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21 décembre 2009 1 21 /12 /décembre /2009 11:23

Avec Phaléas de Chalcédoine et Eubule d’Atarnée, Hippodame de Milet est qualifié par certains auteurs politiques de communiste – tout comme l’est aussi dans certains cas Platon –, et ce parce qu’ils ont voulu régler la question de l’égalité par la résolution de la question de la propriété foncière. Né vers ~475, cet architecte contemporain de Périclès aura été influencé par Ion de Chios et par Pythagore – qui posait le nombre comme principe de toute chose –. Il est surtout connu pour avoir été l’un des plus célèbres architectes de son temps, ainsi qu’en tant que créateur de la science urbaniste. Parmi ses travaux, on peut citer la construction du bourg et du port du Pirée vers ~450, de la cité de Thurium vers ~444 et de celle de Rhodes vers ~406.

Il nous est principalement connu, pour ce qui est de sa doctrine politique, par Aristote (in : Politique, B, 1268a16-1269a27), seuls certains fragments des deux ouvrages qu’il est réputé avoir écrits nous étant parvenus ; il s’agirait, selon Aristote d’un traité de morale, Sur le Bonheur, et d’un ouvrage politique, De la République, seuls des extraits de ce dernier nous étant rapportés par Stobée (in : Florilège, 43, 92, tome IV de l’édition Meineke [voir également : H. Diels, Vorsok., tome I, ch. 27, p. 227 sq.]). Il est également évoqué par Xénophon (in : Helléniques, II, 4, 11) et par Strabon (in : Géographie, XIV).

Hippodame de Milet, aura été très marqué par sa formation d’architecte – il aurait construit le port du Pirée -, divisant et organisant tout en fonction du nombre trois, avec hiérarchisation interne à chacune de ses trilogies. Il y aurait donc trois classes, trois types de lois, trois types de propriété, et ainsi de suite… Une telle approche s’est retrouvée à l’époque contemporaine, en particulier chez Le Corbusier, mais aussi avec la synarchie… La cité est formée de trois types d’habitants. Les citoyens sont répartis en trois ordres hiérarchisés, chacun de ces ordres étant lui même divisé en trois sections. Par ailleurs, dans le gouvernement de la cité, on retrouve trois éléments de gestion, qui se maintiennent sous l’emprise de trois influences. C’est pourquoi on parle de la cité géométrique d’Hippodame…

Dans la même logique, les hommes sont soumis à trois grandes influences : celle des doctrines et des croyances, celle des goûts et des mœurs, et enfin celle des lois. Les lois sont elles-mêmes réparties en trois catégories : les lois contre l’ambition, les lois contre les dommages causés, et les lois contre le meurtre. Et, de même, les actions judiciaires ne peuvent connaître que de trois types de causes : l’injure, le dommage et le meurtre.

Néanmoins, il apporte une grande nouveauté dans le domaine de la justice, ce qui l’exposera d’ailleurs aux critiques d’Aristote, postulant que les juges – élus par les trois classes du peuple – peuvent diviser leur sentence au lieu de la rendre de manière absolue, et prévoyant un tribunal suprême d’appel composé de gérontes. Il propose donc deux véritables révolutions dans la pratique judiciaire grecque : la variabilité des peines et l’appel ! Dans tous les cas, il rejette la pratique de son temps de l’intimidation, de l’exemplarité et de l’élimination physique… Sa vision de la pratique pénale est finalement très contemporaine !

En fait, rares auront été les auteurs antiques à réfléchir sur la notion de peine et sur l’application de cette dernière, seuls Socrate et Platon se distinguant véritablement en la matière, et encore, sans autant réfléchir sur ce point qu’Hippodame de Milet qui mériterait dès lors, pour cet unique motif, un bien meilleur traitement en histoire du droit. Mais il est vrai que cet auteur ne nous est connu que de manière fragmentaire, ou alors au travers de la seule réflexion d’un auteur le critiquant… On rappellera par exemple que Socrate mettait en garde les juges contre la colère envers les criminels, demandant plus des mesures éducatives que de réelles peines, Platon le rejoignant sur ce dernier point (cf. : - Corre, « Platon criminaliste », in : Arch. Anthrop. Crim., 1908, pp. 18-54 ; - Georgeopoulos, « La peine selon Platon », Arch. phil. et Th. sc., 1929-I, pp. 421-439).

Dans ce cadre, la société a trois objets : en premier lieu la réalisation de l’honnête, en deuxième lieu la réalisation du juste et en troisième et dernier lieu la réalisation de l’utile.

Revenons-en à la répartition des citoyens en classes. Les trois classes sont ainsi, par ordre hiérarchique :

⑴ les hommes d’élite, chargés de l’administration des intérêts communs, qui forment l’ordre délibérant. Ils se répartissent de même entre un comité préparatoire, un sénat et une autorité exécutive ;

⑵ les hommes robustes, chargés de la défense de la patrie, qui forment l’ordre militaire. Ils sont répartis entre les officiers, les guerriers d’élite aptes à combattre au loin, puis la masse des hommes valides ;

⑶ les hommes laborieux, chargés de produire les biens nécessaires à la cité, qui forment l’ordre industrieux. On trouve ainsi successivement les agriculteurs, les artisans et les commerçants. Les agriculteurs sont eux-mêmes répartis en trois catégories : ceux en charge des terres sacrées, ceux en charge des terres publiques et ceux en charge des terres privées, alors que les commerçants se répartissent entre exportateurs, importateurs et simples négociants…

La particularité du système d’Hippodame reste cependant que la circulation est possible entre les divers classes et à l’intérieur de chaque classe. Sa société est donc certes très hiérarchisée mais aussi ouverte…

Dans la même logique, Hippodame identifie ainsi : ⒜ trois âges : les vieillards, les hommes valides et les enfants ; ⒝ trois catégories de personnes : les habitants de la cité, les métèques et les esclaves ; ⒞ trois types d’habitants de la cité : les citoyens mâles, les femmes et les enfants ; ⒟ trois types de mode de gouvernement : l’aristocratie, la monarchie et la démocratie. On pourrait décliner sans fin !

L’importance d’Hippodame ne doit pas être négligée, car sa vision politique cherche à réaliser un compromis entre les institutions démocratiques et les institutions aristocratiques. Il accorde ainsi au peuple des artisans et des laboureurs des droits civiques qui leur sont souvent refusés – et notamment par Platon –, tout en créant une classe indépendante de guerriers vivants en commun sur un territoire réservé, maintenant ainsi les droits de l’aristocratie. De même, d’un point de vue législatif, il propose de ne sauvegarder que la liberté individuelle, la cité ne devant pas avoir d’autres lois que celles réprimant les atteintes à ladite liberté. Enfin, il s’oppose à nouveau à Platon en laissant aux citoyens eux seuls le soin d’élever leurs enfants, ainsi qu’à Aristote en n’obligeant pas les enfants à suivre un quelconque système officiel d’éducation ; il tranche donc avec les deux plus célèbres philosophes grecs quant à l’organisation morale de la cité. On peut donc voir en lui, bien plus qu’un communiste, un précurseur d’un anarchisme libertaire fondé sur le seul respect de la liberté d’autrui.

 

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