Evoquer en quelques minutes la question de l’identité nationale est quasiment impossible. Il y a en effet deux termes dans cette question, l’identité et la nation, puis l’association de ces deux termes. Et cette question n’est ni celle de l’intégration, ni celle de l’immigration, ni celle de la citoyenneté ! Elle est dessine-moi une nation pour paraphraser le Petit Prince… Ce débat n’est pas celui de l’Islam, des minarets, des banlieues, des étrangers, ni même de la définition du français, mais de la France elle-même, de la refondation de la République sur les principes de 1789 ! Souvenons-nous de ces paroles de Jean-Pierre Raffarin : La question de l’identité, ça ne peut pas être une réflexion de comptoir. Si on veut éviter le populisme, il aurait fallu sans doute qu’on pose intellectuellement la question à un certain nombre de responsables pour avoir une réflexion préalable.
Avant de commencer, rappelons que la question de l’identité nationale n’est pas nouvelle dans le discours de Nicolas Sarkozy. On la retrouvait déjà dans ses livres parus en poche après son départ du gouvernement. Elle ne date donc pas d’un certain discours dans le Vercors, ni de la proximité d’élections régionales… Elle est récurrente dans le discours sarkozyen !
Sinon, il faut rappeler à tous une autre raison, fondamentale, du pourquoi de cette question du Président sur l'identité nationale... Elle réside au paragraphe 2 de l'article 4 du Traité sur l'Union européenne qui dit : "L'Union respecte l'égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale...". Le mot identité nationale figure au Traité, et il impose à l'UE de respecter son contenu ! Ce mot peut être invoqué en justice, tant nationale qu'européenne, tant par l'UE contre la France que par la France contre l'UE, tout comme les citoyens pourraient l’invoquer contre la France dans le cadre de certaines procédures. Il faut donc le définir, afin de donner des armes à la France contre certains excès de la Commission européenne qui en prend parfois un peu trop contre les Etats membres, et tout particulièrement la France. Le mot n'est donc pas sorti du néant.
Evoquons d’abord la démocratie. Elle est le pouvoir du plus grand nombre, de la majorité et non pas des minorités. C’est l’article de 2 de la Constitution de 1958 évoquant le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple… Or, on est en présence d’une attitude opposée depuis une trentaine d’années, attitude se traduisant par le bris de l’unité nationale, par l’irrespect de la démocratie ; vision marxiste, finalement très aristocratique, au sens science politique ?
Tout un chacun, notamment avec les blogs, a désormais un avis sur tout, même sur ce qu’il ne connaît pas. Certes, ceci n’est pas condamnable, loin de là, et il est même louable que chacun veuille développer son savoir, sa culture, et donc ses champs d’opinion. Reste néanmoins que le corollaire est souvent, et ce surtout chez ceux qui ne veulent pas approfondir, une volonté de vouloir imposer cette opinion aux autres, dès lors qu’une majorité se prononce contre, ce qui est contraire à la démocratie. Et le drame, c’est que la somme de ces refus, de ces minorités, de ces avis parfois irraisonnés peut constituer des majorités de circonstance allant contre la majorité réelle, contre les élus et les politiques sorties non pas du néant mais des urnes, de programmes déjà connus. Aucune solution de substitution n’est en fait proposée du fait même du disparate des opinions de refus ! Veulent-ils qu’il n’y ait plus de démocratie et que le seul pouvoir ne soit plus le peuple uni dans la nation mais une sorte de dictature informe de l’opinion, ce qui est dérive de la démocratie, mort de la démocratie. On sort dès lors du politique pour entrer dans le chaos émotionnel, chaos qui, très souvent, aura été le seul vivier des extrémismes de tous poils. Nous avons la chance d’avoir des opinions libres, des élections libres et sincères, de multiples organes de presse, une justice de qualité ; ne les laissons pas se dissoudre, instrumenter au profit du seul immédiat, de la seule émotion, sinon il n’est plus non seulement de politique possible mais même de démocratie possible.
On parle aujourd’hui beaucoup de discrimination positive. Or, en prétendant répondre à l’inégalité, cette politique introduit dans l’esprit du peuple que l’inégalité, que la discrimination à rebours est une attitude positive et respectueuse des libertés. On habitue les gens à vivre l’inégalité institutionnelle, ce qui ouvre à toutes les injustices…, à toutes les dictatures ! Donc, pas de quotas raciaux… Les quotas raciaux sont ridicules. Ils sont déjà ridicules en ce sens qu’il est théoriquement interdit de faire le moindre recensement racial, alors que le droit interdit dans ses principes toute discrimination en raison du sexe, de la religion, de la race, etc… Que nous dit l’article premier de la Constitution ? La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. On ne veut pas de comptes ethniques, mais on veut imposer des quotas représentatifs. Sur quelles bases réelles ? Je n’en sais rien ! Par ailleurs, deux autres risques. Primo, celui d’avoir des réactions du type « j’ai atteint mon quota, maintenant j’en veux pas plus »… Secundo, celui d’une surreprésentation des minorités au détriment de la majorité. Il faut donc faire pour les minorités, mais sans donner de fausses impressions. Art difficile…
Il faut éviter de tomber dans la dérive absolue de la démocratie, comme forme devenue corrompue du pouvoir, la volonté générale n’étant plus la norme, la somme des volontés d’opposition et minoritaires devenant la norme. En plus, le sur-droit des minorités tue le droit de la société en général…, sauf s’il s’agit de réparer des injustices. En fait, ce sur-droit, qui peut-être justifié dans ce seul cas, ne doit qu’être temporaire, limité dans le temps… Il ne doit pas devenir la règle de droit !
Parlons aussi de la confusion entre la souveraineté et le pouvoir. Le Président a l’exécutif, les Assemblées le législatif, la Justice le judiciaire, mais aucun ne dispose de la souveraineté qui appartient au peuple par qui l’exerce par la nation. C’est l’article 3 de la Constitution : La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum). Ainsi, et à titre d’exemple, la Justice rendue au nom du peuple français par la République française.
Revenons sur l’idée de somme d’intérêts déjà évoquée à un autre propos… En international, la volonté est la somme d’attitudes individuelles sans la société, sans l’Etat…, ou plus exactement par delà l’Etat ! C’est donc une somme d’égoïsmes, donc un droit perpétuellement a minima. Par contre, la volonté générale est parallèle aux volontés individuelles, même si elle converge vers la majorité de ces volontés. C’est toute la différence entre la distinction aristotélicienne entre la politie, volonté générale, et la démocratie, somme de volontés individuelles contradictoires. Pourtant, même si Aristote critiquait le régime d’assemblée dans le Politique, il reconnaissait, dans l’Ethique à Nicomaque, qu’une assemblée collective comme toujours moins injuste qu’une individualité…
Paradoxalement, c’est le triomphe de l’individualisme sur la société, sur la démocratie, sur la majorité qui, quoi qu’on veuille nous faire croire, est désignée volontairement dans nos sociétés. C’est contre cela que veut lutter Sarkozy, mais est-il compris ? Il est en fait absurde de vouloir le tout contrôle par les citoyens et par les consommateurs. Et je prends ici consommateur au sens le plus large, donc y compris les consommateurs de justice, bref les justiciables. Il y a d’abord le fait évident que le volume de la population empêche toute « agora ». Et puis, souvenons-nous des dérives du système dans l’Athènes antique ; et si l’on veut en revenir à Sparte, c’est encore pire… Il faut aussi savoir qu’il faut du temps et des compétences pour contrôler, et que, de plus, ce contrôle a souvent lieu par le biais d’organes autoproclamés ou, comme ce fut le cas en URSS, par des « comités de camarades » ; bref, tout sauf la démocratie. La justice institution est donc incontournable, du moins dans nos sociétés urbaines…, mais même dans la ruralité afin d’éviter la pression sociale ou la renaissance de certaines féodalités, qui peuvent être bien pires qu’en ville !
En fait, le monde est aujourd’hui de plus en plus multiple et solidaire. Et c’est là qu’interviennent les valeurs. Les valeurs actuelles de l’Europe sont la démocratie, la paix, la stabilité, les Droits de l’Homme, des intérêts économiques communs. Mais cela n’est pas suffisant… Et ce d’autant plus que ces valeurs ne sont pas partagées par tous ! Il est aberrant d’avoir fait entrer la Chine dans l’OMC, pour en rester à ce seul exemple, alors qu’elle viole ouvertement les droits de l’homme, pratique le dumping social, détruit l’environnement. Et nous en revenons déjà au courage des Etats, car, le pire, c’est que les règles de l’OMC permettent de violer ces mêmes règles quant à leur application à de tels Etats dès lors qu’il est prouvé qu’il y a dumping social, dumping environnemental, utilisation de prisonniers politiques ou d’enfants.
Le point central, c’est la question des valeurs… L’actuel débat aurait dû être préparé par la lecture du Rapport Gaubert d’avril 2009, source de ce travail, mais aussi de sa confrontation avec le Rapport Veil de décembre 2008.
Les valeurs de la République française ont pour fondement la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, reprises dans le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958. Pas que du seul citoyen ; de l’homme et du citoyen, ne l’oublions pas trop vite… La devise républicaine Liberté, Egalité, Fraternité, s’appuie sur cette déclaration la résumant en trois grands principes. Les droits de l’homme sont présentés comme des droits naturels, inaliénables et sacrés, universels à tous les hommes, qui sont le but de toute institution politique. Ils sont inscrits comme loi naturelle, inhérents à l’espèce humaine, et précèdent en ce sens l’institution politique. De là, l’affirmation que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements : l’institution politique est toute entière tournée vers la préservation, voire l’exaltation de ces droits. Souvenons-nous que la France est la terre des droits de l’homme, se devrait d’être sa championne, tant en interne qu’en externe…
La liste des droits suit celle de la devise républicaine, auxquels on peut ajouter la laïcité la sûreté qui précède en quelque sorte les autres droits puisqu’elle est indispensable à leur existence. Il convient d’engager plus explicitement la réflexion sur chacune de ces valeurs. Liberté de l’individu, du citoyen, dans le travail… Egalité de droit, des droits, mais aussi des devoirs… selon les capacités de chacun… Fraternité, mot oublié, lien d’appartenance et de solidarité… Laïcité et non pas laïcisme…
La justice vise à l’égalité, mais elle ne peut jamais la réaliser, l’homme ne voyant l’égalité que dans son égale satisfaction individuelle, la partie perdante se sentant quasiment toujours lésée… Tant qu’il subsistera une parcelle d’égoïsme dans le cœur des hommes, il ne pourra y avoir de vraie égalité…, du moins d’égalité devant la justice ! Tant que subsistera au coeur de l’homme l’idée de sa réalité et de sa propre liberté, il ne pourra jamais y avoir de vraie égalité, … du moins d’égalité mathématique ! Ceci remet en cause d’une certaine façon la stricte justice distributive définie par Aristote, car l’égalité devant le droit, l’égalité proclamée par la Déclaration de 1789 doit elle rester une réalité vivante !
L’une des difficultés du droit, mais elle se retrouve à tous les carrefours de la vie sociale, est que l’on doit à la fois mettre en œuvre une égalité juridique, donc formelle, et une égalité sociale, donc réelle, sans pour autant distinguer ce que l’on veut vraiment, en se dissimulant sous le voile général de l’égalité en elle-même. Or, ce qui est formellement juste peut être réellement injuste et vice-versa ! Donc, si l’égalité formelle s’applique dans une société réellement inégale - ce qui ne signifie en rien que tous doivent être pareils -, il ne peut y avoir de véritable égalité ; et la réciproque est tout aussi vraie. C’est en cela que la question de la justice est inséparable de celle de la société, tout comme elle est inséparable du sentiment.
L’équité impose donc bien de rompre parfois avec le principe d’égalité stricte, justement pour rétablir l’égalité ! Et ceci n’est en rien paradoxal !
J’ai beaucoup parlé de la justice, mais, sans lois, il ne peut y avoir de démocratie, ce qui ne signifie pas, bien au contraire, que la loi doive envahir tous les domaines de la vie. Or c’est là l’une des plus graves dérives du monde actuel, celle du surdroit, du trop de droit. Et là, on peut en effet s’interroger. Est-on aujourd’hui dans Ubu roi ou doit-on parler d’Ubu droit ? Hors règlements communautaires, traités internationaux et autres arrêtés ministériels et autres, notre droit français aurait compté en décembre 2008 de … 26.780 textes représentant … 138.463 articles ! Nemo censetur ignorare legem comme on dit vulgairement … Bref, nul n’est censé ignorer la loi… du moins paraît-il ! Comme disaient les Romains, trop de droit tue le droit ! Pas si fous ces Romains ! D’où là encore les efforts de Sarkozy en vue de la simplification du droit… Et aussi la nécessité d’éduquer les gens…
Notons en passant que l’on a évoqué tout à l’heure un mot oublié du débat politique et social actuel, celui de fraternité ! On nous parle souvent de liberté, d’égalité, quasiment jamais de fraternité !
J’ai entendu parler de la liberté… J’ai entendu parler de l’égalité… Mais fraternité ? Même dans le discours de Sarkozy devant le Congrès je n’en ai pas trouvé trace… Or, la devise de la République est bien Liberté, Egalité, Fraternité ! Et ces trois principes peuvent cohabiter, mais seulement si l’on oublie pas l’idée de justice, c’est-à-dire le ciment ! La devise de la République, ce n’est pas Ordre et Travail ! Et pourtant, ce mot de fraternité devrait être cher à beaucoup. Le chrétien, comme le franc-maçon, parle de ses frères, vit en relation avec ses frères ! Mais combien même chez ces derniers l’oublient aussi dans leur vie quotidienne ?
L’identité est souvent perçue comme présentation des mêmes qualités, ou encore caractère d’un être assimilable à un individu type, ou encore égalité mathématique. Or, ici identité est morale : identité de droit, particularisme de la nation, mais sans jamais rien préjuger à l’égard de l’individualité ou de la personnalité de l’être dont il s’agit.
Jusqu'à ces dernières années, et même aujourd'hui, l'idée de nation a dominé la culture européenne. Les trois pouvoirs, l’Armée ne sont, dans une démocratie, que les délégataires de la nation, il nous faut donc définir ce qu’est la nation.
Pourquoi la nation ? Il faut toujours un principe indépassable pour qu’il y ait justice, ordre et liberté … Quel qu’il soit, Dieu ou la raison, la nature, le peuple ou la nation ! Mais il faut aussi un consensus minimal sur ce point, et c’est ce que recherche selon moi, peut-être suis-je naïf, notre Président.
Souvenons-nous que la nation est fille de 1789 ! Qu’elle fut adulée par Saint-Just !
La nation est-elle cette grande solidarité constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a fait, ce désir de continuer la vie commune de Renan (1882) : (...) Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. l'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. .... La nation, comme l'individu, est l'aboutissement d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements.... Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore ? Jolie, mais négative car excluant les Juifs de la Nation dans sa conclusion..., souvent non publiée…
Est-elle cette trame de vie de l'intérêt général du général de Gaulle : Dès lors qu'une nation est formée, qu'à l'intérieur d'elle -même des données fondamentales -géographiques, ethniques, économiques, sociales et morales- sont la trame de sa vie et qu'en dehors elle se trouve en contact avec les influences et les ambitions étrangères, il y a pour elle, en dépit et au-dessus de ses diversités, un ensemble de conditions essentiel à son action et finalement à son existence et qui est l'intérêt général. C'est d'ailleurs l'instinct qu'elle en a qui cimente son unité, et c'est le fait que l'État s'y conforme ou non qui rend valables ou incohérentes ses entreprises politiques ? Trop imprécise…
Est-elle l'âme collective dont nous parlait Joseph de Maistre ? Ou bien est-elle le Volksgeist de Herder ? Est-elle l'unité de langue de Schlegel ou de Fichte ? Ou alors est-elle ce corps d'associés vivant sous une loi commune et représentée par la même législature de Sieyès répondant à la question Qu'est-ce que le Tiers-État ? , ou encore dans sa Lettre sur les richesses de 1775 ? Trop exclusives…
Serait-elle donc, comme l'affirme Marcel Mauss, une société matériellement et moralement intégrée, à pouvoir central stable, permanent, à fonctions déterminées, à relative unité morale, mentale et culturelle des habitants qui adhèrent consciemment à l'État et à ses lois? Ou est-elle ce groupement de population fixé au sol chez qui un lien de parenté spirituelle développe la pensée de l'unité du groupement lui-même comme l'a écrit Maurice Hauriou? Même si j'adhère à titre personnel à cette dernière définition, nul ne peut véritablement dire ce qu'est une nation, la nation étant plus une conscience individuelle née de l'inconscient collectif qu'une réalité palpable. La nation est donc une réalité distincte de celle de l'État, ce qu'il ne faut pas oublier... Et, dans l’absolu, la nation intègre à la fois les citoyens et ceux qui, vivant sur son territoire, adhèrent à ses valeurs ! C’est d’ailleurs ceci qui la distingue de la patrie ! La citoyenneté n’est pas la nation ! Celle-ci est bien plus, car ce sont des valeurs partagées avant tout ! Mais toute la confusion nait d’une faiblesse du vocabulaire, la nationalité n’ayant pas le même champ que la nation !
Mieux ! Si la nation est existentielle pour l'État, le contraire n'est pas vrai, l'exemple le plus connu de cette réalité étant la Pologne qui sut exister et perdurer en l'absence même de toute réalité étatique. Il est de même significatif de noter que toutes les tentatives d'organisation contemporaine de l'espace mondial, cherchant à rapprocher les hommes et non forcément les pouvoirs, ont toujours insisté sur le concept de nation et non sur celui d'État : Société des Nations, Organisation des Nations Unies, et le blocage actuel de cette dernière tient peut-être justement à la contradiction entre nation et État, une organisation de nations, donc du monde intimement humain, ne pouvant se baser sur le seul concept d'État.
Il est donc nécessaire de repenser l'intégralité de notre vision de l'espace mondial, les nations étant une constante au contraire de l'État qui n'est pas permanent. Donc, a contrario de Burdeau qui voit l'État comme permanent et l'assimile à la personnalisation juridique de la Nation souveraine, il est possible de dissocier l'État de la nation, le concept mazzinien d'état-nation qui prévaut aujourd'hui, par nature fondée sur une confusion philosophique, étant à la source de tous les extrémismes de ce siècle, de tous les dysfonctionnements contemporains..., ou alors il faut aller au bout de sa logique en détruisant les patries et en imposant partout l'idée qu'une nation égale un État. Mais quid alors de l'Espagne, du Royaume-Uni, de l'Italie, voire même de la France et de l'Allemagne... ? La France n’est-elle pas en elle-même une nation composée d’une multitude de nations liées par une histoire commune, par un destin commun ? Mais aller aussi loin, c'est justifier toutes les fractures, c'est nier le droit naturel, c'est nier l'homme, c'est favoriser l'émergence de pseudo-nations fondées non sur l'histoire ou sur le vouloir-vivre collectif, mais sur le seul intérêt immédiat, donc sur l'instabilité permanente.
Aujourd'hui, avec la mondialisation de l'économie qui affecte tous les États du globe et pas seulement l'Union européenne, la notion un État = un marché est abandonnée au profit de celle de marché global. Cependant, même dans le cadre de ce marché global, et peut-être aussi du fait de ce même marché global, il y a concentration des économies, d'où des rivalités de plus en plus fréquentes entre régions riches, qui ne sont jamais contentes de leurs propres relations, même si cela n'implique pas, du fait même de la globalisation, de risques militaires. Parallèlement, les conflits entre ou en régions pauvres n'intéressent pas le marché global, sauf lorsque sont en cause des intérêts économiques majeurs comme le contrôle de matières premières essentielles au développement; c'est d'ailleurs à l'échelle de ces zones - dont certaines sont européennes - que subsistent les seuls risques militaires globaux, les crises nationales n'ayant qu'un potentiel militaire global très limité. En effet, il y a risque d'émergence de forces en déliquescence qui refusent de coopérer, plus ou moins attisées par des groupes extrémistes religieux ou idéologiques, donc risque de retour à des conflits entre riches et pauvres.
C'est pour cette raison que les États doivent chercher à se rééquilibrer tant en interne qu'en externe : en interne afin d'éviter certaines dérives comme en Italie entre nord et sud, en externe afin de se garantir contre une non extension de conflits de société. Il est donc nécessaire de transformer les États dans une vision moderne et de concurrence économique globale, dons dans une vision opposée à celle qui ne date finalement que de Colbert, puis de la Révolution française, les richesses ne dépendant plus aujourd'hui des territoires, mais de la productivité, et peut-être demain de la biotechnologie, d'où les impératifs actuels d'un retour à l'éthique et à la morale; il ne peut cependant y avoir de morale sans un minimum vital que les États riches doivent assurer au risque de se perdre. L'aide internationale, plus encore qu'un devoir moral, est ainsi un devoir de sécurité et de défense !
Aujourd'hui, l’État n'est même plus une entité économique par lui-même car il y a un peu partout chute des frontières, et pas seulement en Europe occidentale, ces frontières étant contradictoires avec l'idée même de globalisation; l'enjeu n'est même plus le territoire mais l'économie, obligeant la géopolitique à des mutations conceptuelles. Ainsi, le territoire est désormais conçu comme un coût, comme un handicap, ce qui explique l'émergence de la primauté des groupes financiers, mais aussi la perte de réflexes sécuritaires élémentaires et de dynamismes internes, la délocalisation et l'abandon du territoire étant perçu comme un plus économique. Tout ceci a un impact direct sur les concepts militaires puisque le territoire n'est plus jugé comme important. On peut donc risquer de le laisser s'effilocher, et il peut même ne plus être forcément une réalité, pouvant être une simple virtualité comme cela a été le cas en Bosnie-Herzégovine. On assiste donc aujourd'hui à une substitution de l'économie à l'État, celle-ci n'étant que virtuelle, ce qui est, selon Braudel, la preuve de l'ouest, voire même des seuls États-Unis dans la guerre froide, avec la primauté du système d'économie-monde. Néanmoins, cette seule vision, aujourd'hui prédominante, est par elle-même un risque car source de fractures, internes aux États (SDF, chômeurs de longue durée, sans papiers, …) et externes (fondamentalismes, terrorisme, guerres ethniques, narco-États, …) à ces mêmes États, d'autres éléments - tel l'environnement - étant à la fois générateurs de conflits internes et de conflits externes.
Or, aujourd'hui, il y a effacement du concept d'État-nation au profit de celui de zone, du concept de frontière au profit de celui de frange, de celui de localité au profit de celui de globalité.... C’est là contre que veut agir Nicolas Sarkozy… Or, la nature n'a pas d'autres frontières que les frontières qu'elle s'est donné, alors que les pollutions ne connaissent pas les frontières humaines ; de même, les pollutions ne sont plus aujourd'hui pensées comme locales mais comme globales; enfin, l'environnement étant indépendant de la territorialité, il s'inscrit bien dans cette logique de déterritorialisation de la géopolitique. La nouvelle géopolitique, corrigée à l'aune de l'effacement du territoire, n'intégrant plus les notions de territoire, elle impose donc la substitution de nouveaux concepts aux anciens, de concept entrant dans sa nouvelle logique au détriment des concepts classiques, et l'environnement se prête particulièrement à ce type de mutation. La géopolitique doit donc se concevoir autrement, même s'il ne faut pas oublier le facteur humain qui lui ramène à l'ancienne géopolitique. Donc, tout comme l'émergence d'une nouvelle pensée stratégique est difficile, celle d'une nouvelle pensée politique l'est tout autant du fait de l'exclusion de l'idée de territoire... Et c’est pour cela que Sarkozy fait peur aux immobilistes de tous poils ; c’est pour cela qu’il s’est converti à l’environnementalisme…
Le concept de nation est à l'origine de bien des guerres ; il faut donc bien le définir, et revenir aux auteurs classiques... Nul ne peut pourtant véritablement dire ce qu'est une nation, la nation étant plus une conscience individuelle née de l'inconscient collectif qu'une réalité palpable. La nation est donc une réalité distincte de celle de l'État, ce qu'il ne faut pas oublier... Et je vais me répéter : si la nation est existentielle pour l'État, le contraire n'est pas vrai. Mais n’oublions pas ces mots d’Émile Durkheim : Détruire les patries, ce serait détruire la civilisation…
Jusqu’alors, un État était puissant parce qu'il avait des ressources, que l'État avait les moyens de s'en saisir et d'entraîner ses citoyens dans de grandes entreprises orientées vers le monde extérieur. Aujourd'hui, il y a inversion de ces facteurs, la clé étant le reste du monde, alors que les citoyens, les entreprises et les ONG se trouvent au cœur du système au détriment de l'État, les ressources n'étant plus fondamentales. Comment ignorer que Hong Kong, sans ressources, est - même aujourd'hui - plus puissant que toute l'Afrique pourtant très riche en ressources !
La clé est aujourd'hui l'international ou d'être international, fondée sur la communication. Mais il doit aussi y avoir éthique, car, en l'absence d'éthique, on arrive soit à la manipulation, soit à la loi de la jungle. La compétence individuelle n'est plus que secondaire, car elle peut s'acheter et n'est pas très chère, alors même qu'une véritable mondialisation, axée sur l'homme, va à l'encontre de cette dérive ! Il est donc nécessaire de mettre en place une nouvelle connexion, une autre forme de communication afin d'assurer l'ouverture vers les valeurs de compétences, d'où un nouveau schéma : international à communication à éthique à compétence à connexion. Mais Nicolas Sarkozy veut lutter contre cette dissolution tout en assurant cette nouvelle connexion…
On n'est plus aujourd'hui puissant contre les autres, quelle que soit la forme de l'éthique, mais avec les autres, soit en les utilisant, soit en s'appuyant contre eux, soit en travaillant avec eux. C'est l'exemple des coalitions et de la politique américaine. Mais, dans tous les cas, l'État n'a plus le rôle central pour ce qui est de l'économie ; ce sont les citoyens, les entreprises… Mais l'État ne doit pas abandonner sa fonction de régulateur, de contrôleur, de … gendarme.
L’un des défis majeurs de la société actuelle est de répondre aux quatre grandes questions de la gouvernance, de l'existence d'un marché, certes unique, mais organisé, de l'intercommunication, mais surtout de l'éthique internationale. Les axes majeurs deviennent donc les communications, les transports, la fabrication, mais aussi la modélisation et la philosophie, mais aussi l’éducation et la formation ! N’y a-t-il pas ici une certaine similitude avec les priorités du futur emprunt ?
La gouvernance, c’est tout simplement l’art de gouverner, bref, le mot remplaçant cybernétique puisque celle-ci est devenue autre chose. Cette idée n’est pas nouvelle, puisqu’on la retrouve chez Rabelais en 1534 dans la bouche de l’envoyé de Pichrochole : Par bien gouvernée l'eut augmentée, par me piller sera détruite.
La gouvernance est en fait l’érection en principes fondateurs de l’organisation politique de la responsabilité et de la lisibilité, faisant ainsi coïncider l’efficacité et une vision humaniste de la société.
La gouvernance est aussi une réponse aux erreurs des grandes théories politiques et économiques du XXème siècle, notamment à celles ayant négligé les principes de solidarité, de subsidiarité et de développement soutenable. Le but de cette réponse est de permettre de rétablir l’équilibre du monde et des relations humaines, permettant d’apporter des solutions aux grands problèmes du monde. On pourrait presque dire par boutade que la gouvernance est le monde d’emploi de la société. Mais n’oublions pas non plus que rien ne peut se faire sans l’homme, contre l’homme, et là l’éducation a un rôle fondamental à jouer…
Cinq principes sont à la base d'une bonne gouvernance. Ils sont à la base de la démocratie et de l'état de droit dans les États membres, mais s'appliquent à tous les niveaux de gouvernement, qu'il soit mondial, européen, national, régional ou local. Ouverture, responsabilité, participation, efficacité, cohérence… C’est tout ce que cherche à mettre en place Nicolas Sarkozy !
Pour reprendre les propos du Professeur Philippe Ratte de l’UNESCO, on peut dire qu’il existe quatre France : celle qui trime, celle qui rame, celle qui brame et celle qui crame ! Et il n'est pas facile, bien évidemment, de réguler tout cela, chacune de ces France tirant dans un sens différent. Or, comme le disait le Général de Gaulle, les régimes se perdent par leurs fautes, pas par leurs soldats.
Il faut donc éviter ces fautes, et c'est là tout le sens de l'idée de bonne gouvernance développée par Jacques Chirac, ainsi que de son insistance sur la nécessaire résorption de la fracture sociale.
La France, si elle a confiance en elle, si elle veut bien en avoir conscience, a la capacité économique d'assimiler des situations et des valeurs différentes, et, même si il y a plusieurs vitesses, l'ensemble peut avancer avec cohérence ! Il en est de même pour l'Europe ! Il suffit pour s'en convaincre de constater que les Europes qui marchent sont à plusieurs vitesses, comme Airbus ou Ariane ! Mais, la fracture sociale, plus qu'au bas de l'échelle sociale, se situe en France entre les élites et la société. Elle n'est pas véritablement avec le bas qui ne fait que suivre. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’opposition entre la France d’en haut et la France d’en bas…
Et se retrouvent au front les enseignants, les transports, les organismes de sécurité… Et l'on peut ainsi mieux comprendre les grèves des enseignants, des routiers, et … des gendarmes, car ce sont eux qui se trouvent au front et à la frange de la fracture sociale. Il faut donc que les élites retrouvent une exemplarité, car ce sont elles seules qui peuvent tirer vers le haut et réduire la fracture sociale, qui est bien plus qu'un simple écart mathématique dans le calcul de l'échelle des salaires. Elle est aussi et avant tout considération. Or, la simple fusion des élites par delà la gauche et la droite est un facteur de fracture sociale, car rupture avec la société elle-même.
Reste une évidence : pour éviter la fracture sociale, encore faut-il que la France d’en bas y mette du sien et le veuille bien ! Or, il est patent que le dialogue social n’existe pas vraiment en France, malgré les efforts de Nicolas Sarkozy. Par exemple, le particularisme français du travail est que les syndicats exigent a priori, puis accusent de rupture et font grève en cas de refus. Il n’y a pas de dialogue social réel, mais du seul fait des syndicats ! D'une autre manière, et pour être plus clair, on peut écrire que pour certains négocier c'est pour les patrons ou pour l'État accepter au minimum tout ce qu'elle exige ! Or, ce n'est pas cela négocier…, et on n'est dès lors pas très loin d'une conception totalitaire du dialogue social, donc à l'opposé de ce que doit être ce dialogue : paritaire et équilibré… Il faut briser ce rite très français…
Le grand handicap de la France est que toute La vie sociale a été conçue ces dernières années non pas dans une logique de cohésion et d'incitation, mais dans une logique de double rattrapage : - externe après la seconde guerre mondiale ; - interne, sous l'influence de Keynes, avec les mythes de l'inflation zéro, l'idée de valeur réelle des choses ne tenant compte que du seul économiquement chiffrable, et ce sous l'influence de Margaret Thatcher ; or, comment chiffrer certaines valeurs environnementales, la défense, la sécurité, etc… ?
Il faut donc organiser autrement en France les pactes sociaux, et par exemple ne plus concevoir les relations sociales au travers du conflit mais au travers de la négociation préalable et permanente. C’est ce que recherche Nicolas Sarkozy…
En fait, Astérix est une bonne image de la France. Astérix, c'est l'entrepreneur ; Obélix, le producteur ; Panoramix, l'intégration positive ; Abraracourcix, l'administration ; Assurancetourix, l'intégration négative ; Cétautomatix et Ordralphabétix, ces français qui certes travaillent, mais qui passent leur temps à critiquer, à se chamailler et à tout attendre du chef ! Ce sont là de bonnes images de notre société : à chacun son rôle, mais aussi une cohésion externe alternant avec une division interne ! Astérix, c'est la France !
Mais, gardons toujours à l’esprit la dure exclamation citée par Plutarque du spartiate Agésilas face aux divisions des Grecs continuant à se quereller malgré la menace perse : Ô Grecs, vous vous nuisez autant que les Barbares !
On le voit bien, tout est lié et logique chez Sarkozy : réforme de la justice, réforme de l’Etat, réforme des collectivités territoriales, débat sur l’identité nationale, discours sur la laïcité, Grenelle de l’environnement, etc... Et en totale continuité avec les idées de fracture sociale et de bonne gouvernance de Jacques Chirac. Mais effectivement, on rompt avec les scories du mitterandisme, avec les avatars des identitaires ultra-nationalistes, avec les mythologies du gauchisme, avec l’angélisme du centrisme ! Sarkozy travaille finalement avec une approche structuriste, prenant simultanément sous son regard l’ensemble des éléments constitutifs d’une politique, mettant en relief des ensembles significatifs en tant qu’ensemble et non plus comme somme d’éléments séparés et déstructurés. Tout est lié chez lui ! Rien n’est là par hasard ! Or ses amis continuent à débattre par parties sans voir le tout ! C’est là sa faiblesse !
Dans sa vision générale de la politique, grande nouveauté en France, Sarkozy envisage la possibilité d’existence de la morale de l’autre, voire même tout simplement l’existence de l’autre comme partenaire, du moins dès lors qu’il confronte le libéralisme pur au socialisme pur ! Il a choisi une voie médiane… Mais ce n’est pas celle d’un centrisme mou, conciliant avec l’un et l’autre ! Il s’agit bien au contraire pour lui de s’engager, même s’il se trompe parfois, mais au moins il ose, le premier depuis bien longtemps - et donc il dérange -, et c’est là le premier pas vers la justice sociale ! Il serait même possible de dire que, d’une certaine manière, en et par cela, Nicolas Sarkozy est, sinon social-démocrate, du moins social-libéral, et uniquement en ce sens…
Mais le problème c’est déjà que ses propres amis ne s’en sont pas rendus compte et continuent à penser uniquement en termes de droite - ce que ne faisait pas De Gaulle -, à penser selon des schémas dépassés, inadaptés, alors que les socialistes français restent de leur côté enfermés dans des dogmes économiques marxistes. Et, mieux, Sarkozy lui-même en a-t-il conscience, a-t-il conscience de son évolution ? Il en avait pourtant peut-être déjà l’intuition lorsque, jeune, il disait qu’être gaulliste c’était être révolutionnaire… Mais son De Gaulle d’alors n’était pas le De Gaulle phagocyté par Pompidou, mais au contraire le De Gaulle de Londres, le De Gaulle s’élevant face à l’adversité !
Pour finir, ce que j’appelle le paradoxe du Légionnaire. Le légionnaire, quelle que soit son origine, sa langue, son ethnie, sa communauté ou sa race, tout en ayant la Légion pour patrie, reste très souvent attaché à son pays d’origine dont il est parfois toujours le national, tout en servant, bien qu’étranger, la France, le plus souvent sans avoir ni la culture, ni la nationalité, ni la citoyenneté de cet Etat, ce service en faisant pourtant par son choix un membre à part entière de la Nation française ! Mais tous ces mots ont-ils été définis ?