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23 janvier 2010 6 23 /01 /janvier /2010 10:37

 (suite de A propos de la crise-viti-vinicole de 1907 (3) )

1850

100.0

1865

140.7

1880

103.7

1895

134.4

1851

100.7

1866

141.3

1881

  98.7

1896

132.0

1852

101.3

1867

140.1

1882

101.1

1897

138.4

1853

101.6

1868

141.2

1883

  97.2

1898

141.2

1854

102.9

1869

141.8

1884

  90.8

1899

144.4

1855

104.6

1870

142.6

1885

  91.6

1900

149.5

1856

107.2

1871

145.7

1886

  88.9

1901

150.6

1857

110.4

1872

148.1

1887

  83.5

1902

149.5

1858

114.7

1873

147.3

1888

  95.8

1903

151.3

1859

117.7

1874

150.5

1889

101.4

1904

148.3

1860

121.8

1875

141.9

1890

105.1

1905

149.4

1861

126.1

1876

128.9

1891

113.5

1906

149.4

1862

129.2

1877

115.4

1892

124.5

1907

139.4

1863

132.6

1878

110.1

1893

132.2

1908

138.8

1864

135.5

1879

103.5

1894

131.3

1909

137.1

 

On notera que la superficie maximale aura été atteinte en 1903, avec un indice de 151,3. De même, on assiste à partir de 1907 à une chute des surfaces exploitées, ce qui est à mettre en regard avec la crise et la nouvelle politique des structures qui la suivra.

 

Si l’on s’intéresse maintenant au rapport entre la superficie consacrée à la vigne et la superficie totale des départements, on s’aperçoit que l’on a un minimum moyen de 4,37 % pour le Gard en 1880/1889 et un maximum moyen de 32,24 % pour l’Hérault en 1860/1869, avec une moyenne globale 1850/1909 de 17,15 %, soit environ le sixième des terres totales. On comprend déjà mieux pourquoi l’Hérault sera bien plus secoué par la crise de 1907 que le Gard…

 (à suivre A propos de la crise viti-vinicole de 1907 (5) )

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23 janvier 2010 6 23 /01 /janvier /2010 10:35

 (suite de A propos de la crise viti-vinicole de 1907 (2) )

1850

309.224 ha

1880

320.670 ha

1851

311.510 ha

1881

305.354 ha

1852

313.404 ha

1882

312.728 ha

1853

314.108 ha

1883

300.605 ha

1854

318.388 ha

1884

280.825 ha

1855

323.591 ha

1885

283.226 ha

1856

331.425 ha

1886

274.929 ha

1857

341.410 ha

1887

258.375 ha

1858

354.879 ha

1888

296.402 ha

1859

363.844 ha

1889

313.582 ha

1860

376.718 ha

1890

325.014 ha

1861

390.020 ha

1891

350.948 ha

1862

399.621 ha

1892

385.151 ha

1863

410.149 ha

1893

408.765 ha

1864

418.959 ha

1894

406.251 ha

1865

435.001 ha

1895

415.586 ha

1866

436.867 ha

1896

408.164 ha

1867

433.176 ha

1897

427.939 ha

1868

436.573 ha

1898

436.603 ha

1869

438.583 ha

1899

446.509 ha

1870

440.951 ha

1900

462.502 ha

1871

450.650 ha

1901

465.796 ha

1872

457.969 ha

1902

462.502 ha

1873

455.603 ha

1903

467.944 ha

1874

465.359 ha

1904

458.493 ha

1875

438.924 ha

1905

462.025 ha

1876

398.740 ha

1906

462.025 ha ( ?)

1877

356.730 ha

1907

431.271 ha

1878

340.328 ha

1908

429.187 ha

1879

320.077 ha

1909

423.930 ha

 

Si l’on détaille, on constate que l’Aude passe de 69.606 hectares en 1850 à 117.891 hectares en 1909, le Gard de 94.988 hectares en 1863 à 69.151 hectares en 1909, et l’Hérault de 22.492 hectares en 1874 à … 176.302 hectares en 1909. Il y a donc des écarts importants dans les surfaces et entre les départements, les variations du Gard se justifiant aussi par le développement des mines du bassin d’Alès. On notera en passant que le vignoble n’atteint pas aujourd’hui les 300.000 hectares…

 

Globalement, pour l’ensemble du Languedoc méditerranéen, on note une baisse constante des surfaces de 1876 à 1887. Cette diminution correspond à peu près à la crise du phylloxéra ; par contre la surprise est de constater que la crise de l’oïdium n’aura eu aucun effet sur les surfaces cultivées ! C’est d’ailleurs pendant la crise du phylloxéra que l’on retrouve les sept années où la superficie exploitée fut inférieure à celle de 1850 (indice 83,5 en 1887 pour une base 100 en 1850), comme le montre le tableau suivant :

(à suivre A propos de la crise viti-vinicole de 1907 (4) )

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23 janvier 2010 6 23 /01 /janvier /2010 10:33

(suite de A propos de la crise viti-vinicole de 1907 (1) )

Section 2. La superficie des terres

 

Nous allons maintenant présenter rapidement la situation des superficies consacrées à la vigne sur la période principale des crises, bref sur l’année 1907.

 

La superficie de chacun des quatre départements est la suivante, ces quatre départements recouvrant une superficie totale d’environ 22.420 km2 :

 

Aude

Gard

Hérault

Pyrénées Orientales

6.232 km2

5.848 km2

6.224 km2

4.116 km2

 

Pour ce qui est de la part de la superficie consacrée au travail de la vigne, nous avons les chiffres suivants pour 1907 (source : P. Degrully, Essai historique et économique sur la production et le marché des vins en France, Thèse de sciences politiques et économiques, Montpellier, 1910, page 287) :

 

Aude

Gard

Hérault

Pyrénées Orientales

120.415 ha

71.664 ha

178.657 ha

60.535 ha

19,32 %

12,25 %

28,70 %

14,71 %

 

La surface totale consacrée à la viticulture est donc de 431.271 hectares. L’Hérault est le département où cette surface est la plus importante, alors que les Pyrénées Orientales consacrent moins de terres à la viticulture. Et si l’on pondère cette analyse en analysant le pourcentage de surface consacrée à la viticulture par rapport à la surface totale, on s’aperçoit que c’est environ 19,23 % des terres qui sont consacrées à la culture de la vigne, ce qui est énorme, d’autant plus que l’on n’a pas fait déduction ici des terres non cultivables, des zones urbaines, des forêts, etc… On remarque aussi que c’est l’Hérault qui est le plus recouvert de vignes puisque plus du quart de sa surface y était consacré ! Pour ce qui est du cas des Pyrénées Orientales, il est difficile de se prononcer, mais il est évident que, du fait qu’il s’agisse du seul département réellement montagneux de la zone, la différence est bien moindre qu’en apparence avec les trois autres départements.

 

La superficie totale du vignoble français était en 1907 de 1.649.157 hectares, ce qui fait que la part du vignoble languedocien était de 26,15 %, soit plus du quart du vignoble national pour environ 5 % du territoire national, ce qui démontre la prépondérance du Languedoc méditerranéen dans le vignoble français de 1907.

 

Section 3. La production et le rendement

 

Pour les quatre départements étudiés, l’année 1907 allait être une année de très forte production, voire de production record (exception faite du cas de l’Hérault). Ces productions sont les suivantes (source : P. Degrully, op. cit ., p. 289), la production totale étant de 30.547.871 hectolitres :

 

Aude

Gard

Hérault

Pyrénées Orientales

8.383.584 hl

4.248.077 hl

13.395.227 hl

4.520.983 hl

 

Pour la même année 1907, la production nationale française était de 66.070.273 hectolitres, la part du vignoble languedocien étant donc de 46,23 %, soit près de la moitié de la production nationale pour seulement un quart du vignoble. Cela laisse donc présager d’un rendement à l’hectare important, et en tout cas très largement supérieur au rendement moyen du vignoble français pris dans son ensemble.

 

Le rendement est le rapport entre la production en hectolitres et la surface cultivée en hectares. Le rendement national moyen était de 40,06 hectolitres par hectare pour 1907, ce qui était presque un record, alors qu’il était pour les quatre départements étudiés le suivant :

 

Aude

Gard

Hérault

Pyrénées Orientales

69,62 hl/ha

59,28 hl/ha

74,98 hl/ha

74,98 hl/ha

 

La moyenne pour le Languedoc méditerranéen était donc, pour 1907, de 70,83 hectolitres par hectare, soit 30,77 hectolitres par hectare de plus que la moyenne française, soit un pourcentage supplémentaire de 76,81 % !

 

Section 4. Une prépondérance assez nouvelle

 

Les chiffres exposés jusqu’alors montrent bien la prépondérance du Languedoc méditerranéen sur le vignoble français en 1907, année à la fois de production record et de crise sociale, ce qui n’est pas paradoxal en l’absence à l’époque de toute mesure de compensation.

 

Notons que le Languedoc méditerranéen est depuis longtemps une terre à vigne comme le met en évidence le fait qu’un tiers de la consommation de Rome provenait de la Narbonnaise et de Lyon. Néanmoins, ce n’est qu’à partir du milieu du XIX° siècle que la viticulture allait véritablement devenir la production prépondérante dans le Midi, le chemin de fer permettant de fournir à meilleur prix des céréales et d’autres matières premières dont la production sur les terres méridionales avait toujours beaucoup coûté. Cette situation nouvelle avait aussi provoqué la disparition de la majeure partie de l’industrie textile languedocienne, créant ainsi du chômage et donc une certaine tension sociale entre le viticulteur en expansion et l’ouvrier pauvre (cf. G. Bechtel, 1907, la grande révolte du Midi, Robert Laffont, Paris, 1976, pp. 12-14).

 

Chapitre 2. Une récolte à croissance irrégulière

 

Plutôt que d’étudier la production et les superficies lors des seules crises viti-vinicoles, il semble plus intéressant de les analyser sur de longues périodes. En effet, les crises sont souvent liées à des accidents de la production, c’est-à-dire à des anomalies. Donc, analyser uniquement les périodes de crise serait artificiel et ne donnerait qu’une image fausse de la réalité.

On étudiera donc l’évolution et les avatars de la production et des superficies entre 1850 et 1909, c’est-à-dire entre la dernière période de grande prospérité et le rétablissement qui suivit la crise de 1907. On a en fait entre ces deux dates une croissance très irrégulière, car, à l’évolution des techniques et des plants s’étaient opposées deux crises nées de maladies de la vigne, celle de l’oïdium et celle du phylloxéra.

 

Le cadre géographique de cette étude a été fixé comme dit précédemment. Avant d’étudier la question viti-vinicole pour les quatre départements du Languedoc méditerranéen, avant d’en analyser les accidents et les crises, il semble nécessaire de rappeler ce que furent sur une longue période les données économiques de la production viticole : superficie des terres viticoles, production vinicole globale, rendement des terres, etc…, c’est-à-dire toutes les données permettant de montrer du mieux possible l’enchaînement des faits entre eux, faits aboutissant aux crises toujours présentes dans les esprits de l’oïdium (1852/1856), du phylloxéra (1876/1887 et de la surproduction (1900/1907).

 

Par ailleurs, cette approche économique de la question viti-vinicole permettra aussi de voir si ces divisions temporelles sont réelles, et plus encore de savoir s’il n’y a pas eu à cette époque d’autres crises moins visibles mais tout autant existantes.

 

L’objet du présent chapitre va donc être l’énonciation et la recherche des données économiques fondamentales de la viticulture languedocienne de 1850 à 1910, mais aussi l’occasion de définir les cadres de l’analyse politique et sociale qui suivra, et ce en cherchant à isoler les crises économiques et leurs facteurs socio-économiques. Cette étude va donc être strictement quantitative sans que l’on cherche véritablement à porter un jugement de valeur, sauf sur sa fin pour mieux cadrer les diverses crises mises en évidence.

 

Section 1. Les superficies

 

Les productions agricoles sont bien évidemment toujours étroitement liées aux surfaces. De ce fait, l’analyse de ces dernières est primordiale. De plus, l’analyse des superficies consacrées à la culture de la vigne sur une longue durée va permettre de déterminer avec une certaine exactitude la place que tenait la vigne dans l’agriculture du Languedoc méditerranéen, et plus encore dans les mentalités des populations. De même, la variation plus ou moins importante des surfaces va permettre d’ébaucher une analyse des sentiments des paysans-viticulteurs et des citadins vis-à-vis des productions vinicoles et de leur intérêt. Ainsi, une forte augmentation de surface pourra t-elle éventuellement traduire une volonté de la part des producteurs d’obtenir des profits supérieurs, une confiance en la production vinicole, une possibilité offerte aux ouvriers agricoles d’accéder à une certaine autonomie. Enfin, une chute brutale traduirait soit l’existence d’une épidémie grave dans le vignoble languedocien, soit l’évolution d’une défiance dans les mentalités envers ce type de production.

 

On a vu précédemment que la superficie totale des départements du Languedoc méditerranéen était de 2.242.030 hectares. Toute analyse de la part de la viticulture dans l’agriculture du Languedoc méditerranéen devra donc être ramenée à cette superficie totale.

 

La superficie totale des terres viticoles cultivées varie de 1850 à 1909 entre deux extrêmes :

-       258.375 hectares en 1887, soit 11,52 % du total des terres concernées ;

-       467.944 hectares en 1903, soit 20,87 % du total des mêmes terres.

On remarque donc qu’au moins 13 % des terres est en permanence consacré à la culture de la vigne… Comme l’ensemble des superficies agricoles cultivées de cette région ne dépassera jamais à cette époque le million d’hectares, les chiffres énoncés ci-dessus permettent d’affirmer sans aucun contestation possible la primauté de la viticulture dans l’agriculture languedocienne : entre 30 et 50 % des terres cultivées ! On pourrait presque parler de monoculture viticole… De plus, sur les 50 % de terres non viticoles, plus de la moitié n’était pas directement exploitée ! Ce dernier fait renforce encore plus l’allégation de monoculture viticole. Cela montre aussi combien toute variation dans les critères économiques de la vigne et de sa culture pouvait influer toute l’économie du Languedoc méditerranéen.

 

Abordons maintenant une analyse plus pointue des superficies en analysant les données fournies par le tableau suivant qui présente la superficie des vignes en production (et seulement d’elles) entre 1850 et 1909 (les chiffres en italiques ne sont que des estimations) :

(à suivre
A propos de la crise-viti-vinicole de 1907 (3) )

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23 janvier 2010 6 23 /01 /janvier /2010 10:31

1907 peut sembler lointain… Plus d’un siècle dira t-on… Et pourtant, que de similitudes avec les crises agricoles actuelles… Tout a-t-il vraiment changé ? On peut se poser la question…

 

Introduction

 

En 1907, la France avait pour Président de la République Armand Fallières (1841-1931), élu le 17 janvier 1906. Il s’agissait d’un homme modéré, paisible, proche de la terre dont il était d’ailleurs originaire puisque natif de Mézin (Lot-et-Garonne). C’était donc un homme du sud-ouest (sur ce Président, lire : Chastenet (J.), La France de Monsieur Fallières, Fayard, Paris, 1949, publié en livre de poche). Volontiers traditionnaliste, son septennat allait être marqué par trois faits qui demeurent essentiels lorsque l’on étudie l’histoire de la France de la première moitié du XX° siècle :

-       La révision du procès Dreyfus ;

-       La question marocaine, avec notamment la conférence d’Algésiras de 1906 ;

-       Le soulèvement des viticulteurs et de la population du Languedoc, soulèvement précédant de quelques années celui des viticulteurs de la Champagne qui aura lieu en 1911 à l’occasion de la délimitation des vignobles ayant droit à l’appellation.

 

Sur le plan international, 1907 représente une année charnière, une étape sur le chemin de la première guerre mondiale. Deux années auparavant, en 1905, environ six mois avant l’entrée en fonction de Fallières, s’était produit le coup de Tanger, important avertissement d’une Allemagne nouvellement unifiée à une France en proie aux passions de toutes sortes. 1905 avait mis à jour des risques grandissants de conflit généralisé entre ces deux Etats, conflit qui devait effectivement éclater en 1914. Le spectre de la guerre se profilait à l’horizon, guerre qui allait radicalement bouleverser la société française avec la destruction de larges tranches d’âge dans les populations paysannes, populations qui représentaient une partie de la réalité de la culture française, mais aussi fondaient sa tradition.

 

Le gouvernement de l’époque n’avait pas à lutter contre ces seuls périls extérieurs. Il devait tout autant faire face aux tensions sociales nées de l’adoption de la Charte d’Amiens en 1906 qu’à des agitations populaires, avec, entre autres, les premières grandes grèves parisiennes dont nous retiendrons comme exemple la première grève des ouvriers électriciens le 8 mars 1907. De même, en 1907, les querelles et les discordes nées de la rupture du Concordat de 1801 et de la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905 n’étaient ni aplanies, ni oubliées.

 

Néanmoins, nous devons retenir qu’en conformité avec le corpus constitutionnel de l’époque, ce n’était pas le Président de la République qui détenait la réalité du pouvoir. En fait, Fallières, comme la plupart des Présidents de la Troisième République, préféra – au lieu de profiter de son irresponsabilité – jouer le jeu parlementaire, la réalité du pouvoir étant donc confiée au gouvernement (en 1907 radical modéré), en fait au Président du Conseil. Le véritable chef de la politique générale de la France était donc Georges Clémenceau, Président du Conseil du 25 octobre 1906 au 27 février 1911), un radical jacobin né en 1841 en Vendée. La France était donc, du moins en théorie, gouvernée à gauche. Pourtant Clémenceau ne pensait pas la démocratie comme l’effort perpétuel des gouvernés contre les abus du pouvoir comme l’estimait la gauche de 1907, mais il se définissait néanmoins comme un acteur de la révolution de la justice et de la liberté.

 

Bref, refusant d’appliquer ou de prêcher des théories réellement de gauche, restant en cela fidèle à ses origines vendéennes, refusant l’idée de l’existence de classes sociales en lutte les unes contre les autres, réprouvant toute manifestation violente sous quelque forme que ce soit (allant même jusqu’à faire tirer sur la foule), défendant activement la propriété individuelle contre droit individuel fondamental de l’homme vivant en société, Clémenceau était un homme de gauche surprenant. Ainsi, malgré de nombreux et réels efforts sur le plan social, avec par exemple l’instauration du repos hebdomadaire obligatoire pour les travailleurs en 1906, la majorité parlementaire et gouvernementale allait fréquemment se trouver en situation d’affronter la colère des masses qu’elle était censée représenter.

 

C’est dans le cadre de ces révoltes, le plus souvent spontanées ou non dirigées, liées à la prise de conscience par le monde ouvrier de sa force politique dans le cadre de l’Etat, qu’allait partiellement s’inscrire la révolte du Languedoc méditerranéen (Gard, Hérault,  Aude et Pyrénées-Orientales) de mars à juin 1907. Pourtant, et contrairement aux autres grands mouvements populaires de cette époque, a contrario aussi des grandes vagues nationalistes du XIX° siècle, cette révolte, d’origine paysanne et non pas ouvrière allait unir dans un même effort quasiment toutes les couches sociales d’une région, présentant très vite un très fort caractère régional lié au développement diffus dans les populations méditerranéennes de l’idée qu’il existerait une nation occitane occupée, voire exploitée et oppressée, par une autre nation écrasant son identité depuis des siècles.

 

Le point essentiel à retenir sur le plan sociologique de cette révolte aura été qu’une véritable union sacrée allait se maintenir autour d’une seule et même cause, la défense de la vigne, les habitants du Midi s’unissant en oubliant momentanément leurs oppositions et leurs divisions pour faire face en commun à une crise grave menaçant leur autonomie tant individuelle que collective, ainsi que leur niveau de vie. Allaient donc se retrouver côte à côte des catholiques et des radicaux, des citadins aisés et des paysans, des soldats et des employés, des ouvriers et des commerçants, offrant l’image d’une sorte d’idéal de paix sociale interne, chacun semblant avoir réalisé qu’il avait besoin de l’autre pour vivre.

 

Pour ce qui est des causes immédiates, cette crise fut amorce par un phénomène économique de saturation et d’inadéquation des marchés. En effet, dans le Languedoc méditerranéen, sévissait depuis une dizaine d’années une crise d’anarchie de la production, crise accentuée en cette zone de monoculture viticole par la concurrence des vins d’Algérie et par l’usage par des industriels peu scrupuleux de procédés de fraudes sur les vins, sur le taux d’alcool, sur les facturations, etc… Du fait de cette anarchie du marché, le pouvoir d’achat des languedociens avait fortement baissé durant les premières années du siècle, sans que des remèdes réels et efficaces ne soient prescrits par les instances gouvernementales. Souvenons-nous en passant que le premier ministère indépendant de l’agriculture ne fut constitué que le 14 novembre 1881.

 

Cette nouvelle crise faisait suite à deux autres graves crises nées de maladies de la vigne, l’oïdium et le phylloxéra. Elle allait ébranler tout le Languedoc méditerranéen. Elle allait aussi amplifier des sentiments plus ou moins diffus, plus ou moins justifiés, de frustration des méridionaux face aux non-méridionaux. Tout cela, entretenu par le verbe et par la verve d’Albert Ferroul, allait servir de support et de cadre à une révolte tant sociale que partiellement politique. Cette révolte, dont l’aspect le plus spectaculaire fut bien l’épisode viticole violent, avait donc des fondements économiques, politiques, sociaux, historiques et psychologiques. Ainsi, si par sa fougue et son agitation populaire, elle reste caractéristique des mouvements nationalistes du XIX° siècle, elle est aussi une crise du XX° siècle de par son double enjeu politique et économique dans le cadre déterminé d’une crise. De par ce double aspect transitoire, la révolte de 1907, sorte de Janus des mouvements populaires, est restée comme une crise de référence, d’où l’intérêt de l’analyser peu ou prou…

 

Un parallèle amusant à faire, celui entre 1907 et 1983… En 1983, la crise viti-vinicole n’était toujours pas résolue comme le démontrèrent les troubles de son printemps… En 1983, comme en 1907, un gouvernement de gauche se trouvait mis en difficulté par ses propres électeurs et élus locaux… Tout cela fait aussi l’actualité de la mémoire.

 

Première partie – La grande dépression de la viticulture

 

Toute crise, toute révolte, même manipulée, a une ou des causes réelles correspondant au moins partiellement aux aspirations et aux craintes de masses en mouvement animes par une certaine unité de pense et de volonté.

 

La crise de 1907 ayant été spontanée à son origine et ayant regroupé pratiquement toutes les couches sociales du Languedoc méditerranéen dans un même élan est donc basée sur une aspiration encore plus prononcée à un changement des conditions de vie, même s’il ne s’agissait que d’un sentiment diffus, et à un relèvement du niveau de vie. La crise viti-vinicole de 1907 ne peut pas être expliquée par un seul facteur, d’autant plus un facteur subjectif ; elle ne peut s’expliquer que par l’existence d’une combinaison de données indépendantes catalysées par une crise économico-sociale grave et localisée. Il faut donc analyser ces données politiques, économiques, sociales, etc…

Rappelons ici que viticole se rapporte à la vigne, alors que vinicole se rapporte au vin.

 

Chapitre 1. Une région

 

La zone géographique concernée est un ensemble de pays dominés par le mythe de la vigne et de sa fortune. Ce mythe, perpétué jusqu’à nos jours, est l’une des caractéristiques essentielles de cette aire coincée entre la mer et la montagne, soudée par une histoire commune, bref le Languedoc méditerranéen.

 

Le Languedoc méditerranéen correspond à peu près à l’actuelle région Languedoc-Roussillon. Ce sont en fait quatre des cinq départements de cette dernière qui le constitue, soit, d’est en ouest, le Gard, l’Hérault, l’Aude et les Pyrénées-orientales. Il s’agit là de quatre départements de la bordure méditerranéenne, mais aussi de quatre départements du Midi rouge par référence aux votes et aux troubles du XIX° siècle. Ces quatre départements sont aujourd’hui encore très souvent le cadre de crises viti-vinicoles, crises cycliques et violentes, comme en témoigne par exemple la mort en 1975 d’un CRS fils de paysan breton et d’un vigneron des Corbières au pont de Montredon (cf. « La crise du Midi viticole », in : Perspectives, 25 mars 1976, page 19). Il s’agit là d’une aire géographique restant essentiellement rurale, malgré Montpellier, dominée par la culture et par l’exploitation de la vigne et agitée par des soubresauts périodiques de révolte.

 

Au début du XX siècle, le Languedoc méditerranéen, tout comme d’ailleurs la plus grande partie de la France, était encore une terre rurale (cf. G. Désert, « Bilan économique à la veille de la première guerre mondiale », in : G. Duby dir., Histoire de la France rurale, Le Seuil, Paris, 1976, tome III, pp. 453-460). Il l’était même plus que beaucoup des autres régions françaises qui commençaient à bénéficier de certaines des retombées de la révolution industrielle du XIX° siècle. C’est ainsi que les régions du nord de la France trouvaient un nouvel essor dans l’exploitation du charbon ou encore que Paris profitait des avantages de la centralisation. C’était une région pauvre, et c’est dans une région pauvre qu’allait éclater diverses crises graves qui devaient aliéner le paysan-viticulteur languedocien d’une partie très significative de ses moyens tant d’action que de vie, voire de survie…

 

C’est à cette région que toutes les statistiques accordent la primauté pour ce qui est de la production de vin. C’est pour cela que cette région, favorisée sur le plan géographique, allait se trouver – et se trouve encore – si souvent dépendante des aléas climatiques présidant à l’abondance et à la qualité de la récolte viticole.

 

Nous aborderons ici successivement quatre points :

-       La situation géographique du Languedoc méditerranéen ;

-       La superficie des terres consacrées à la viticulture ;

-       La production vinicole ;

-       L’évolution des rendements.

 

Section 1. La situation géographique et démographique

 

Le cadre naturel est donc constitué par le territoire des quatre départements sus-cités. Ils bordent tous la mer Méditerranée, et tous sont bornés par des montagnes. Cette proximité immédiate de la Méditerranée a une influence considérable sur le développement du Languedoc méditerranéen. C’est cette mer qui lui donne son nom. C’est cette mer qui est à l’origine du climat favorable à la viticulture. C’est encore elle qui ouvre la région au commerce et aux échanges maritimes en lui offrant de très larges ouvertures en direction des colonies et des protectorats français du début du XX° siècle (cf. J.-L. Cazalet, Cette et son commerce des vins, Thèse de Droit, Montpellier, 1920). Le domaine géographique languedocien est donc et avant tout soumis à l’influence de la Méditerranée.

La proximité de cette mer va aussi avoir une influence considérable sur le relief et sur le climat : relief qu’elle découpe, climat qu’elle induit.

 

Paragraphe 1. Le relief

 

La mer proche implique l’existence d’une bande côtière. Mais cette bande côtière est assez étroite puisqu’elle varie d’une dizaine de kilomètres à la hauteur du cap Leucate et une quarantaine dans l’axe du Bitterois. L’essentiel du relief est constitué par des collines et par des coteaux, hauts de 50 à 200 mètres, c’est-à-dire par des paysages offrant de grandes possibilités à la culture de la vigne. En fait, on ne trouve que deux véritables massifs montagneux au nord de cette aire géographique, massifs jouant un rôle important dans la formation du climat : la Montagne Noire et les Corbières, c’est-à-dire dans l’arrière-pays bitterois et entre le Narbonnais et le Roussillon. Le relief est donc particulièrement accueillant pour la vigne.

 

Paragraphe 2. Les précipitations

 

La situation du Languedoc méditerranéen entre la mer et les montagnes implique une certaine pluviosité. La moyenne des pluies se situe entre 500 et 800 millimètres par an, c’est-à-dire autour des valeurs les plus favorables à la culture de la vigne, et ce d’autant plus que l’ensoleillement est important, voire quasi-constant.

 

Les conditions de relief et de climat sont donc très favorables à la viticulture. On abordera donc maintenant très brièvement la question démographique qui, à terme, permettra de fournir des indications sur l’évolution de la crise sociale conjointe à la crise économique.

 

Paragraphe 3. La démographie

 

L’effacement précoce de l’industrie dès le XVIII° siècle a fait que l’évolution de la population s’est presque uniquement trouvée liée au sort de la viticulture, orientant les flux migratoires, marquant la structure des familles. Les crises viticoles successives ont eu une influence négative sur les populations. C’est ainsi, à titre d’exemple, que les Corbières allaient perdre de 30 à 35 % de leur population entre 1881 et 1991. Malgré une certaine attirance des vallées de l’Hérault ou de l’Aude, la crise de la vigne allait provoquer un dépeuplement des campagnes et un ralentissement de la population globale. Ainsi, une ville comme Lodève, pourtant sous-préfecture de l’Hérault, allait passer de 10.185 habitants en 1881 à 8.200 en 1901, soit une chute de sa population de 19,5 % en vingt ans !

L’exode rural s’amplifia avec les crises, et, finalement, on aboutit à une crise de confiance totale, tant rurale que citadine, la natalité s’effondrant, les revenus baissant, etc… Un autre exemple traduit bien cette situation ; alors que les travailleurs migrants étaient nombreux dans l’Aude avant les crises, ils allaient devenir de plus en plus rares, même ceux qui venaient de la pourtant très proche Montagne Noire. Il y aurait donc eu superposition d’une crise sociale et d’une crise démographique.

 

Pourtant, en données brutes, il y eut un certain accroissement de la population, comme le montre le tableau suivant, mais quasiment uniquement dans les zones urbaines :

 

Recensement

1801

1851

1886

1901

Aude

225.228

289.747

332.080

313.531

Gard

300.144

nc

417.099

nc

Hérault

275.732

384.286

nc

489.421

Pyrénées Orient.

110.732

181.955

nc

212.121

 

On constate ainsi que la croissance de la population s’est réduite de moitié entre les périodes 1801/1851 et 1851/1901. Cela met aussi bien en évidence un certain état de crise démographique.

 (à suivre A propos de la crise viti-vinicole de 1907 (2) )

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12 janvier 2010 2 12 /01 /janvier /2010 17:09

Le point de départ de la question des rapports entre l’Eglise et la Révolution aura été la volonté de l’Assemblée constituante de réformer l’organisation du clergé et l’organisation du culte, afin de les rationaliser ; dans le cadre de ce projet, le gallicanisme religieux était conservé. Mais la Montagne allait prendre le contrepied de la Constituante, cherchant à détruire le Catholicisme en France, à la fois au nom de l’athéisme (du théisme pour certains de ses membres) et en celui du culte de l’Etre suprême qui devait être intégré dans la cité (autre preuve de l’influence du théisme), une certaine religiosité devant être maintenue afin d’assurer l’ordre social global de la société. La pensée des Montagnards est en effet qu’il faille maintenir un système de culte, de croyances, soumettant l’homme à une idée de bien et de mal, à la raison, permettant ainsi de cimenter, de fonder à la fois le système institutionnel et le système juridique.

 

Il est vrai que la situation du clergé dans l’ancien système ne pouvait qu’obliger la Constituante à intervenir. En premier lieu parce que le Catholicisme, sans être forcément une loi fondamentale du royaume, restait le fondement de la royauté, avec la France fille ainée de l’Eglise, le sacre du roi à Reims, le pouvoir attribué au roi de guérir les écrouelles.  Mais aussi parce que le clergé était le premier ordre privilégié de France. Bénéficiant d’un système fiscal très allégé, et, mieux, percevant des impôts, il avait ses propres tribunaux, alors que les évêques avaient un pouvoir de juridiction. De même, un tiers de la fortune foncière française était entre les mains du clergé, attribué sous la forme de bénéfices aux titulaires des évêchés, des chapitres, des abbayes ou encore des cures de paroisse. Par ailleurs, si l’Eglise pouvait hériter, elle ne pouvait pas remettre en circulation ces biens hérités par la vente, ce qui à la fois bloquait le système économique et renforçait sa puissance. Enfin, nombreux étaient ceux qui contestaient, même au sein de l’Eglise, la quasi-confiscation des évêchés par les grands du royaume, certains sièges étant même attribués dès leur naissance à des cadets… Il faut en effet se souvenir que, selon les termes du Concordat de Bologne entre le Pape Léon X et François Ier, le roi de France assignait les bénéfices et en nommait les titulaires, selon le principe Le roi donne, le Pape pourvoie ; or, ceci avait évolué en un système non plus au service de la foi, de la société, mais en un moyen de politique intérieure, permettant de favoriser telle ou telle famille dont on voulait s’attirer les grâces… Il fallait donc réformer…

 

Se posait néanmoins un problème. La nouvelle philosophie des Droits de l’Homme instituait la liberté du culte, et, de ce fait, la Constituante ne pouvait pas intervenir dans les questions religieuses. Mais, les cultes étant tous reconnus, ayant tous le droit d’exister, une seule religion ne pouvait plus être privilégiée, ni même rester religion d’Etat. Logiquement, ceci aurait dû conduire à la séparation de l’Eglise et de l’Etat ; or, cette conception n’émergera qu’à la fin du XIXème siècle… Mélangeant donc une tradition héritée de l’ancien régime et une volonté de changement, de remise à niveau, la Constituante allait s’enferrer dans des réformes toutes plus difficiles les unes que les autres, voire même contradictoires. Sur le plan financier, la question fut réglée simplement ; les biens du clergé étaient confisqués, puis vendus. Mais la Constituante resta enfermée dans les principes du gallicanisme, une tradition bien française, reste toujours poussée par ce gallicanisme vieux de plus de quatre siècles.

 

Selon ce gallicanisme, il y avait une indépendance totale du pouvoir temporel du roi par rapport à la Papauté ; c’était le gallicanisme royal. Il est évident que la Constituante tenait à maintenir ce principe… Par ailleurs, il y avait aussi un gallicanisme ecclésiastique selon lequel l’Eglise de France était autonome par rapport aux autres Eglises, y compris par rapport à Rome. Ceci n’était pas nouveau puis la Sanction royale de Bourges de 1437 lui attribuait le droit d’élection des pairs de l’Eglise. Enfin, ce gallicanisme posait le principe de la supériorité du conseil royal sur le Pape, même si ceci ne fut pas considéré comme schismatique, alors même par exemple que ce conseil mit près d’un siècle à valider les décrets et les canons du Concile de Trente. Toute cette tradition gallicane avait imprégné les gens de droit, ceux là même qui allaient devenir membres de la Constituante, et, rien n’apparaissait plus logique, dans le respect de cette tradition je le rappelle héritée des rois, que l’application d’une politique interventionniste…

 

La première phase de la réforme fut donc la sécularisation des biens du clergé. Elle allait se faire en deux temps. Il y eut d’abord la nuit du 4 août 1789 lors de laquelle tous les privilèges, donc ceux de l’Eglise, furent abolis, alors que la dime était supprimée, son produit (un dixième des récoltes) étant affecté aux frais du culte et au service des pauvres.

 

La seconde phase fut la loi du 2 novembre 1789 décidant la mise à la disposition de la Nation de la totalité des biens ecclésiastiques, ces biens étant mis en vente (les biens nationaux), l’Etat s’engageant en contrepartie à verser un salaire à tous les membres du clergé, ce qui était d’ailleurs déjà le cas, mais non général, sous l’ancien régime. La justification de cette mise à disposition était quadruple : une avance sur les salaires, idée de Mirabeau ; le principe selon lequel ces bien n’avaient jamais été au clergé lui-même, mais aux pauvres et au culte en lui-même ; le principe selon lequel l’Eglise ne possédait pas ces biens par elle-même, mais uniquement par autorisation royale, ce qui faisait que la Constituante, dotée de la nouvelle souveraineté juridique, pouvait retirer cette autorisation ; le fait que ces biens étaient soustraits au commerce naturel…

 

Dans le même mouvement, l’Eglise est posée comme une nouvelle branche de l’administration civile, les prêtres étant assimilés à des fonctionnaires de l’Etat, cette évolution se fondant à la fois sur le fait qu’ils sont désormais tous salariés par l’Etat, et sur celui qu’ils avaient jusqu’alors le monopole de l’état-civil. La première conséquence de cette nouvelle situation sera la suppression des ordres et des vœux monastiques, puis la Constitution civile du clergé du 6 février 1790 et la loi du 20 août 1790. Selon ce nouveau dispositif, il n’y a plus de juridiction du Pape sur l’Eglise, ce qui allait plus loin que dans le système gallican classique. Par ailleurs, il est institué auprès de chaque métropolitain, bref de l’ancien archevêque, et de chaque évêque un conseil synodal en charge d’intervenir dans toutes les décisions du diocèse, les chapitres, les sinécures et les collèges étant supprimés. Il y a de même remaniement des circonscriptions ecclésiastiques, ces dernières datant pour la plupart de l’époque romaine et ne correspondant plus aux réalités de la population du XVIIIème siècle ; alors qu’il y avait alors 130 diocèses, dont certains se chevauchant ou chevauchant sur des territoires étrangers, il y a désormais application du principe d’un seul diocèse par département. De même, désormais, le cadre de la paroisse est le canton, soit environ 6.000 habitants. On notera que, même si la plupart des membres du clergé siégeant à la Constituante allait protester, cette nouvelle organisation de l’Eglise catholique en France allait entraîner peu de réactions, y compris à Rome.

 

Dans le même temps, la loi posait le principe du recrutement des responsables ecclésiaux par élection, et ce afin de permettre une assimilation plus facile du clergé, ou plus exactement sa meilleure acceptation par les fidèles, tout en revenant aux plus anciennes traditions de l’Eglise (ou peut penser aux exemples de saint Ambroise de Milan ou encore de saint Augustin). Par contre, l’investiture reste ecclésiastique, le curé devant l’être par son métropolitain ou par son évêque, l’évêque par le métropolitain. De plus, le métropolitain peut refuser l’élection d’un évêque, mais il doit alors s’en justifier par écrit, et ce afin que l’évêque élu mais non nommé puisse éventuellement attaquer cette décision par la voie d’un appel comme abus, ce qui n’était finalement que la reprise d’une vieille procédure gallicane déjà existante sous l’ancien régime, et ce devant le tribunal de district qui pourrait soit accéder au refus du métropolitain, soit passer outre à la décision de ce dernier. La même procédure était prévue pour les curés. Le hic, c’est qu’une fonction religieuse était désormais contrôlée par une institution laïque, ce qui allait entraîner la colère de Rome. Pourtant, sous l’ancien régime, les Parlements n’hésitaient pas à intervenir sur saisine dans les élections épiscopales ou les nominations curiales, sans que Rome n’ait jamais songé à remettre en cause cette procédure, désormais strictement organisée et non plus soumise à des règles variables selon les lieux. Enfin, un serment obligatoire de soutien à la Constitution était demandé aux membres du clergé ; là encore, rien de nouveau, puisque beaucoup de prêtres, ainsi que les évêques, devaient sous l’ancien régime prêter serment de fidélité … au roi, ce que l’on tend trop souvent à oublier…

 

L’erreur de la Constituante aura été d’avoir poussé le gallicanisme à son extrême, en refusant tout dialogue avec Rome, allant ainsi jusqu’au schisme avec la condamnation romaine de 1791 qui fit qu’une grande partie du clergé français, devenu soudain ultramontain contre son attitude classique de l’ancien régime, allait refuser de prêter serment de fidélité à la Constitution. Mais le schisme allait aussi être interne au clergé français, entre un clergé jureur et un clergé réfractaire. IL était aussi interne à la population avec une majorité suivant les prêtres réfractaires, une minorité non négligeable derrière les prêtres jureurs. D’où les scrupules du roi, sa fuite à Varenne… Bref, la méthode plus que le fond fut fort inopportune, sans compter les royalistes purs et durs qui ne firent qu’attiser les braises…

 

On ne pouvait donc qu’aboutir à une réaction violente contre les réfractaires, contre le Catholicisme, contre Rome, cette dernière refusant toute remise en cause du principe monarchique. Ce qui était en jeu, c’étaient les principes mêmes des droits de l’Homme…

Les Montagnards allaient profiter de la situation. Leur but était de changer la religion elle-même, pas tant le fond de la Foi qui les indiffère souvent (même si certains d’entre eux veulent l’anéantir comme contraire selon eux aux principes des Lumières), mais sa forme en tant que soutien de l’ancien régime et porteuse selon eux d’une idée d’ordre contraire à l’ordre républicain.

 

Il y allait ainsi avoir, dans un premier temps, essai de mise en place du culte de la Déesse Raison, même les enragés tels qu’Hébert ou Vadier, athées militants, l’acceptant du bout des lèvres. Nombreux seront donc ceux qui suivront Robespierre qui, en disciple de Rousseau, était partisan d’une religion de la cité. Robespierre voulait ainsi retrouver les principes de la cité antique, avec une intégration du culte dans la vie de la cité comme garantie de l’ordre moral et social. Il veut reprendre l’idée d’une confusion des fêtes de la cité et des dieux, d’une symbiose entre les prêtres et les administrateurs, bref de l’absence totale de séparation du spirituel et du temporel, le premier étant au service du second. Et, pour bien marquer le coup, il instaura une nouvelle religion, dite culte de l’Etre suprême, Notre-Dame de Paris étant par exemple transformée en temple de la Déesse Raison (la Fête de la raison est ainsi célébrée à Notre-Dame de Paris le 10 novembre 1793), ce qui devait obligatoirement conduire à des destructions, dont celle de la galerie des rois, tant à Reims qu’à Paris. Robespierre était le grand-prêtre de cette religion profane, avec un culte mélangeant les aspects religieux et civiques. Il est bien évident que cette pseudo-religion allait s’effondrer à la chute de Robespierre et son exécution le 28 juillet 1794.

 

Pendant ce temps là, les persécutions se développaient. Ce seront les réfractaires de 1792, les guillotines de 1793… Ce fut l’instauration d’agents assermentés chargés de la chasse aux réfractaires, celle des certificats de civisme, les phénomènes dits de déprestianisation ou encore de déprêtrisation (bonjour le vocabulaire)… Ce fut la grande persécution de 1793, lancée en fait par les massacres des 2 et 3 septembre 1792, notamment des Carmes, de l'Abbaye et de Saint-Firmin. Ce fut, le 10 mars 1793, l’établissement du tribunal révolutionnaire, l’adoption de la Loi des suspects le 17 septembre de la même année, ou encore, le 20 novembre, le décret stipulant que seuls les ecclésiastiques mariés pourront échapper à la déportation, d’où la déprêtrisation de la plupart des membres du clergé constitutionnel. Et même les déprêtrisés ne furent pas à l’abri, puisque, à titre d’exemple, Monseigneur Jean-Baptiste Gobel, évêque jureur de Paris depuis le 27 mars 1791 et précédemment évêque in partibus de Lydda, chef de file des hébertistes, qui avait abdiqué et s’était déprêtrisé le 7 novembre 1793, allait être exécuté le 12 avril 1794… Il est vrai qu’il fut guillotiné en tant qu’hébertiste athée, en tant qu’ennemi de toute religion, et non en tant que chrétien. Ironie de l’histoire que de voir tomber sa tête aux côtés de celles d’Hébert, de Chaumette ou encore du baron Cloots… Le but de Robespierre était de remplacer le Christianisme par une religion nouvelle, pas l’athéisme…

 

Autres actes symboliquement anti-chrétiens, bien plus que civils : l’adoption du calendrier républicain le 6 octobre 1793, ou encore la loi du 20 septembre 1792 le mariage civil et du divorce. Dans ce dernier cas, le but n’était pas tant de donner une liberté mais de détruire les dernières traces du Christianisme, comme le démontrent d’ailleurs les débats de l’époque !

 

La chute de Robespierre sera suivie d’un certain retour à la tolérance du Christianisme, même si de nouveaux cultes étaient mis en place, tel le culte décadaire ou encore la théophilanthropie… Et, à cette période, le paradoxe fut que la séparation de l’Eglise et de l’Etat aura été souhaitée par tous, même par les Catholiques qui voulaient arrêter les persécutions et ne se reconnaissaient pas dans le régime de 1793… Et cette séparation était d’ailleurs bien réelle puisque, dès l’An II, les pensions et les traitements des Prêtres n’étaient plus payés, ce qui allait d’ailleurs entraîner des réclamations après la chute de Robespierre, le comité des finances chargeant Cambon de faire un bilan de cette situation. Il y avait donc séparation économique de fait, et non de droit, car, primo, la loi prévoyant ces versements n’était pas abrogée, et car, secundo, la laïcité de l’Etat n’était pas prévue officiellement ! Néanmoins, la séparation de l’Eglise et de l’Etat avait bien été décidée le 18 septembre 1794.

 

On aura un retour progressif vers le gallicanisme, ce dernier connaissant son sommet avec le Concordat imposé au Cardinal Consalvi par Napoléon premier le 15 juillet 1801.

 

Pourtant, les persécutions furent bien longues à s’arrêter. Par exemple, à Marseille, il y eut encore le 29 février 1798 exécution de cinq prêtres refusant de prêter un serment de haine à la royauté, dont le Père Donnadieu

 

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8 janvier 2010 5 08 /01 /janvier /2010 10:34

(suite de Histoire des collectivités territoriales françaises (1) )

La politique de Louis XIV
– C’est dans ce cadre qu’est intervenue la grande réforme louis-quatorzième, avec la mise en place d’un intendant nommé par le roi dans chaque généralité, cet intendant ayant des attributions très vastes : justice, finances, police administrative, tutelle, …

Une généralité était un territoire placé dans un premier temps sous l’autorité d’un général des finances, puis, plus tard, sous celle d’un intendant. Ce territoire constituait en fait une circonscription fiscale. A la fin de l’Ancien régime, la France était divisée en trente-trois circonscriptions financières :

⒜ sept intendances (Besançon formé de quatorze bailliages ou recettes, Lille, la Lorraine avec trente-six bailliages, Maubeuge, Strasbourg, Perpignan et Trévoux) ;

⒝ vingt pays d’élection constitués d’un certain nombre d’élections (Alençon, Amiens, Auch, Bordeaux, Bourges, Caen, Châlons, Grenoble, La Rochelle, Limoges, Lyon, Montauban, Moulins, Orléans, Paris, Poitiers, Riom formé de sept élections, Rouen, Soissons et Tours) ;

⒞ six pays d’Etat subdivisés en bailliages et en recettes, en diocèses et en recettes ou en vigueries et en recettes (Aix, Dijon formé de dix-neuf bailliages ou recettes mais aussi de quatre élections, Montpellier, Rennes, Toulouse et Metz).

Dans le même temps, le roi allait multiplier les interventions dans les processus de désignation des magistrats municipaux, le roi choisissant par exemple le maire parmi les candidats désignés par le conseil de ville ; mais le problème fut que le roi allait aussi faire montre dans ce cadre d’un mépris assez net pour les libertés municipales. Deux exemples : ⒜ les villages restaient considérés comme mineurs ; ⒝ certains offices étaient réduits dans le réel à de simples nouvelles ressources financières pour le roi.

L’Edit du 27 août 1692 doit retenir notre attention. Par cet édit, chaque ville, exception faite de Lyon et de Paris, devait se doter d’un maire ; mais cet office était vénal et héréditaire, en théorie pour indépendance face aux factions, mais conduisant très vite à la mise en place de nouvelles oligarchies peu soucieuses du bien commun, ce qui devait d’ailleurs parfois conduire certaines provinces à racheter ces offices. Mais l’œuvre majeure aura été la recherche d’une rationalisation des finances locales et de l’urbanisme avec l’interdiction faite aux villes de s’endetter (1662), la possibilité offerte aux intendants d’annuler les dettes frauduleuses (1665), et surtout l’Edit d’avril 1683. Il est en effet possible de distinguer quatre grandes lignes dans cet édit : ⑴ l’interdiction faite aux villes d’aliéner leurs biens et leurs droits ; ⑵ la limitation du recours à l’emprunt aux seuls trois cas suivants : logement des troupes, réparation de la nef des églises et lutte contre la peste ; ⑶ l’obligation faite de communiquer chaque année à l’intendant l’état des dépenses et des recettes ; ⑷ la réglementation des procès. Mais il allait y avoir une très grande disparité dans l’application de ces mesures, même si l’intégration dans l’administration royale d’une partie de l’administration locale (pardonnez ces termes plus actuels que d’époque, mais cela parle mieux) allait s’intensifier.

Notons que cette expansion du pouvoir royal allait aller de pair avec la décadence entre le XV° et le XVIII° siècle des Etats provinciaux. Ils allaient par exemple diminuer en nombre, n’étant plus que douze à la fin du règne de Louis XIV, alors que leur autorité politique allait s’effondrer avec la restriction des doléances, et surtout l’obligation d’obéir au roi en matière fiscale, même s’ils restaient en droit les seuls à pouvoir consentir l’impôt. Aparté : je me souviens avoir lu dans un livre d’histoire du début du XX° siècle, parmi les causes de la Révolution française, le fait que l’impôt pouvait atteindre jusqu’à … 10 % des revenus, même si en fait c’était beaucoup plus compliqué que cela, mais passons… Toujours est-il que les Etats provinciaux allaient passer du statut d’organes politiques à celui d’organes administratifs (notamment avec le pouvoir d’adaptation des impôts aux réalités sociales ou encore de contrôler et de définir des travaux d’intérêt général) ; ils étaient devenus des organes administratifs plus ou moins sous tutelle, et surtout des organes d’aménagement, une grande première en France…

En fait, au terme du règne de Louis XIV, on a pu constater une intégration totale des collectivités locales à l’Etat triomphant (point sur lequel je ne reviendrai pas). Ceci avait des aspects bénéfiques tels que l’amélioration de la gestion locale, le renforcement de certains pouvoirs locaux (surtout en matière d’aménagement et de voirie) et surtout l’attribution aux collectivités locales du statut d’universitates de droit privé. Mais les inconvénients étaient aussi bien réels avec la limitation de la participation des administrés, et surtout la survie de la diversité des statuts. L’entreprise de la seconde moitié du XVIII° siècle sera alors de tenter de décentraliser et d’uniformiser, pour obéir à la raison. Et ce fut encore à la puissance royale d’intervenir…

Les idées nouvelles – Il faut bien admettre que l’affermissement du pouvoir royal avait suscité des critiques, surtout du fait d’aristocrates et plus encore d’oligarques issus de la bourgeoisie anoblie par voie vénale, sensibles au déclin de leur ordre et plus encore de leurs pouvoirs. C’est dans ce cadre que des auteurs tels que Fénelon ou encore Montesquieu allaient faire l’éloge des Etats provinciaux dont ils voulaient l’extension aux provinces d’élection, ce qui n’était pas négatif en soi, et ce que le pouvoir royal ne voyait pas forcément d’un mauvais œil. Cette idée allait être reprise par des acteurs tels que Turgot ou Dupont de Nemours, ces derniers déplorant la complexité et l’incohérence des institutions existantes. Ils souhaitaient en fait – en dehors des réactions oligarchiques – une nouvelle organisation administrative fondée sur le désir de développer les rapports sociaux, tout en permettant une réelle participation des sujets à l’administration, même si l’accès au pouvoir local devait rester dans leur esprit lié à la richesse, et non plus au sang, au savoir ou à l’honneur… En fait, deux idées majeures se dégageaient : ⑴ la nécessité d’uniformiser l’administration locale ; ⑵ le développement de la participation des sujets aux affaires les concernant au quotidien. C’est tout ceci qui allait inspirer les préoccupations de la fin de l’Ancien régime.

Ce seront ainsi les mesures du contrôleur général Laverdy en 1764 et 1765, mesures visant à accroître l’efficacité de l’action administrative. Ces mesures étaient simples : ⑴ il faut pour toutes les villes de plus de 4.500 habitants, seules considérées comme majeures juridiquement, les mêmes règles de gestion et de tutelle ; ⑵ il faut uniformiser les institutions municipales des villes administrées par des officiers municipaux (sauf dans les cas de Paris et de Lyon).

Mais là encore plusieurs Parlements locaux allaient résister à ces mesures qui allaient être abandonnées en 1771. Triomphe des résistances oligarchiques – dont certaines se rallieront pourtant à la révolution, ou encore liées à des organes plus ou moins anticatholiques – à des mesures qui étaient dans ce cas très positives ! Necker allait alors décider d’opérer d’une manière différente, d’une manière très pragmatique : ⑴ il faut d’abord expérimenter sur de petits territoires, ⑵ puis, démontrant la réussite, étendre peu à peu les réformes. Ce seront les assemblées provinciales du Berry (arrêt de juillet 1778) et de Haute-Guyenne. Néanmoins, malgré les réussites, beaucoup, craignant pour leurs « petits détournements » et leurs oligarchies, allaient s’y opposer. Le pouvoir royal allait pourtant insister avec l’Edit de juin 1787 qui tentait de prévoir l’établissement dans les pays d’élection d’assemblées représentatives des administrés, mais, là encore, les heurts avec les Parlements allaient se multiplier, seules dix-sept généralités sur vingt-six agissant peu ou prou en faveur du contenu de cet édit. Ce fut donc là encore un échec… Ici, le roi voulait pourtant rationaliser, mieux gérer… Mais les réactions furent si nombreuses, alliant pour la défense de leurs petits intérêts les oligarques, les bourgeois enrichis, les pseudo-nobles issus de l’argent et les ennemis de l’Eglise catholique du fait de sa morale, les philosophes n’étant que les alibis détournés de leurs pseudo-défense des libertés locales… D’ailleurs, la Révolution fut d’abord bourgeoise et oligarque avant de devenir populaire, ce que l’on oublie trop souvent, tout comme l’on oublie trop souvent que la réaction thermidorienne porta bien plus contre ces oligarques et ces bourgeois que contre les vieilles familles, ce qui explique d’ailleurs pourquoi tant s’unir pour démolir l’œuvre de 1793, les mêmes s’agrémentant très bien des régimes du Directoire puis de Napoléon…

La tendance à la décentralisation – On avait donc, après une tendance à la centralisation, une tendance à la décentralisation. Deux volontés se constataient sur le terrain, et pas que chez les seuls oligarques : ⑴ il faut doter les collectivités locales d’organes représentatifs ; ⑵ il faut réduire la tutelle exercée par les intendants, ces derniers voyant baisser leur prestige du fait de leurs détournements de pouvoir et de leur enrichissement personnel.

C’est pour lutter contre les oligarchies locales et pour remettre au pas les intendants dévoyés que Laverdy avait tenté ses réformes (administration des villes par des organes représentatifs de douze élus plus un maire ; abolition des offices municipaux, qu’il fallait racheter ; limitation du pouvoir de tutelle des intendant, notamment en matière d’emprunt et d’octroi ; …). C’est dans le même esprit que les réformes de Necker allaient tenter de lutter contre la centralisation… La politique royale avait une réelle volonté décentralisatrice, et c’est cette volonté qui fut à l’origine de l’Edit de juin 1787 créant des assemblées provinciales, de district, de communautés élues au suffrage censitaire et indirect, atténuation de la distinction en ordres de la société française. Sept points sont à retenir de cet édit : ⑴ le tiers-état doit avoir autant d’élus que le clergé et la noblesse réunis ; ⑵ dans les villages, si un conseil élu est prévu, le curé et le seigneur doivent y être associés ; ⑶ tous les impôts directs doivent être répartis entre tous les ordres ; ⑷ il doit y avoir délibération sur les dépenses ; ⑸ une commission intermédiaire doit assurer la permanence de la gestion entre les sessions ; ⑹ ces conseils doivent veiller à la réelle exécution des travaux publics ; ⑺ l’exécution des ordres du gouvernement restent confiée à l’intendant pour ce qui est de la province, mais elle revient aux municipalités dans le cadre de la commune.

Malgré ces réelles avancées, il n’y eut donc que peu de succès. Ce quasi-échec fut certes dû à l’opposition de la plupart des Parlements, mais il découlait aussi de la faiblesse du roi qui, cédant aux pressions, allait empêcher les élections, le roi nommant la moitié des membres des assemblées provinciales, les autres membres étant cooptés par ces membres nommés ; de ce fait, seuls des « intéressés » se trouvèrent finalement en place… Les privilèges territoriaux, les oligarchies profiteuses restaient en place…

L’égalité par l’uniformisation des circonscriptions – Cette égalité allait s’effectuer en deux phases : ⑴ l’abolition de tous les privilèges territoriaux ; ⑵ puis l’élaboration d’un système d’administration locale rigoureusement uniforme. D’abord réalisée à la hâte et dans l’émotion, elle allait ensuite seulement laisser place à la réflexion.

La nuit du 4 août 1789 aura été celle de la suppression de tous les privilèges personnels et territoriaux, alors même que les députés des pays d’Etat étaient mandatés pour le contraire, et ce en échange de la liberté ; les oligarques qui avaient poussé à la Révolution étaient finalement leurs premières victimes… L’abandon des privilèges était en effet justifié par la liberté publique qu’il faillait assurer en amoindrissant le pouvoir du roi (cf. les Lois des 4-11 juillet et du 3 novembre 1789). Le pouvoir royal ne sera plus qu’exécutif (cf. la Constitution du 3 septembre 1791), son influence étant réduite sur l’administration par l’élection des administrateurs locaux. Cette décision consacrait l’unité administrative de la France par une adhésion unitaire et quasi-volontaire, les réformes devenant dès lors possibles. Le sentiment de crainte d’une remise en cause de l’égalité et d’un retour aux particularismes allait nécessiter un nouveau découpage administratif, répondant de plus tout à la fois aux exigences de la raison et à un réel besoin de simplification.

Le comité de la Constitution allait, sous la double influence de Siéyès et de Thouret, élaborer un premier projet. Il prévoyait la création de 80 départements carrés de 18 lieues de côté, avec chacun neuf districts de communes et 81 cantons, les villes cessant d’être des collectivités locales. Mais ce projet allait devoir faire face à de grandes réserves, car trop abstrait. Mirabeau allait alors proposer la création de 120 départements issus du démembrement des provinces, tout en maintenant les villes et les villages.

Finalement, la Loi du 22 décembre 1789 allait prévoir la création de 75 à 85 départements délimités à partir du tracé préexistant des provinces. Ce nombre n’était pas innocent ; en effet, les départements n’étaient pas assez grands pour pouvoir braver le pouvoir central, alors que leur taille réduite permettait des relations aisées entre les habitants. De trois à neuf districts étaient créés dans chaque département, ainsi que des cantons de quatre lieues carrées ; enfin, les villes et les villages devenaient tous deux des collectivités locales dotées de municipalités. Comme des difficultés naissaient de la nécessaire division du territoire et du choix des chefs-lieux, la Constituante allait confier ces tâches à un comité de quatre députés assistés du géographe Cassini. Ce seront finalement les Décrets des 15-16 février et du 26 février 1790 qui allaient fixer la délimitation des départements. Dans ce cadre, les districts furent calqués sur les petites villes, et les cantons sur les bases des anciennes châtellenies. Les conflits nés de ces remodelages allaient aussi être la preuve de la vitalité des villes et des villages qui furent maintenus, ce qui fit que l’on aboutit à un total d’environ 44.000 communes, et ce qui explique pourquoi la France reste l’Etat d’Europe a avoir le plus de communes… Toutes ces circonscriptions nouvelles allaient servir de cadre et de base à l’ensemble de la vie administrative, ainsi que de support à la désignation des représentants nationaux. Par ailleurs, le département allait devenir, par les Lois des 12 juillet et 24 août 1790, le cadre territorial du diocèse…

A noter que les fonctions juridictionnelles se trouvèrent elles aussi distribuées en fonction de ces nouveaux territoires : un tribunal criminel par département, un tribunal de district par district, un juge de paix par canton, et, enfin, un bureau de police municipale par commune.

Dans les faits, seule la commune sera une collectivité locale, le département, le district et le canton n’étant que des circonscriptions administratives polyvalentes permettant de faciliter la vie de la nation. C’est dans ce cadre que la Loi des 14-22 décembre 1790 allait prévoir l’élection de tous les administrateurs au suffrage censitaire, les actifs élisant parmi les plus gros contribuables les membres du corps municipal et le maire, ainsi qu’un nombre double de notables afin de former le conseil général de la commune pour deux ans, renouvelable par moitié.

La subordination des organes représentatifs des administrés – L’arrivée au pouvoir de Napoléon Bonaparte allait quelque peu bouleverser cette organisation, même si son schéma territorial en était maintenu. On trouve désormais dans chaque circonscription un conseil délibérant à côté de l’agent du pouvoir central ; ce seront les conseils général, d’arrondissement et municipal, la vocation de ces conseils étant de représenter tous les administrés. Les membres de ces divers conseils étaient recrutés par nomination, et ce selon les termes de la Loi du 28 pluviôse An VIII : ⒜ les conseillers généraux par le premier consul, sur la base des listes départementales ; ⒝ les conseillers d’arrondissement, sur la base des listes communales ; ⒞ les conseillers municipaux par les préfets.

Ce système allait être partiellement modifié par la Constitution de l’An X qui allait rétablir partiellement l’élection. En fait, le choix, qui est maintenu, sera désormais effectué entre deux candidats par siège, sur la base de propositions faites par les collèges électoraux des départements et des cantons. Par contre, il y a établissement de l’élection directe des conseillers dans les communes de moins de 5.000 habitants.

Pour ce qui est des attributions, celles des conseils généraux et d’arrondissement restent limitées à la répartition des contributions directes, au vote de certains impôts, à l’émission d’avis et de vœux pour ce qui concerne la circonscription elle-même ; de plus, ces attributions allaient être réduites au fil des ans… Dans la réalité, seuls les conseils municipaux auront eu un vrai pouvoir de décision, puisque, s’ils avaient en charge le partage des prés communaux et la répartition des contributions directes, ils pouvaient aussi délibérer sur les emprunts, les actions en justice et le budget. Pourtant, deux personnages dominaient le monde local : le maire et le préfet.

Le maire est le représentant du pouvoir central dans la commune, et en aucun cas celui de la commune auprès du pouvoir central. Il préside le conseil municipal, qui est l’organe délibérant, étant à cette occasion agent de la commune. Il n’est pas nommé par le conseil municipal, mais désigné par le pouvoir central parmi les membres du dit conseil municipal, soit par l’empereur dans le cas des communes de plus de 5.000 habitants, soit par le préfet dans les autres cas. Nommé pour cinq ans, reconductible, il peut aussi être démis de ses fonctions à tout moment par l’autorité l’ayant désigné… Ses attributions sont importantes puisqu’il est de droit le dépositaire exclusif et unique de l’autorité administrative dans la commune, et ce même s’il peut se faire assister d’adjoints qu’il nomme. A noter que le recrutement des maires dans les villages aura très souvent posé des difficultés…

Le préfet est quant à lui l’homme de confiance du pouvoir central dont il dépend totalement, et ce depuis l’époque du premier consul. En général modéré, il est choisi par ce pouvoir central parmi les personnes figurant sur les listes de notabilités. Par ailleurs, même si ses attributions et ses pouvoirs sont très importants, il doit s’en tenir aux ordres des ministres. La Loi di 28 pluviôse An VIII avait clairement énoncé qu’il était le seul en charge de l’administration dans le département, étant à la fois le seul représentant du pouvoir central et le seul administrateur des affaires du département. Le préfet était donc tout à la fois : ⑴ représentant de l’Etat, représentant tous les ministres, ce qui faisait que sa mission était aussi une mission de synthèse, disposant pour ce faire d’une grande marge d’initiative et ayant le pouvoir de faire agir toutes les administrations ; ⑵ principal gérant des affaires propres au département, faisant exécuter le budget, gérant les biens et dirigeant les travaux.

Ce préfet avait l’obligation de rester sur le territoire de son département, ne pouvant le quitter sans autorisation ; de même, il devait faire un rapport trimestriel au ministre de l’intérieur. Mais ce préfet avait aussi un grand rôle politique ; il était le véritable support du régime, étant en charge de la surveillance de l’opinion publique et du maintien de l’ordre public. En fait, le rôle du préfet était général et imprécis, bref assez proche de celui des intendants de l’Ancien régime. Mais il existait dans son cas une garantie contre l’arbitraire, sa révocation étant possible à volonté, … et réelle dès lors que l’ordre public était remis en cause ou que l’opinion tendait à ne plus être favorable au gouvernement.

On notera que le préfet était assisté d’un conseil e préfecture de trois à cinq membres nommés par Napoléon. Ce conseil avait en charge le règlement des litiges entre l’administration et les administrés, donnait des avis au préfet et permettait aux communes d’ester en justice. Le préfet était aussi aidé par des sous-préfets qui étaient les représentants uniques du pouvoir central dans les arrondissements, étant de plus, à partir de 1809, obligatoirement des auditeurs au Conseil d’Etat. Le statut de ces sous-préfets était copié sur celui des préfets, et ils étaient donc de ce fait nommables et révocables à volonté par Napoléon. Ils étaient en fait les héritiers des attributions des commissaires du Directoire et de la municipalité de canton, ce qui faisait qu’ils veillaient au maintien de l’ordre, à la conscription, aux impôts, tout en assurant la surveillance de la gestion des communes. A partir de 1802, ils furent aussi les agents d’exécution des décisions des préfets qu’ils renseignaient sur l’état de la population, les préfets assurant de leur côté leur notation tout en leur donnant des ordres.

Par cette organisation, l’unité était réussie en ce sens que l’on avait abouti à une réelle efficacité dans l’exécution des mesures. Et cette réussite est démontrée par le fait que la Charte octroyée de 1814 n’allait rien y changer, si ce n’est le fait que la collectivité locale ne sera plus considérée seulement comme subdivision de l’Etat, mais aussi désormais comme l’expression d’une réalité locale. En effet, la Restauration aura été une période de critique de la centralisation de l’administrative, et ce dès la, chute de l’empire ; mais cette critique regroupait des courants très divers, allant des ultras souhaitant un retour au passé (par exemple Villèle) aux fédéralistes souhaitant que cette théorie serve de base à tous les rapports sociaux, allant pour certains (comme Proudhon) jusqu’à la volonté de décomposition de l’Etat et d’auto-administration des communes. Dans tous les cas, l’évolution législative fut surtout le fait des libéraux, favorables au principe de décentralisation, distinguant l’intérêt national – l’Etat limitant son rôle aux seules affaires de la nation – de l’intérêt local. Les collectivités locales ne seront plus désormais considérées comme de simples circonscriptions administratives, mais comme des communautés dont l’existence est naturelle…

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8 janvier 2010 5 08 /01 /janvier /2010 10:33

L’histoire des collectivités territoriales française de l’An mil à la Restauration n’est finalement que celle d’une alternance de phases de centralisation et de décentralisation ; et rien n’a véritablement changé aujourd’hui. Pour la période que nous considérons ici, il est possible de distinguer trois grandes époques :

⒜ alors qu’en l’An mil toute vie était locale, la période courant du XI° au XVI° siècle verra l’intégration des collectivités locales dans l’Etat monarchique ;

⒝ le Siècle des Lumières allait être celui de la multiplicité des statuts et des usages, alors même que l’esprit du siècle, répondant aux exigences de la raison, tendait à l’uniformisation des collectivités locales – ce qui sera une réussite – et à la décentralisation de la gestion – ce qui sera un échec - ;

⒞ Napoléon Bonaparte allait pour sa part pousser la centralisation à l’extrême, réduisant la collectivité locale à une simple circonscription administrative, alors que la Restauration, tout en maintenant les cadres généraux, allait dénoncer cette centralisation excessive, montrant ainsi une réelle et surprenante volonté d’émanciper les collectivités locales, la raison de cette volonté étant surtout le désir de revenir sur ce qui était jugé comme un acquis de la Révolution française.

L’An mil – On rappellera en premier lieu que la féodalité fut une forme d’organisation politique et sociale médiévale née de l’effondrement des empires romain et carolingien, et caractérisée par l’existence de fiefs et de seigneuries. Ainsi, vers l’An mil, le pays était morcela, et, s’il y avait prééminence du roi dans les missions de roi justicier et de roi protecteur, on avait une très grande diversité à l’intérieur du royaume : diversité de langue, de mœurs, de droit privé, … De plus, le morcellement était favorisé par l’insécurité née des invasions et des luttes internes, provoquant ainsi le détournement, la rupture puis l’appropriation de l’administration carolingienne, induisant l’émancipation des ducs et des comtes qui n’étaient finalement que des hauts fonctionnaires non propriétaires de leurs zones d’activité ! C’est la disparition de l’administration impériale carolingienne qui aura conduit à la fondation des rapports féodo-vassaliques et à l’instauration du système seigneurial. Le territoire n’est enfin pas structuré ; il est découpé au gré des circonstances, avec des entités d’étendues fort diverses, même si ceci n’était pas le fruit du hasard mais bien plus le reflet des diversités géographiques et populaires, traduisant ainsi des réalités de fait.

L’idée d’une opposition entre le local et le national n’existait pas à l’époque ; elle n’est finalement que récente ! Par contre, il est possible de mettre d’ores et déjà en évidence quatre grandes tendances : ⑴ le développement parallèle du mouvement urbain et de la remise en cause de l’unité de la seigneurie ; ⑵ l’étrange opposition entre le phénomène du développement local et la féodalité ; ⑶ le retour progressif au droit romain pour définir juridiquement les collectivités ; ⑷ la main mise progressive de l’Etat royal sur les collectivités locales.

Dans tous les cas, la formation des collectivités locales a été progressive, en fait en trois étapes : ⑴ au XI° siècle, avec l’émancipation des villes par rapport aux seigneurs ; ⑵ au XIV° siècle, avec l’émancipation des pays et des provinces, notamment du fait de leur entrée dans le domaine royal, ainsi que l’apparition d’organes représentatifs, ces derniers commençant à se mettre en place ; ⑶ au XVI° siècle, avec l’extension de cette dynamique aux collectivités villageoises.

Le phénomène déclencheur aura donc été l’émancipation des villes. En effet, à partir de l’An mil, avec la reprise des échanges commerciaux du fait de la baisse de l’insécurité et du développement redevenu possible vue la pacification de l’agriculture, on allait assister à un vaste renouveau urbain. Il y eut installation de marchands et d’artisans dans les anciennes cités abandonnées ou auprès des châteaux, créant ainsi de nouveaux pôles d’activités et de population. Les villes renaissaient ! Et ces villes allaient exercer une double fonction d’échange et de production. Et de nouvelles agglomérations allaient peu à peu se créer, en particulier en des lieux stratégiques de communication et d’échange, au départ sans puis avec l’accord des seigneurs.

Ces villes regroupaient des populations souvent dynamiques et volontaires, mais surtout des populations conscientes de leurs intérêts. Elles allaient donc souffrir de l’arbitraire seigneurial, qui ne pouvait qu’être une entrave au progrès et aux échanges, et devaient donc  rechercher l’unité afin de défendre les dits intérêts. C’est la naissance du fait urbain… Par ailleurs, la mentalité de l’époque favorisant l’unité, l’individu allait très vitre chercher à s’intégrer à un groupe, ce qui fera naître une nouvelle communauté, celle des bourgeois, ainsi que les corporations de métiers qui s’y intègre…

L’apparition des communes – La communauté nouvelle des bourgeois allait vite s’organiser en conjuratio ou commune, commune fondée sur un serment mutuel d’entraide et de défense, d’où la volonté d’être reconnue officiellement. Mais cette reconnaissance, l’attribution de droits ne se fera le plus souvent que par la violence, avec notamment les émeutes du nord et du nord-est aux XI° et XII° siècles, même s’il devait ensuite, surtout dans l’ouest, y avoir accord entre les bourgeois et le seigneur contre des avantages pour le trésor de ce dernier.

Alors que les capétiens eurent une attitude variable face à ce phénomène, y étant opposés dans leur domaine mais très favorables chez leurs vassaux, Philippe Auguste aura été le premier souverain à avoir une position cohérente, et ce dès la fin du XII° siècle. Constatant que les communes affaiblissaient ses vassaux, il allait ainsi systématiquement confirmer les chartes communales, scellant de plus des alliances avec la bourgeoisie urbaine, y compris dans son domaine. Et on allait aboutir à la fin du XIII° siècle au fait que seul le roi pourra désormais autoriser la création de communes…

Les communes du sud, dont je n’avais pas encore parlé, allaient s’émanciper vers la fin du premier tiers du XII° siècle, donc avec un léger décalage avec le renouveau urbain. C’était là le fruit d’une évolution longue et pacifique, née aussi du souvenir des institutions romaines qui restaient même parfois partiellement en place. On y trouvait en effet encore très souvent une administration par des conseils de prud’hommes choisis par les personnalités des villes ou des domaines, conseils permettant une acquisition progressive d’une autorité propre avec désignation de cette autorité par les concitoyens ; c’était le système dit des consulats qui dura parfois jusqu’à la Révolution. Tout ceci aura aussi été favorisé par peu de tensions du fait que le sud n’était pas français à l’époque, que toutes les villes n’avaient pas disparu, que le consulat fut inspiré par les chevaliers, que la féodalité y était assez faible, et que le droit romain continuait à influencer et à régler les rapports humains et sociaux…

Villes de commune et villes de consulat – L’une et l’autre de ces villes ont la personnalité juridique. Ceci se traduisait par des attributions et des organes : ⒜ une autonomie et une administration propre ; ⒝ des organes représentatives issus d’élections ; ⒞ le tout étant fixé par des documents municipaux.

On trouve à leur tête soit un maire, dans les cas des communes, soit des consuls élus dans le cas du consulat, cette tête étant dotée du pouvoir exécutif. Cette diversité dans le nombre tient au fait que le nord avait l’habitude d’un seul chef, alors que le sud, influencé par le droit romain, connaissait une féodalité moins affirmée et une tradition de conseils. Ces responsables étaient entourés de conseillers pour ce qui était des affaires de la ville : ⒜ les échevins, pairs, jurats, … dans le cas des communes ; ⒝ le conseil restreint, le commun conseil dans le cas des consulats.

Il y avait de plus parfois réunion d’assemblées générales pour la prise de décisions essentielles, mais là encore avec des différences frappantes entre le nord et le sud : ⒜ réunion des seuls bourgeois ayant prêté le serment mutuel pour les communes, les plus riches familles dominant ainsi les dites communes ; ⒝ réunion de tous les hommes libres dans le cas des consulats, cette assemblée devant approuver les décisions des membres des conseils permanents ; ici, e sont les chevaliers, les marchands et les corporations qui dirigent de fait.

Il est donc évident que les prérogatives des villes étaient elles aussi variables, même si elles pouvaient être considérables, le plus souvent tirées des droits seigneuriaux : ⑴ droits de justice ; ⑵ droit de ban, c’est-à-dire d’édiction des règlements devant être respectés par les habitants ; ⑶ police économique, police des marches, police des approvisionnements, … ; ⑷ détermination et levée des impôts en vue de couvrir les dépenses ; ⑸ gestion des biens publics, de la voirie et des travaux publics ; ⑹ malice pour assurer l’ordre intérieur et la défense extérieure. Divers symboles traduisaient ces pouvoirs, tels le sceau, la bannière, la maison commune, …, et aussi le gibet…

Ces villes sont en fait des seigneuries intégrées dans la hiérarchie féodale, étant des vassales du seigneur, ce qui fait que leur situation, contrairement à ce que l’on pourrait penser, sont bien plus favorables que celle des communes franches, le mot étant aujourd’hui d’un autre sens. En effet, de nombreuses villes n’avaient pas le droit de s’administrer, bénéficiant certes de franchises, mais restant soumises au seigneur, ce cas se retrouvant surtout dans le centre, dans le domaine royal, dans les riches régions agricoles, ou encore dans les territoires où se trouvaient de puissants seigneurs. Les franchises étaient cependant, lorsqu’elles existaient, réelles : franchise du servage, franchises judiciaires, franchises financières, franchises fiscales, franchises militaires, etc…, ce qui faisait que le sort des habitants de ces villes était bien meilleur que celui des paysans, sans même parler de celui des serfs… Ces villes franches étaient administrées par un agent du seigneur, le prévôt, parfois entouré de conseillers élus à attributions précises. Néanmoins, même là, il y allait avoir une certaine évolution vers le partage des tâches ; ainsi, à Paris, on trouvait à la fois un prévôt royal et un prévôt des marchands assisté de ses échevins.

Ce n’est qu’à partir du XIV° siècle qu’allait apparaître la notion de bonne ville, c’est-à-dire de ville franche formant corps avec des organes représentatifs, envoyant des députés aux Etats généraux.

La représentation des provinces – Hérités de l’époque carolingienne, on trouve aussi des échelons intermédiaires entre le roi et les seigneuries. Ce sont les pays et les provinces. Ce sont des territoires parfois plus étendus et plus riches que le domaine royal lui-même… Ils constituent de facto de vraies collectivités territoriales. Souvent repliés sur eux-mêmes, ils ont cependant une âme commune et se trouvent sous l’autorité d’un seul suzerain.

L’autorité des provinces allait s’accentuer entre le XII° et le XIV° siècle, ce qui fait que, pendant cette période, les rois rassemblèrent plus la France qu’ils ne l’unifièrent, le cadre de la province restant toujours un cadre fort. Ceci est d’autant plus patent que lorsqu’ils intégrèrent de nouvelles provinces les rois respectèrent le plus souvent les privilèges et les libertés acquis par les habitants des dites provinces.

Mais le roi voulait aussi un Etat unitaire, ce qui fit qu’il ne conclut aucun nouveau traité entre lui-même et les représentants des provinces, préférant le système des lettres patentes du roi à ses vassaux. Intégrés dans le système féodalo-vassalique, les pays devenaient des collectivités locales pourvues d’organes représentatifs propres. C’est dans cet esprit que les provinces du domaine royal se virent dotées d’Etats particuliers. A l’origine de ce mouvement, on trouve des initiatives d’agents royaux, baillis ou sénéchaux, qui tenaient à consulter les principales personnalités locales sur les affaires de la province, essentiellement pour les nouveaux règlements ou pour les questions fiscales. C’est ainsi que, dès la fin du XIV° siècle, une bonne vingtaine d’Etats se réunissaient régulièrement. De même, les Etats préexistants aux annexions au domaine royal allaient continuer à exister afin d’assurer la représentation théorique des populations face au roi. Néanmoins, ces Etats avaient des organisations très variées : présence unique des seigneurs et des Prêtres, représentation des villes ou des communes, la représentation des paysans restant assurée par les seuls seigneurs. Dans les faits, ces Etats eurent surtout des attributions fiscales, ainsi que le droit de rédaction  de cahiers de doléances. Le pays d’Etat était donc avant tout, sous l’Ancien régime, un pays ayant la faculté de répartir l’impôt entre ses habitants ; c’était par exemple le cas de la Bourgogne, de la Bretagne, du Languedoc et du Béarn.

Dans les pays sans Etats, on ne retrouve que l’existence de syndics permanents. On rappelera que le pays d’élection, par opposition au pays d’Etat, voyait l’impôt, principalement la taille, réparti entre les assujettis par les fonctionnaires royaux, les élus, qui exerçaient à la fois des fonctions administratives, fiscales et judiciaires.

Les communautés villageoises – Les villages, dont les limites sont souvent identiques à celles des seigneuries, formaient la collectivité de base des campagnes. Ne disposant pas de députés aux Etats provinciaux, ils restaient soumis à la seule autorité du seigneur, étant administrés par ses officiers. En fait, le village n’a aucune autonomie, étant considéré comme mineur… Pourtant, le village est une entité juridique au plan religieux, avec la paroisse ; cette dernière réunit les chefs de famille autour de leur curé, et ce afin de décider des tâches matérielles liées au culte et à l’entretien des nécessités religieuses.

Même s’il n’a pas de personnalité juridique, il y est souvent toléré un syndic ou un procureur, désigné à titre temporaire, dont la fonction est de traiter au nom du village avec le seigneur. Asse vite, du fait de la multiplication des tâches administratives, cette fonction allait être rendue permanente. C’est ainsi qu’au XVI° siècle le syndic était devenu le représentant officiel du village, ce dernier constituant dès lors une véritable communauté jouissant de la personnalité morale. Ce syndic administre le village, devant prendre l’avis de quelques notables ; c’est aussi lui qui convoque l’assemblée générale des habitants. Le rôle de l’officier seigneurial est donc réduit, même s’il reste réel, ne serait-ce que par ce que c’est lui qui reste en charge de la police des délibérations.

L’évolution de la situation juridique des collectivités locales – Les XII° et XIII° siècles furent ceux de la renaissance du droit romain. C’est l’époque de la renaissance du concept d’universitates… Ce concept, très riche, permettait de désigner l’ensemble face aux parties, ainsi que les collectivités humaines diverses et variées ; il permettait surtout de définir une personnalité juridique propre, le municipe tenant ici lieu de personne, faisant que les cités sont désormais considérées comme des personnes privées.

C’est le triomphe de la théorie de la personnalité morale défendue par Urbain IV. Cette personnalité, qui s’adapte si bien aux collectivités locales et à des groupes appartenant à l’Eglise, permet l’existence de groupes juridiquement constitués, possédant l’autorisation expresse ou tacite d’une autorité supérieure compétente d’agir par elle-même. On notera qu’Urbain IV soumettait les communautés religieuses ou d’habitants aux mêmes règles.

Dès le XIII° siècle, les villes allaient bénéficier dans ce cadre d’une technique juridique élaborée, fondée sur les règles suivantes : ⒜ la nécessité de délibérer et de convoquer aux dites délibérations tous ceux qui y ont droit ; ⒝ la primauté de la majorité ; ⒞ la capacité d’ester en justice afin de faire valoir ses droits ; ⒟ l’existence d’obligations collectives exercées par l’entremise de représentants propres.

Les administrateurs désignés sont dès lors assimilés à des tuteurs, ce qui donne aux communes, par leur intermédiaire, la capacité d’acquérir un patrimoine propre, ce patrimoine se distinguant dès lors entre deux sortes de biens : les prairies et moulins, les biens liés aux besoins communaux. On signalera aussi que les communes deviennent responsable en cas d’émeutes, d’où la nécessité d’une sorte de service d’ordre, d’autres règles existant, d’origine centrale, permettant d’imposer le pouvoir royal.

L’établissement de la tutelle sous la monarchie féodale – C’est sous Louis XI, vers le milieu du XIII° siècle, qu’allaient apparaître les premières manifestations de la tutelle royale sur les villes autonomes, cette tutelle étant nécessitée par les tensions internes aux communes : oligarchies bourgeoises, mauvaises finances, inégalités sociales, … C’est ainsi que l’Ordonnance de 1256 allait limiter l’indépendance des administrateurs communaux en matière de finances communales. Il est dès lors interdit aux administrateurs de prêter de l’argent, alors qu’est imposée la présentation annuelle de registres aux comptes à la curia regis. On notera que cette intervention royale s’effectua parfois à l’appel des citoyens eux-mêmes, ce qui permit à celui-ci de développer l’idée que le chef de la ville devait être confirmé par le roi, ce qui devait aboutir très vite à l’assimilation des communes à des personnes mineures devant être protégées des actes jugés frauduleux a priori de leurs maires.

En fait, c’est le concept même de commune qui se trouvait transformé, en s’appuyant sur des dérives locales bien loin d’être générales mais permettant de justifier la mise sous tutelle royale globale. C’est l’effacement du serment mutuel entre les citadins et le seigneur au profit de la seule charte du seigneur, les villes franches devenant de moins en moins nombreuses. Bien naturellement, les agents royaux allaient dans ce cadre accroître leur surveillance sur les administrateurs communaux qui allaient se trouver déchargés de leurs responsabilités au profit du roi, certains étant, signalons le au passage, bien heureux de ce transfert… Ce sont par exemple les Ordonnances de 1419 et de 1463 relatives à la tutelle royale sur les finances des villes, cet accroissement de la tutelle se traduisant aussi par la perte des droits judiciaires, ainsi que par le développement de l’administration des villes non plus par des organes issus desdites villes mais par des baillis et par des sénéchaux. Enfin, certains Etats provinciaux se défiant de ce pouvoir royal, de ce que je qualifierai de fonctionnarisation, ces derniers allaient se trouver supprimés dès le XIV° siècle, seuls subsistant ceux admettant sans discuter la tutelle royale…

Les progrès de la centralisation sous la monarchie absolue – C’est sous la monarchie absolue que la centralisation a connu ses premiers progrès, le développement de la centralisation administrative résultant de la volonté des rois. Par volonté de puissance politique, contrastant avec les premiers siècles de la monarchie, les Valois et les Bourbon n’ont eu de cesse de chercher à accroître leur autorité à l’intérieur d’un royaume qui s’agrandissait, se distinguant de plus en plus du domaine royal. Ce phénomène s’est trouvé favorisé par l’état souvent désastreux des villes et des campagnes, ainsi que par l’incapacité des administrateurs locaux à dépasser leurs intérêts particuliers. Et, là, il faut être gré aux rois du fait qu’ils se sentirent responsables de la bonne administration des collectivités locales. Pourtant, le succès de cette extension de la tutelle royale n’allait être que limité au XVI° siècle, et ce du fait de la, double conjonction des divisions religieuses et de la dénonciation de la « tyrannie du roi » ; en fait, les provinces et les villes allaient avoir comme réaction un repli sur elles-mêmes, d’autant plus que les agents du roi, nommés à vie, s’alliant aux oligarchies urbaines allaient faire échouer la tutelle royale en la détournant à leur profit. Néanmoins, toute une série de textes fondamentaux allaient commencer à être adoptés, notamment des textes relatifs à l’intervention sur les finances des villes souvent mal gérées : ⒜ l’Edit d’octobre 1547 qui interdisait le cumul des charges municipales avec les offices de justice ou des finances ; ⒝ l’Edit de 1514 portant création des contrôleurs des deniers communs, même s’ils furent très vite supprimés, l’échec de la création de ces offices étant constaté dès 1555 ; ⒞ l’Edit de 1536 sur l’examen et la clôture des deniers municipaux par les baillis et les sénéchaux.

Cette réforme s’accompagnait d’une réforme en matière de justice, avec la suppression des compétences civiles par l’Edit de juin 1566, ainsi que la restriction des compétences criminelles suite à l’Edit de 1580. Enfin, des agents royaux allaient être autorisés à intervenir pour garantir les élections locales (qui existaient, même si la forme en était bien différente de la forme actuelle), mais, là encore, il y eut des abus et des collusions.

Le XVI° siècle, malgré les efforts, allait être le temps de l’échec partiel de la prise de contrôle des villes par le roi ; pourtant, cette tentative allait aussi traduire une certaine affirmation du pouvoir royal, le roi étant réellement devenu souverain, y compris dans les esprits. Et ces réformes, certes plus ou moins ratées, allaient inspirer tous les successeurs sur le trône de France. On notera juste en passant l’Edit de 1553 qui allait généraliser l’envoi de maîtres des requêtes en Conseil du roi dans les provinces, et ce afin de renforcer les contrôles et de ramener un peu d’ordre dans la gestion locales.

(suite sur
Histoire des collectivités territoriales françaises (2) )

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20 décembre 2009 7 20 /12 /décembre /2009 19:29

Aristote (Histoire des animaux) : « Ils pénètrent dans le Pont-Euxin en gardant la côte à leur droite et ils en sortent en tenant leur gauche. »

 

Haute Antiquité

 

Diverses traces disséminées laissent entendre l’existence d’une pêche au thon rouge le long de la côte pendant toute la période du néolithique, soit de 10.000 à 2.000 avant notre ère. Les modes de capture déduites de ces traces par les chercheurs étaient les suivants :

-       usage de pirogues monoxyles avec filets de fibres végétales et lignes relativement proches des palangres modernes. Etaient concernées des espèces surtout benthiques, plus rares étant celles de haute mer. Les traces de capture de thon rouge sont faibles, mais ceci est interprété comme dû à la différence entre le poids du thon et les moyens utilisés ;

-       usage d’un engin proche de la senne de plage, bref d’un long filé calé à quelques encablures formant une grande poche dont les deux extrémités reliées à des cordages sont progressivement halés depuis une plage. Des poids de filets ont été notamment retrouvés comme traces archéologiques attestant de cette méthode.

 

Néanmoins, les premières traces absolues prouvées de la capture de thon rouge dans la rade de Marseille datent du néolithique ancien, soit d’environ 5.700 avant notre ère. Ces traces se retrouvent dans la grotte du cap Ragnon, près de l’Estaque, avec la mise à jour de vertèbres et d’arêtes (source : Jean Courtin, CNRS).

 

Pour ce qui est des VI° et V° siècles avant notre ère, les fouilles de la place Villeneuve-Bargemon, réalisées en 2001, on montré la présence de très nombreuses espèces de haute-mer, dont des thons, et ce dès le début du VI° siècle

 

La période courant du III° au I° siècle avant notre ère voit l’apparition d’un nombre important de petites pêcheries dont l’activité est tournée au principal vers le thon rouge, ainsi que, mais de manière complémentaire, vers le poisson bleu.

 

La basse Antiquité

 

Pour ce qui est du III° siècle, des restes significatifs de thons ont été trouvés à l’intérieur du bassin lors de la fouille du secteur de la Bourse. Ce bassin ayant té comblé à la fin du III° siècle, ces restent attestent bien d’une exploitation à cette époque (source : G. Bertucchi, A. Kiener, F. Fabre, 1975).

 

De même, pour ce qui est des III° et IV° siècles, un lot très volumineux de restes de thons rouges (Thunnus thynnus) a été repéré lors des fouilles de la place Jules-Verne. La prédominance de ces restes parmi ceux de très nombreuses autres espèces met en évidence la forte activité d’une pêche en pleine mer, pêche particulièrement orientée vers la capture d’espèces migratrices (source : M. Sternberg, 1998).

 

On trouve en fait systématiquement la trace de thon rouge dans les niveaux archéologiques du III° siècle, ce qui implique l’existence d’une économie du thon, ainsi que l’utilisation de techniques de captures très structurées et collectives. Les archéologues en déduisent une pêche au filet, sans pour autant être capables de faire la distinction entre madrague, seinche, courantile et thonnaire, la tendance la plus récente étant une préférence pour la seinche et la courantile, cette dernière étant … un filet dérivant à mailles étroites...

 

Deux auteurs anciens viennent, en plus de l’archéologie et de l’archéoichtyologie, confirmer cette réalité :

-       dans son Nature des animaux (XIII, 16), Elien, célèbre sophiste de la fin du II° et du début du III° siècle, confirme que le thon est pêché à Marseille et sur les côtes méditerranéennes : « Je sais que les Celtes, les Massaliotes et tous les habitants de la Ligurie pêchent les thons à l’aide de crochets ou d’hameçons ; il faut que ceux-ci soient en fer, grands et forts. » Il va même plus loin, à la même référence, en parlant d’immenses filets et autres engins de pêche, ainsi que d’entrepôts d’engins de grande pêche ;

-       Oppien fait pour sa part mention d’une technique de pêche assez insolite, les pêcheurs marseillais construisant des barques rapides, aux formes élancées et munies d’un éperon acéré permettant de s’élancer à la force des rames dans les bancs de thons et d’en transpercer certains spécimens. Il fait aussi allusion à des captures habituelles de thons à l’embouchure du Rhône (Halieutiques, III, 625-648).

 

Pour en revenir aux traces archéologiques elles-mêmes, les stigmates observés sur les restes de thons présentent systématiquement des traces de découpe (dégagement de l’arête principale, tranchage de la tête et de la queue), ce qui met bien en évidence qu’il s’agit de déchets rejetés après découpe, impliquant donc une préparation, qu’il s’agisse de salaison ou de débitage de la chair en tranches et en morceaux, ces deux techniques étant de plus confirmées par l’étude de certaines amphores, en particulier de très spécifiques amphores à saumure.

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