphrate, ce qui pourrait encore modifier la quantité et la qualité de l'eau de l'Euphrate disponible en Syrie. Un problème identique se pose avec l'Irak, problème compliqué par la question kurde).

⑷ Asie : ⒜ Chine/Bangladesh (Brahmapoutre) ; ⒝ Chine/Myanmar (Nujiang) ; ⒞ Chine/Laos/Kampuchéa/Vietnam (Mékong) ; ⒟ Inde/Bangladesh (Gange) ; ⒠ Kazakhstan/Ouzbékistan (Mer d'Aral. Un projet vise à reconstituer le réservoir naturel que représente la mer d'Aral, fortement mise à mal par les politiques agricoles des dernières années, en déviant les eaux de l'Amou-Daria le long de la rive ouest du delta du fleuve vers la côte ouest de la mer) ; ⒡ Kirghizistan/Ouzbékistan (Naryn et Toktogul) ; ⒢ Tadjikistan/Ouzbékistan (Kayrakum et Zeravshan) ; ⒣ Kirghizistan/Ouzbékistan/Tadjikistan (Fergana).

⑸ Europe : ⒜ République tchèque/Allemagne (Elbe) ; ⒝ Hongrie/Croatie/Serbie/Roumanie (Danube) ; ⒞ Hongrie/Roumanie (Mures) ; ⒟ Hongrie/Serbie (Tisza).

Hors le cas des fleuves, on peut citer aussi le cas particulier de la déforestation au Bhoutan, en Chine, en Inde et au Népal qui a accru la fréquence et l'étendue des inondations dévastatrices au Bangladesh.

Des crises internes aux États sont aussi possibles comme en témoignent les exemples suivants : ⑴  Australie ( Tasmanie) ; ⑵ Chine (Yang Tsé. Le gouvernement chinois a construit l'un des plus grands barrages hydroélectriques jamais conçus. Même dans le cas où le barrage serait réalisé sans accident, les conséquences écologiques et humaines seront désastreuses : près de 56.500 hectares de vallées perdus, plusieurs espèces animales éliminées, 1,4 millions de personnes déplacées, alors que plusieurs villes seront détruites. À noter que le Yang-Tsé s'est d'ailleurs très souvent trouvé au coeur de la géopolitique chinoise puisque dès le Vème siècle avant notre ère, des canaux le reliant à la rivière Huai étaient construits dans un but offensif, alors que les occidentaux s'en sont servi pour faire pression sur la Chine au XIXème siècle, par le biais d'une politique dite de la canonnière) ; ⑶ Espagne (nappes phréatiques, notamment catalanes : 30 % des nappes phréatiques seraient définitivement salinisées du fait d'une mauvaise gestion des prélèvements...) ; ⑷ Inde (Gange, Naumada, Chittar, Ponnaiyar, Amaravati, … Du fait de la fragmentation du pouvoir en Inde, nombreuses sont les ressources en eau qui sont surexploitées par un État au détriment des États en aval. L'exemple le plus marquant reste celui de l'Amaravati, puisque, faute d'un accord sur son statut, le Karnataka, État en amont, n'a cessé d'augmenter ses systèmes d'irrigation et de multiplier les barrages, ce qui a eu pour conséquence une privation du delta du Cauvery de son approvisionnement normal en eau, alors même que ce delta est le premier producteur de riz pour le Tamil Nadu) ; ⑸ Israël (nappes phréatiques) ; ⑹ Russie (fleuves sibériens).

Le vrai champ de la nouvelle géopolitique est peut-être là…

Maintenant, pour en revenir aux conflits classiques, du Vietnam au Kosovo, les guerres n'ont cessé de démontrer que les remarquables progrès de la technologie mlitaire ne peuvent masquer deux conséquences de la guerre : l'enfer pour les populations civiles et des dommages majeures pour l'environnement. Les dommages à l'environnement en temps de guerre peuvent en fait survenir au terme de deux processus distincts :

⒜ les situations où les dommages environnementaux sont considérés comme des dommages collatéraux résultant d l'engagement d'armements conventionnels. Bien que l'impact de ces armements sur l'environnement soit le plus souvent prévisible et évitable, il ne constitue pas ici un objectif en lui-même. Les pollutions consécutives aux bombardements des complexes pétrochimiques en Serbie ou les contaminations provenant de l'utilisation en Irak ou au Kosovo d'armes non létales telles que les munitions au graphite ou à uranium appauvri sont deux exemples de ce type de dommages environnementaux occasionnés par les conflits ;

⒝ les situations où les dommages environnementaux sont le résultat d'un acte délibéré du commandement militaire. dans ce cas, des moyens sont mis en oeuvre pour modifier volontairement l'environnement, perturber un écosystème ou affecter un élément de la biosphère à des fins hostiles. Dans ce cadre, l'environnement devient une arme, les effets étant intentionnels ; c'est le concept d'Environmental Warfare. Certaines opérations menées par les militaires américains au Vietnam, telles que l'usage massif de défoliants ou les ensemencements de nuage avec de l'iodure d'argent, ou encore l'incendie volontaire des puits de pétrole par l'armée irakienne en 1991, sont quelques illustrations de cette forme de guerre environnementale.

Cependant, il ne faut pas oublier que la politique de la terre brûlée n'est pas une nouveauté historique, tant par l'assaillant que par le défenseur.

L'environnement se situe donc comme enjeu de la géopolitique actuelle, même si il reste ambivalent, étant par exemple à la fois un aspect de la mondialisation (concurrence Commerce international, changement climatique, etc…) et une réaction à cette même mondialisation (résistance des États, de lobbies, moyen de pression, ONG " représentatives " des populations, …), la notion d'ingérence écologique étant ici une notion pivot à étudier. Tout ceci s'inscrit aussi dans un jeu qui combine des ambitions planétaires (relations Europe/Etats-Unis, question des détroits, etc…), l'émergence d'acteurs non étatiques – comme Greenpeace, Médecins Sans Frontières, Amnesty International, Action contre la Faim, … -, ainsi qu'une polarisation hors du jeu classique des États.

Une étude des réponses apportées par le droit international, y compris dans le cadre d'accords militaires, est incontournable, la question étant de savoir si les solutions elles-mêmes ne sont pas ambivalentes, renvoyant ainsi au jeu classique, alors même que la croyance irrationnelle en l'omnipotence et dans le respect du droit international est une utopie, tout comme celle en un ordre international environnemental, pourtant développée par certains théoriciens du développement soutenable.... Néanmoins, face à la globalisation et à la mondialisation, l'environnement permet aussi de reterritorialiser la géopolitique, car si les risques et les pollutions sont globaux, ils sont aussi et avant tout perceptibles à des échelles régionales, locales, voire même micro-locales. La globalité n'est donc pas la seule solution en matière d'environnement, le territoire y jouant un rôle fondamental que l'on tendait à oublier ces dernières années. C'est d'ailleurs peut-être là le risque du droit international de l'environnement qui, par trop globalisant, tend parfois à oublier l'homme et le territoire. En fait, le global efface l'international et le national, tout comme l'environnement efface la nature et la mondialisation efface le territoire; il y a là une crise sémantique et remise en cause des concepts géopolitiques et géostratégiques traditionnels. Toujours est-il que l'environnement remet en cause les frontières, réintroduisant le concept médiéval de franges et développant l'émergence de zones grises.... D'ailleurs, l'émergence de caractères médiévaux ou baroques dans nos sociétés est un point à analyser : médiéval avec la dialectique du fini et de l'infini, de l'interne et de l'externe, l'évolution des modes de communication ; baroque avec la dialectique de l'homogène et de l'hétérogène, ainsi qu'une relation au temps à fois prospective et historique. L'analyse de ces caractères permettrait de mieux comprendre la place de l'environnement comme base économique et comme ressource de nos modèles sociaux occidentaux.

Dans les faits, la perception de la notion d'environnement et sa mise en oeuvre au travers de politiques concrètes est très variable selon les États ou les régions du monde. Plus encore que beaucoup d'autres politiques, les politiques environnementales, qui démontrent pourtant des hétérogénéités importantes entre les États – et du fait même de ces hétérogénéités – présentent des caractères très proches de la géopolitique et de la géostratégie, puisque : ces politiques sont commandées par le contexte géographique ; elles sont infléchies par l'état d'information ou de perception de l'information par les populations ; elles dépendent du contexte culturel; elles dépendent du contexte industriel. Par exemple, que penser de l'action du MITI japonais sur le plan extérieur en matière environnementale et de son programme Earth 21 ?

En fait, il semblerait que même si la question de l'environnement devient un impératif du vivant et du présent, celle-ci n'échappe pas aux schémas classiques de la géopolitique, l'histoire permettant de la démontrer, et au jeu des relations entre grandes puissances, même si l'intervention de puissances non- ou supra-étatiques est un facteur assez nouveau, et encore pour certains aspects seulement, ... Néanmoins, l'erreur serait est peut être de concevoir que l'environnement n'est aujourd'hui qu'un facteur de la géopolitique, alors qu'il tend surtout à en devenir l'instrument. Il y a en fait permanence d'une confrontation entre les concepts de frontières et de franges, d'État et de zone, de global et de local.... L'actuelle crise environnementale serait dès lors plus une crise de croissance qu'une crise globale, même si sa non solution dans des délais raisonnables peut conduire à un risque pour les sociétés humaines telles qu'elles sont aujourd'hui conçues, héritières d'un long cheminement historique....

On peut retrouver des traces de cette instrumentalisation non seulement dans des déclarations telles que celle de Warren Christopher mais aussi au travers de diverses attitudes : la séparation à Rio, en juin 1992, entre le Sommet et le Forum n'était-elle justifiée que par des raisons pratiques ? les erreurs de traduction en français (costs traduit par moyens, or traduit par et, etc…) de la Convention de Rio, pourtant fondamentale, sont-elles seulement fortuites ? le financement direct par certains gouvernements de certaines ONG est-il innocent ? on peut en douter, d'autant plus que l'attitude de certaines ONG, notamment au Kosovo, au Ruanda, au Soudan ou encore au Myanmar renforce cette impression d'instrumentalisation.

Il faut aussi se poser la question de savoir si l'environnement n'est pas aujourd'hui devenu pour les grandes puissances, outre un impératif de survie, un instrument au service de la sécurité, permettant de légitimer des actions impossibles par ailleurs – ingérence, lutte contre certains trafics de drogue, etc... –, par un renversement des arguments actuellement développés par les opinions contre ces actions sécuritaires ; un parallèle avec la notion d'ingérence/urgence humanitaire est ici possible. Cette instrumentalisation permettrait de plus de maintenir à niveau certaines forces armées en leur reconnaissant un rôle positif dans la protection et la restauration de l'environnement (idée d’une bioforce ), mais modifiant leur rôle en en faisant des acteurs non plus de confrontation, mais de coopération; néanmoins, est-ce vraiment nouveau, les Légionnaires français étant par exemple aussi connus pour leurs qualités de combattants que pour celles de ...constructeurs de routes ou d'écoles ? L'impact des forces armées sur l'environnement ne devrait donc plus se décliner forcément au négatif, surtout si l'environnement devient une dimension officielle de la Défense. On peut en parallèle se poser la question de savoir si l'environnement – tout comme d'ailleurs la faim (exemples du Soudan, du Sierra Leone, de la Corée du Nord, …), le SIDA ou les réfugiés (exemples du Kosovo, des Grands Lacs, de la Tchétchénie, ...) – ne serait pas aussi un instrument au service des pays en retard de développement – ou des États instrumentalisés par des associations de type mafieux – pour faire pression sur les grandes puissances, comme cela a déjà été le cas pour certains réfugiés ?

Il y a en fait choc d'intérêts et choc de réalités lorsque l'on parle d'environnement, les deux étant exacerbés et exagérés, ce qui renforce l'aspect instrumental de l'environnement, instrument politique, écologique et idéologique, mais aussi économique. Se pose donc la question de l'éthique, et ce chez tous les acteurs de l'environnement : organisations, États, industriels, citoyens, .... Tout se développe en fait comme si, par besoin de conflictualité, il y avait tendance à substitution de la problématique de l'environnement – et de certaines autres vulnérabilités – à l'ordre de la guerre froide, même si substitution ne signifie pas irréalité des problèmes, bien au contraire, même si l'outrance n'est jamais absente pour faire passer un message auprès d'une opinion publique; d'ailleurs, la logique des blocs ne se retrouve t-elle pas dans les perceptions globales de l'environnement, comme s'il y avait eu simplement transfert d'une problématique et d'un schéma ?

La précaution est l'inévitable critère de confiance dans un monde globalisé : ⒜ la mondialisation éloigne encore plus les décisions sources éventuelles de risques. Ainsi, les décisions industrielles de Monsanto ou des États-Unis influencent-elles directement les écosystèmes chinois et européens ; ⒝ les échanges et accords entre entreprises, mais aussi les institutions internationales – Union européenne, OMC – quels que soient leurs indéniables apports en complexifient les rouages ; ⒞ la puissance des techniques – information, produits chimiques, génétique – intensifie leurs impacts tant écologiques que socio-économiques, voire politiques et culturels ; ⒟ la complexité des interactions dans tous les domaines s'en accroît d'autant....

Or, chacun sait que toutes les techniques sont comme la langue d'Ésope, la meilleure ou la pire des choses : leurs applications en sont ni bonnes ni mauvaises a priori, et le seul critère déterminant, mis à part les contrôles techniques de bon fonctionnement et de maîtrise des effets induits, serait celui de l'objectif pour lequel elles sont utilisées... sauf à faire croître de façon exponentielle les vérifications pourtant indispensables. Or, dans un contexte mondial, la concertation en amont avec les auteurs des projets et des décisions est souvent impraticable ou en tout cas non pratiquée. C'est sans doute l'une des explications du succès qu'a connu le principe de précaution, d'abord au plan international, dans les années 70.

On retrouve au plan local cette demande d'une assurance sur les intentions des décideurs publics ou privés. Par exemple, pour les aliments, l'Union Française des Consommateurs explique que le lien établi par de nombreux consommateurs entre respect de l'environnement par les pratiques agricoles et qualité des produits repose moins sur une analyse technique que sur une intuition psychologique : S'ils font attention à l'environnement, c'est qu'ils ne prennent pas seulement en compte leur intérêt personnel; donc ils feront sans doute aussi attention au client...

Le principe de précaution consiste non à " ne plus rien faire " comme certains l'affirment encore, mais à choisir pour la collectivité certains risques et à en exclure d'autres dans la meilleure connaissance du sujet possible - ce qui suppose compétences, pluridisciplinarité et partage des pouvoirs -, dans une balance avec les bienfaits attendus pour la dite collectivité ; ainsi, le rejet par l'opinion publique des premiers OGM végétaux ouvertement proposés en Europe vient en grande partie de ce que cette balance avantages-risques leur paraissait sans grand intérêt pour eux-mêmes. Or, le choix de risques communs pour en obtenir des bénéfices communs est un exercice de démocratie par excellence. Il demande des outils adéquats, à toutes les échelles : gestion d'un territoire local, options nationales – on pensera ici au débat Énergie de 1994 ou encore à la conférence des Citoyens de 1998 sur les OGM –, orientations communautaires – l'affaire de l'ESB a montré que ces processus étaient perfectibles – et internationales – l'ampleur du risque climat de fait accepté par les objectifs fixés à Kyoto, mais surtout à Rio est-elle claire pour tous les États ? –.

L'environnement comme instrument d'un nouvel ordre mondial ? Est-ce un bien ou un mal ? Toujours est-il que si l'on y prend garde, la sur-instrumentalisation de l'environnement peut devenir une menace pour la démocratie par l'imposition d'une idéologie contraire à l'homme.... Pourtant, il serait tout autant criminel de ne rien faire car, là encore, il y aurait remise en cause de l'homme... Toujours cette ambivalence de l'environnement....

Des conclusions opératoires et institutionnelles que tireront les gouvernements de cet état de fait dépendront en grande partie certes la qualité de l'environnement de toutes les régions du globe, mais aussi une certaine idée de la justice et de la démocratie. Comme disait Ésope....

 

 

 

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