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27 mai 2010 4 27 /05 /mai /2010 10:11

Leibniz écrivait que la justice, dans le fond, n’est « qu’une charité conforme à la sagesse »… Or, c’est un bien difficile problème, que de vouloir définir la justice ! D’autant plus que la formule de Leibniz est un peu trop réductrice… Personne n’y a réussi depuis que Platon s’y est essayé… Et même avant ! … et ce n’est pas nous qui allons trouver la solution ! D’ailleurs, si l’on consulte le Dictionnaire de l’Académie française en sa dernière édition, on s’aperçoit qu’il existe cinq définitions de la justice. Si l’on combine ces dernières avec celles de divers éminents dictionnaires de philosophie, il est possible de constater que la justice répond à au moins une dizaine de définitions.

La justice institution n’est donc pas toute la justice, et c’est pourquoi elle ne devra pas toujours être au centre de nos discussions… Et ce d’autant plus que la commission Truche, la commission dite d’Outreau, ou encore les commissions Léger et Darrois se sont attachées ou s’attachent à l’analyser, sans même parler des réflexions d’organes tels que la Conférence des Bâtonniers. Il ne sera donc pas utile de consacrer notre réflexion à cette seule justice, la justice institution n’étant qu’un élément parmi d’autres de la justice en elle-même.

La justice est tout à la fois une institution, un concept et un sentiment. Elle est une institution en tant qu’elle s’inscrit dans une société. Elle est une institution sociale matérialisée par des Codes, des lois, des tribunaux, un Ministère de la justice, ainsi que par le fonctionnement de ces institutions, les procès, les décisions de justice, leur application, des amendes, l’exécution des peines, etc… La justice est aussi une idée que tant la science que la philosophie se sont efforcées et s’efforcent de définir conceptuellement, étant ainsi l’objet de déterminations et de discussions abstraites, parfois même indépendamment de toute prise en compte des institutions organisant la société. Mais elle est aussi sentiment en ce sens que chacun porte en lui-même un sentiment de justice qui lui est propre, dont il est souvent l’auto-définisseur, chacun étant capable de révolte et d’indignation lorsqu’il estime que son bon droit ou celui d’autres, qu’il ne connaît parfois pas, semble mis en cause.

Mais n’est-ce pas le concept de justice sentiment qui rend si difficile la définition et l’approche de la justice institution ? Et ce en ce sens que l’individu se libère de ce que l’on appelle le droit normatif pour ne laisser émerger que le sentiment, ce qui peut être finalement très dangereux à la fois pour la justice en elle-même que pour la société dans son ensemble. Et puis, si on affirme que la justice relève du seul sentiment, on subordonne la justice à l'ordre de la sensibilité. Or le sentiment est souvent relatif et subjectif, il n'est pas la garantie de l'objectivité et de l'universalité.

Que l'on définisse la justice comme la capacité à donner à chacun selon son dû ou comme la possibilité de réparer un tort, on n’est pas dans l’ordre du sentiment. Et pourtant, le sentiment ne peut être ignoré. La justice est donc à la fois les deux propositions que nous venons de donner, pas soit l’une, soit l’autre ! Par ailleurs, si la justice n’est, n’était que sentiment, elle ne peut être que romantisme car dès lors fondée sur le seul moi. Et c’est là un grand danger ! La justice ne doit en aucun cas être un romantisme, par delà déjà le fait que le romantisme finit toujours mal, de par sa désespérance, au risque d’être injuste, car la bonne justice ne peut que bien finir, ou du moins être perçue comme juste ! On ne peut donc jamais exclure l’idée de sentiment de l’idée de justice, tant les deux sont liées !

Faudrait-il donc revenir sur le romantisme ? Oui et non à la fois ! Non, car le romantisme a donné des œuvres magnifiques. Il a ouvert au rêve de la liberté, à l’individu, mais aussi à l’individu vivant en harmonie dans la société. Mais aussi oui, en ce sens que le romantisme aura finalement favorisé l’émergence du Moi égoïste, du pessimisme, de la subjectivité et de la Nation sacrée ! Et qui mieux que Chateaubriand pour symboliser cette crise de l’homme ? « Je me suis rencontré entre deux siècles », ou encore, dans ses « Mémoires d’outre-tombe » : « Il n’y a pas d’être à la fois plus chimérique et de plus positif que moi, de plus ardent et de plus glacé. »

Notre monde est tiraillé entre ses rêves et ses réalités, entre son ardeur et son égoïsme. C’est Edmond Rostand ! Tous les personnages qu’il nous propose sont déçus ! Ils avaient tous, Cyrano, Chantecler, Joffroy Rudel , Don Juan, etc… un grand rêve. Mais aucun n’a pu le réaliser… Aucun n’a pu se réaliser… Tout est là ! Pour Rostand, la vie ne peut se magnifier que par le rêve, … mais le rêve n’est qu’une illusion temporaire conduisant à la chute. Or la justice ne doit pas être un rêve. Elle ne doit jamais conduire à l’illusion ou à la chute ! Et ce même si elle et surtout elle est aussi sentiment. Il ne faut jamais oublier que la « matière » de la justice, c’est l’homme, l’homme concret, l’homme réel, l’homme qui vit et qui souffre !

De plus, avec le romantisme, même l’art est devenu national au dix-neuvième siècle, fait radicalement nouveau, même la Renaissance ayant laissé libre champ à la diffusion artistique, ce dont il faut lui être gré. L'œuvre et la vie de Verdi sont là pour en témoigner. Ainsi, Verdi deviendra célèbre grâce au caractère patriotique de Nabucco, les spectateurs lisant en filigrane de l'histoire des Hébreux opprimés par les Assyriens celle de l'Italie occupée par l'Autriche, le célèbre « Va pensiero » des Hébreux ayant été voulu comme un hymne à la liberté de l'Italie : « ...O ma patrie si belle que j'ai perdue ! O souvenir si cher et si fatal ! » ... D'ailleurs Verdi devait faire suivre cet opéra par un autre à caractère encore plus patriotique, « I Lombardi. » Et que penser de son opéra « La Bataille de Legnano » qui raconte l'histoire de l'empereur Frédéric Barberousse battu par une ligue lombarde au sein de laquelle sont unies les principales villes italiennes, la répétition générale de l'œuvre à Rome le 27 janvier 1849 étant saluée aux cris de « Vive Verdi ! Vive l'Italie ! », en réponse au serment des soldats de la Ligue « Vive l'Italie ! Un pacte sacré unit tous vos fils ». Verdi n'expédia t-il pas à Mazzini un hymne, « Suona la tromba », avec ces mots : « Pour chanter avec accompagnement de canon dans les plaines de Lombardie » ? Inadmissible, du moins cette dernière citation !

Pour en revenir au sujet, il est donc assez difficile de relier entre eux les trois aspects retenus ici de la justice. De même, il est difficile de ne pas les relier ! Ainsi, le sentiment du juste, et par conséquent celui de l’injuste, ne trouve jamais son compte dans un procès, une partie se sentant la plupart du temps toujours lésée, puisque perdante. De même, ce sentiment est souvent exclu des approches institutionnelles et philosophiques de la justice, et ce même si la philosophie est aussi abstraite que le sentiment. En fait, il est toujours délicat de relier entre elles ces diverses approches de la justice, la première étant collective, la seconde indépendante de la société, la troisième purement individuelle, même si elle peut recouvrir des formes collectives. Mais cette difficulté n’est pas spécifique à la justice, puisque l’on retrouve la même perception dans un domaine a priori aussi éloigné de l’idée de justice que l’économie telle que conçue depuis des millénaires. Aristote déjà distinguait bien l’économique du politique du juridique… Le débat n’est donc pas nouveau…

Pourtant le Président Aydalot avait dit en son temps que « le juste ne se discute pas. » Mais la question est ici de savoir quel juste ? En effet, la justice n’existe pas et n’existera jamais, même si le paradoxe est qu’elle est. La justice est soit une institution, soit une illusion, un sentiment ou une émotion. Mais elle est tout autant tout cela à la fois ! Certes, il y a toujours des faits, mais ces faits sont confrontés en permanence à des sur-faits, à des on-dit qui font que la justice réelle ne peut qu’être impossible car soumise à l’émotion.

Le sentiment du juste et de l’injuste ne trouve pas toujours à s’inscrire dans le fonctionnement de l’institution judiciaire ou encore dans les discussions juridiques jugées a priori abstraites. Et pourtant, force nous est faite de chercher à relier entre eux ces différents aspects de la justice : une institution, une théorie, un sentiment. L’homme ne vit pas seul ; l’homme vit en société, et la vie en société ne peut s’obérer de règles, quelles qu’elles soient ! Mais on peut limiter les dérives nées de ce sentiment. C’est la grandeur des magistrats et des avocats que d’y veiller !

Signalons en passant qu’en chinois, le mot « Yi » signifie tout à la fois justice, médecine, convenance, étrange et homme… Ceci est surprenant, mais aussi très logique, très définiteur de la justice en ce sens que la justice a pour rôle d’apporter un remède à un dysfonctionnement de relations humaines pré-convenues. C’est une bonne synthèse…, à la condition de ne pas penser remède en termes de médicaments ou d’hôpitaux psychiatriques !

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