Les sectes nées au XIIème siècle dans le Midi de la France (ou qui y proliférèrent) furent appelées au XIIIème siècle sectes albigeoises. Il est généralement admis que ce nom vient de la ville d’Albi autour de laquelle ces sectes se développèrent, même si certains rares auteurs "néo-cathares" lui trouvent d’autres racines, dont l’adjectif latin albus, blanc, ou encore la déformation du nom de la secte italienne des albanences… Toujours est-il que ce mot se retrouve la première fois dans une chronique de 1181, désignant à la fois les manichéens purs et durs, les cathares, ainsi que les disciples et sectateurs de Pierre de Bruys et de Henri (dit Henri de Lausanne), ces derniers étant surtout présents en Provence ; ces deux derniers rejetaient le baptême des enfants (mais pas des adultes) et la présence réelle, ce qui les distinguait des autres, développant surtout une sorte de moralisme rationaliste… De même, Henri s’élevait contre le luxe des Evêques et les dérives de certains Prêtres oubliant leur sacerdoce, rejoignant finalement ici dans sa réflexion le Pape Innocent III. En fait, dans cette période où tout pouvoir était devenu local, où les rois n’avaient plus de véritable autorité, où chaque seigneur faisait un peu ce qu’il voulait, rien n’était clair, la situation était pour le moins trouble… Même la mission de saint Bernard avait eu peu de succès après de certains Clercs… Il y avait aussi, mêlés à ces hérétiques, des Vaudois, épris de pauvreté évangélique, prêchant contre les excès et les abus de certains membres du clergé… Pour les Vaudois, condamnés comme hérétiques au concile de Vérone de 1184, la seule autorité était l'Évangile, l'Ancien Testament et les Épîtres n'ayant aucune autorité ; la seule voie pour être sauvé était la pénitence absolue et permanente, et les Évêques étaient inutiles. Les Albigeois ne furent donc pas, comme trop souvent réduits aujourd’hui, les seuls Cathares, ce qui peut expliquer certaines conversions, évolutions ou attitudes locales différentes au cours de la croisade.
Notons en passant que les troubadours, peut-être encore plus que les seigneurs languedociens, jouèrent un rôle fondamental dans la diffusion des idées albigeoises, posées comme du Sud face à un Christianisme posé comme du Nord, ce qui explique leur diffusion dans tout le Midi, certes à Toulouse, Béziers, Narbonne, Carcassonne, mais aussi à Marseille ou en Avignon… La rivalité Nord/Sud était déjà bien plus réelle qu’aujourd’hui, entre une société jugée cultivée, pétrie de latin et de droit romain au Sud, et une société jugée comme barbare au Nord !
Ces différentes sectes se caractérisaient, hormis le Valdisme, par le fait qu’elles ajoutaient aux erreurs communes des erreurs qui leur étaient propres, l’erreur fondamentale commune étant celle du manichéisme. Rappelons que, selon les manichéens, il existe deux principes absolus et égaux : l'un bon, l'autre mauvais, en opposition permanente, cette opposition étant irréductible. Fortement influencée par le bouddhisme, cette hérésie avait donc une vision dualiste de la Divinité. Par ailleurs, à l'heure du jugement dernier, il y aurait triomphe final du mal, le monde et les hommes étant prédestinés au mal. Le manichéisme est en fait une transition entre le gnosticisme et le christianisme, ainsi qu’une passerelle vers le bouddhisme. Cette hérésie a été condamnée par les Pères de l'Église, et en particulier par saint Augustin.
Le manichéisme a surtout connu une résurgence avec l’hérésie cathare. La doctrine cathare originelle, de l’époque, n’est connue que par ses adversaires, ce qui est dommage, le catharisme actuel n’étant fondé que sur des élaborations du XIXème siècle elles-mêmes uniquement fondées sur ces documents… Pour les tenants du catharisme, en fait syncrétisme organisé autour du manichéisme, il existe deux principes égaux : le Bien - d'où procèdent la lumière et l'esprit - et le mal - d'où proviennent le monde, la matière et les ténèbres -. Ces deux principes, l’un comme l’autre éternel, s'affrontant en permanence, il faut donc, pour échapper au mal, se libérer du monde et en particulier du corps. Seule en principe l'élite des parfaits peut être sauvée, les simples croyants n’en étant pas certains (avec la croyance en la réincarnation pour ces derniers, une femme ne pouvant d’ailleurs être sauvée qu’après avoir été réincarnée une dernière fois en … homme, mâle). Il y a en fait deux principes, deux mondes, l’un bon, l’autre mauvais, l’homme étant composé des deux ! L’effort doit donc porter sur la libération du corps, jugé mal, d’où, chez les vrais Cathares, un ascétisme très rigoureux, mais aussi le rejet de toute procréation et de toute société, les deux pérennisant le mal. Cette doctrine allait s’épaissir dans les milieux intellectuels languedociens, pétris de pensée latine. Cette nouvelle forme de l’hérésie entraîna l'excommunication de Raymond VI de Toulouse en 1208 et fut condamné au concile du Latran de 1215. Les Cathares ont formé le gros des révoltés contre l’Eglise.
Souvenons-nous ici que le Pape Innocent III avait déjà eu affaire avec les manichéens à Viterbe. De même, souvenons-nous que le manichéisme ne fleurissait pas que dans le Languedoc, mais aussi en Provence et en Gascogne, ou encore en Italie du nord, alors que la croisade ne concerna finalement qu’une partie du Languedoc, celle qui refusait de discuter !
Mais, même dans leur manichéisme, il y avait des divergences entre ces siècles, ce qui fait qu’il est erroné de vouloir absolument toutes les regrouper sous la dénomination de catharisme, ou toute autre appellation globale. Ainsi, pour certaines, le manichéisme était absolu, avec ses deux êtres éternels, alors que pour d’autres le manichéisme n’était que relatif ; ainsi, selon elles, il y aurait à côté de Dieu un autre esprit qui se serait séparé de Dieu, esprit qui serait devenu l’auteur du mal. Par contre, elles avaient en commun le rejet des sacrements de baptême et de mariage, ainsi que celui de toute idée de sacerdoce ; s’ils connaissaient une hiérarchie, leurs évêques n’avaient par exemple aucun pouvoir sacerdotal. En fait, ce système aboutissait, sans parfois le vouloir, à un matérialisme négateur de toute idée de libre-arbitre, ce qui fait que la morale pouvait être plus que souple, exception faite néanmoins pour la plupart des parfaits. En fait, l’idée de morale, telle que conçue classiquement, était quasiment étrangère à leur doctrine, mais, là encore, il y avait de grandes divergences entre les sectes albigeoises, certaines étant rigoristes, d’autres au contraire très débridées.
Face à ce fatras doctrinal, face à cette mise en avant de l’hérésie manichéenne renaissante, Innocent III allait décider d’envoyer des missionnaires pour les convertir, en premier lieu Arnaud Amaury, Abbé de Cîteaux, puis, en 1203, deux cisterciens : Pierre de Castelnau (de Castronovo) et Rudolph. Allaient assez vite se joindre à ces légats découragés l’Evêque Didacus (Diego d’Osma) et son chanoine, Dominique de Guzman, le futur saint Dominique, et ce en 1206. Forts de l’appui de Raymond VI de Toulouse et de Raimond-Roger Trencavel, vicomte de Béziers, les Albigeois allaient résister à toutes les tentatives de mission et de conciliation du Pape et de ses envoyés, le sommet de la résistance étant l’assassinat du légat Pierre de Castelnau en 1208 par l’un des hommes de Raymond VI. Didacus mourant la même année, Dominique se retrouvait quasiment seul, mais la force de son apostolat et sa Foi allaient faire qu’il put ramener à l’Eglise de nombreux hérétiques. Encouragé par cette réussite, Dominique allait fonder en 1215 l’Ordre des Frères prêcheurs, et ce pour la conversion des hérétiques par l’exemplarité et par la parole…
La condamnation des Albigeois ne fut pas un point dans le temps comme trop souvent affirmé. Il faut se souvenir que les Albigeois furent condamnés dès le troisième concile du Latran en 1179 (au canon 27, qui prévoyait déjà le possible usage des armes), cette condamnation étant confirmée à l’occasion du quatrième concile du Latran en 1215, la Foi catholique étant rappelée clairement par ce concile, en particulier dans le célèbre chapitre Firmiter (canon 1)… C’est donc seulement une trentaine d’années après la première condamnation, et suite à l’assassinat du légat pontifical, qu’il fut décidé d’employer la force contre les Albigeois, et ce d’un commun accord entre le roi de France Philippe II Auguste et le Pape Innocent III. Et là, ce fut une véritable croisade, les croisades, contrairement là encore à une idée reçue, n’ayant pas concerné que Jérusalem ou la lutte contre l’expansionnisme politico-militaire de l’Islam. Ainsi, en 1209, des indulgences et protections étaient octroyées par le Pape aux croisés, le commandement suprême étant confié à Simon de Montfort. Ce dernier était un homme du Nord, peu sensible à la culture latine, voulant imposer les lois et la langue du Nord aux villes du Midi ; le moins que l’on puisse dire c’est que, s’il était un excellent chef militaire, il était peu sensible à la culture et encore moins à la souplesse d’esprit… C’est d’ailleurs lui qui donna véritablement une dimension politique plus que religieuse à la croisade.
Rappelons ici qu’Innocent III (Lothaire de Segni) fut élu Pape en 1198. Il allait mourir à Rome en 1216. Né dans la campagne romaine au sein d’une famille noble qui aurait donné neuf Papes à l’Eglise, il allait étudier les lettres, la philosophie et la théologie à Paris, puis la jurisprudence à Bologne. Son parent, Clément III, allait alors l’élever au cardinalat. Le règne d’Innocent III aura été long, et il aura principalement été marqué par l’affermissement de la puissance pontificale, puissance poussée à son apogée politique. C’est notamment lui qui réussit le mieux, avant Sixte Quint, à rétablir l’ordre au sein de l’administration ecclésiastique de Rome, tout comme il réussit à faire reconnaître son autorité sur toute l’Italie centrale, obligeant même la reine de Sicile, Constance, à reconnaître la suzeraineté du Saint Siège. C’est aussi lui qui allait convoquer le quatrième concile du Latran en 1215 qui devait adopter des décisions disciplinaires majeures relatives aux ordres religieux (dont la première confirmation de l’Ordre des Frères prêcheurs) ou aux Clercs en général (tenue, punition de l’incontinence ou de l’ivresse, etc…), rappeler le dogme de la présence réelle approuver le terme de transsubstantiation, et condamner à nouveau l’hérésie albigeoise (canon 3). Rappelons aussi que les relations entre Innocent III et Philippe II n’avaient pas toujours été un long fleuve tranquille… Philippe Auguste avait répudié la reine Ingeburg pour épouser Agnès de Méranie. Innocent III, après avoir multiplié les avertissements, puis les menaces, allait faire jeter l’interdit sur toute la France, et ce lors du concile de Vienne de 1200. Mais, faisant preuve d’humanité, il allait, après la soumission du roi, certes facilitée par la mort d’Agnès, consentir à légitimer les enfants nés de cette union, dont le comte de Clermont. La réconciliation entre les deux était donc récente…
L’assassinat de Pierre de Castelnau par l’un de ses proches allait dans un premier temps faire peur à Raymond VI, d’autant plus qu’il entraina son excommunication la même année, donc en 1208. Le comte de Toulouse allait donc essayer de se réconcilier avec l’Eglise, à la condition qu’on lui envoie un nouveau légat, ce qui fut fait. La réconciliation eut lieu dans l’église de Saint-Gilles, Raymond demandant même le même jour à participer à la croisade, ce qui fit qu’il ne fut pas inquiété à ce moment. Il allait négocier avec le Pape jusqu’en 1212, promettant de réduire l’hérésie, mais sans rien faire de véritablement concret… Toujours est-il qu’Innocent III, convaincu malgré tout que cette réconciliation, même partielle, était suffisante et garantissait le retour à la paix, conscient aussi des craintes du roi d’Aragon (qui allait d’ailleurs être tué par les croisés au siège de Muret le 12 septembre 1213) face aux conquêtes de Simon de Montfort, allait proclamer en 1212 la fin de la croisade ; il avait aussi conscience qu’il fallait enrayer une croisade qui n’avait plus rien de chrétienne, vue la tournure prise. Malheureusement un tel mouvement ne s’arrête pas comme cela, et les masses nordistes, beaucoup de leurs barons en tête, ainsi que les bandes de ribauds les accompagnant et ne rêvant que de pillages faciles, entrainées par le mouvement ne comprirent pas cet abandon de la croisade qu’ils ne voyaient plus que comme une victoire militaire source d’enrichissements. Dès lors, le seul rôle joué par le Pape fut de chercher à limiter les dégâts, la reconnaissance de l’action de saint Dominique, ainsi que la création du tribunal de l’Inquisition, s’inscrivant clairement dans cette volonté d’enrayer la croisade, d’en limiter les effets. Innocent III déplorait même la disparition d’une riche culture et d’une terre de droit romain... Bref, il fallait chercher à sauver ce qui pouvait encore l’être, y compris sur le plan religieux, la fracture étant difficile à soigner, comme le démontra quelques siècles plus tard le succès du Protestantisme dans une région plus sensible au souvenir des exactions du Nord qu’à la parole de Luther ou de Calvin…
Les armées croisées allaient peu à peu s’emparer des places fortes des Albigeois, le sommet étant la prise de Toulouse en 1213, les régions conquises étant, comme le voulait la tradition de l’époque, remises au chef de la croisade, Simon de Montfort ; il est vrai aussi que Philippe Auguste ne voulait pas s’encombrer de la suzeraineté directe d’une région agitée. Ce dernier allait mourir à l’occasion du siège de Toulouse en 1218, et son fils Amalric (Amauri) allait lui succéder, les rois Louis VIII et Louis IX continuant eaux aussi la croisade contre les Albigeois. En quoi Béziers était-il important ? Tout simplement parce que Raymond VI choisissant la réconciliation, seul restait comme chef politique des Albigeois le comte Roger de Béziers, le légat menant religieusement la croisade, Simon de Montfort militairement… Ce fut le dramatique, scandaleux massacre de Béziers de 1209, avec son apocryphe prêté au légat Arnaud Amaury Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens, mais sa très réelle extermination de toute la population de la ville, mais nous y reviendrons… D’ailleurs, à la vue de ce massacre, les légats veillèrent à imposer de nouvelles règles aux soldats et à leurs suites, cherchant par exemple à apaiser les accès de cruauté à Carcassonne ou encore à Narbonne.
Toulouse fut reprise par les Albigeois, ou plus exactement à cette époque les Languedociens, tant la question religieuse était devenue secondaire chez beaucoup de croisés, mais devait tomber à nouveau en 1228, Raymond demandant alors la paix, l’obtenant contre l’engagement de purger sa région de tous les hérétiques. Et là, il y eut, c’est vrai, une répression réelle, mais menée finalement par celui qui soutenait au départ les Albigeois, l’institution du tribunal de l’Inquisition accompagnant ce mouvement, mais finalement après l’achèvement de la croisade puisqu’il ne fut établi qu’en 1229 par le canon I du concile de Toulouse, ainsi que par le traité de Meaux-Paris d’avril 1229 négocié et ratifié entre la régente Blanche de Castille et Raymond VII de Toulouse. Reste que la croisade contre les Albigeois aura été l’étape décisive dans la création de l’Inquisition, Inquisition dont les principes avaient d’ailleurs déjà été posés par Lucius III en 1184 ; …sauf qu’elle était ici conçue comme limitatrice de la violence, comme régulatrice permettant de contrôler voire d’annihiler la violence, ce qu’elle oubliera parfois…
La première question que l’on doit se poser est celle de savoir si la croisade contre les Albigeois fut juste dans sa cause et dans la façon dont elle fut menée. Les adversaires de cette croisade, y compris certains auteurs catholiques, estiment que l’Eglise n’a pas été juste, notamment du fait que celle-ci, n’avait pas le droit d’employer des moyens et des peines corporelles. De même, ils affirment que cette guerre fut illégitime et excessive.
Mais, souvenons-nous de la doctrine de l’époque. Il y avait distinction entre deux formes de guerre : celle contre une société indépendance, et celle contre des sujets révoltés. Dans ce dernier cas, la répression n’était perçue que comme la répression violente d’une répression elle-même violente, le but de la riposte étant le bien public et la punition des coupables, selon les méthodes et les principes de l’époque. De plus, pour être légitime, cette guerre devait être entreprise par une autorité légitime, contre des sujets véritablement révoltés, et devait être menée dans les limites de la répression nécessaire et du juste châtiment. Or, selon les critères de l’époque, la croisade contre les Albigeois revêtait ces trois caractères.
En premier lieu, l’autorité légitime était à l’origine de la croisade puisqu’elle fut déclarée à la fois par l’autorité du Pape Innocent III, en tant qu’autorité spirituelle, et par celle du roi Philippe II, en tant que suzerain. A la fois le Pape et le roi, tous deux nantis de l’autorité sur les sujets Albigeois. Ce critère était donc rempli au sens de l’époque.
En deuxième lieu, cette guerre était juste selon la doctrine du XIIIème siècle. Il s’agissait en effet de réduire l’obstination de sujets qui s’étaient révolté contre les pouvoirs légitimes tant de l’Eglise que du roi. De plus, il était nécessaire, selon les critères d’alors, de venger l’injure faite au roi et à l’Eglise, tant par l’hérésie jugée tant antisociale qu’anarchique, que par le meurtre du légat pontifical Pierre de Castelnau. Certes, la doctrine voulait que la guerre ne soit un remède à n’apporter qu’en cas d’extrême nécessité, mais ce critère fut jugé présent du fait que tous les autres moyens, y compris les plus pacifiques, étaient resté inopérants, et ce d’autant plus, et cela est trop souvent occulté, que les Albigeois, de connivence et avec la protection de Raymond de Toulouse, persécutaient les Catholiques, pillaient les églises, tuaient les Prêtres, … même s’il ne faut pas non plus exagérer ces exactions, ce que fit Philippe Auguste... Toujours est-il que, selon les critères du temps, tout cela demander répression, la cause étant jugée juste.
Se pose maintenant la question de l’intention. Il est évident que celle d’Innocent III était droite, visant au châtiment des auteurs de crimes contre l’Eglise, la conversion des hérétiques et la sauvegarde de la Foi catholique, cette intention apparaissant dans toutes les circonstances de la lutte, le Pape la rappelant en permanence dans ses écrits. Ce fut par exemple le cas dans la Bulle Gloriantes par laquelle le Pape instituait Simon de Montfort comme chef de l’armée et octroyait des indulgences particulières aux croisés eux-mêmes, posant même des limites aux méthodes à utiliser. On peut aussi citer sa lettre à Arnaud, Evêque de Narbonne… Ce qui faisait aussi peur au Pape, c’était la doctrine contre le mariage, contre la présence réelle, contre le sacerdoce…
Pour ce qui est de Philippe Auguste, on peut par contre légitimement s’interroger. Mais, avant d’aller plus loin, souvenons-nous déjà qu’à la faveur de l’anarchie suivant l’effondrement de l’empire carolingien, les ducs et les comtes allaient même devenir inamovibles, puis rendre leurs fonctions, qu’ils posaient désormais en dignités, héréditaires, le capitulaire de Kierzy-sur-Oise de 877 confirmant et régularisant ce qui n’était finalement que des usurpations. C’était la naissance du régime féodal, et, du Xème au XIIème siècle, ce dernier allait se développer dans toute sa splendeur, l’autorité royale n’ayant in fine même plus de représentant dans les provinces. En fait, chaque seigneur féodal exerçait désormais dans et sur ses domaines une autorité quasi-absolue, la suzeraineté royale n’étant guère respectée. La volonté de Philippe Auguste était de changer la structure politique de la France, une monarchie féodale devant se substituer à ce qui n’était plus finalement qu’une fédération de princes. Il est vrai que le roi et ses proches ont voulu s’emparer des terres contrôlées par les Albigeois… Mais il est aussi vrai que le roi pouvait aussi faire la guerre à Raymond, celui-ci étant son vassal. Par contre, il est tout aussi possible de dire qu’il n’y avait pas forcément perversité des intentions au départ, aucun document ne le démontrant ! Toujours est-il que la préoccupation première de Philippe Auguste était l’ordre social, l’unification du royaume, le respect du principe de suzeraineté… Et puis, encore une chose occultée dans la geste albigeoise : Philippe Auguste avait, dans un premier temps, refusé de participer à la croisade, ce qui montre bien que son intention première n’était pas la conquête…
La dernière critique portée contre l’Eglise fut que les Catholiques auraient mené une guerre de ruse. Interrogé par les légats, le Pape aurait répondu qu’il fallait user de ruse et que les croisés devaient feindre de négliger le comte de Toulouse. Les porteurs de cette critique ajoutent que le Pape se serait fondé sur un verset de saint Paul (2Co 12, 16). Outre le fait qu’il y a peu de documents sur ce point, il y a surtout mauvaise interprétation ; outre le fait qu’Innocent III ne s’est pas fondé sur ce seul texte, reste qu’il agissait dans l’esprit de toute l’Epître de saint Paul. De plus, Innocent III a montré tout au long de son pontificat qu’il aimait la prudence et déplorait la lâcheté.
Reste enfin le problème de la violence de la guerre, et notamment la question du massacre de Béziers de . Souvenons-nous d’abord, et ceci est attesté par des documents d’époque, que le Pape et les Evêques ont toujours donné des conseils de modération. Par contre, il est évident qu’ils ne menaient pas les troupes. Par ailleurs, le massacre de Béziers ne fut pas le fait de l’armée croisée, même si certains croisés, ne le nions pas, y participèrent, mais celui des ribauds qui, à l’époque, suivaient toutes les armées ! N’oublions pas que saint Dominique avait demandé la modération et prié pendant le massacre auquel il ne put s’opposer, tout comme il pria pendant le bucher de Montségur auquel il ne put non plus s’opposer. Le massacre n’était pas dans les vues du Saint ! L’Eglise ne peut donc être ici incriminée… Tout comme Philippe Auguste allait en tirer la leçon qu’il fallait véritablement chercher à réorganiser le royaume, à renforcer l’autorité du roi, … et à concevoir autrement l’armée, les pouvoirs de police, la justice, … C’est de la leçon tirée de cette croisade que Philippe Auguste allait tirer l’idée de se faire représenter dans les provinces par des magistrats sous sa dépendance : les baillis dans le nord de la France ; les sénéchaux dans le sud, des magistrats étant mis en place en-dessous : les vicomtes et les prévôts. Il lançait un mouvement qui trouva son premier achèvement avec Louis XI… Il aura en fait été le premier souverain depuis Charlemagne à avoir eu une vision cohérente du gouvernement… Ce font son intense politique de rattachement des grandes principautés territoriales au royaume, politique désormais fondée non sur l’usage de la force mais sur l’utilisation de moyens et d’arguments juridiques. Seule conséquence heureuse de la croisade…
En fait, tant Innocent III que Philippe Auguste ont été débordés ! Après, ils ont fait ce qu’ils ont pu, favorisant aussi la fin des querelles entre les Papes et les princes… Innocent III et Philippe Auguste ont sagement su tirer les leçons d’un désastre, malgré la victoire, le Pape restructurant l’Eglise, le roi son royaume ; leurs successeurs ont-ils toujours été aussi sages ?